De gauche à droite, Philipe Schmit, partner chez Arendt & Medernach, Georges Mischo, ministre des Sports et du Travail, et Maître Lorraine Chéry, counsel chez Arendt. (Photo: DR, Matic Zorman/archives)

De gauche à droite, Philipe Schmit, partner chez Arendt & Medernach, Georges Mischo, ministre des Sports et du Travail, et Maître Lorraine Chéry, counsel chez Arendt. (Photo: DR, Matic Zorman/archives)

Les employeurs le réclament, les salariés aussi, rejoints par des professionnels des RH comme par les avocats spécialisés: s’il entend répondre aux évolutions en cours et aux nouvelles attentes qui se font jour, le Code du travail se doit d’évoluer.

Une image possible serait celle du peloton du Tour de France se présentant groupé au bas d’un col de haute montagne. Quelque part au sommet, noyée dans la brume, se trouve la ligne d’arrivée. Mais difficile de la situer avec netteté. La certitude, en revanche, c’est que l’ascension du col s’effectuera au prix de coûteux efforts. Et après avoir déjoué une multitude de lacets que l’on pressent serrés.

Le droit du travail en est là. Dos au mur ou au pied de celui-ci, selon le point de vue adopté, et tenu d’engager dans des délais accélérés une mue en profondeur, 18 ans pratiquement jour pour jour après la mise sous presse de la toute première version du Code du travail luxembourgeois.

Plus de flexibilité

De l’intelligence artificielle au temps de travail, en passant par le home office, les appétits nouveaux de la gen Z en matière d’équilibre vie pro-vie privée ou l’ubérisation de différents métiers, les sujets atterris sur la table sont multiples. Avec obligation d’agir. Ou de réagir. C’est, du reste, en marge de la présentation d’un livre blanc consacré au futur du travail dans le pays, la demande que portait déjà le réseau de professionnels HRCommunity.lu, en novembre dernier: «Il faut offrir davantage de flexibilité, et cela passe par une revue du Code du travail. Aujourd’hui, nous n’avons pas la possibilité d’adapter notre organisation parce que le cadre légal, souvent, ne le permet pas», regrettaient ces sentinelles des ressources humaines. Au moment même où, précisément, une enquête de la Chambre de commerce commandée dans le cadre des élections législatives dévoilait que plus d’une entreprise sur trois (38%) se déclarait favorable à un supplément de flexibilité, tant en matière d’heures de travail que de home office.

Et pourtant… À l’image, chez Arendt & Medernach, du partner en charge du droit du travail, Philippe Schmit, beaucoup attendent de voir avant de considérer la partie gagnée: «On a vu une accélération de la législation l’an passé, l’ancien gouvernement a fait passer énormément de projets de loi en un temps record. Des adaptations étaient nécessaires, également, en fonction des différentes directives européennes à transposer, pose Me Philippe Schmit. Mais je me demande si l’on sera outillés, en l’état actuel des choses, face aux changements auxquels on doit faire face, notamment générationnels. Il est important que le contexte législatif s’adapte en permanence.»

«Accélérer le raisonnement»

«Aujourd’hui, poursuit l’avocat, dans un domaine aussi omniprésent que le temps de travail, le droit luxembourgeois manque, à mon sens, de flexibilité. On a une loi qui évoque la flexibilité du temps de travail, mais en contrepartie de cette flexibilité, les employeurs doivent, dans certains cas de figure, accorder des congés supplémentaires par exemple, ce qui représente un coût supplémentaire difficile à assimiler dans le contexte économique actuel. On bute aujourd’hui sur ce point somme toute assez banal, mais néanmoins crucial. Partant de là, on va vraiment avoir besoin d’accélérer le raisonnement si l’on veut être prêt demain pour intégrer l’IA, le souhait des nouvelles générations de travailler moins, etc. Une révolution est en train d’éclore, ce sera un réel défi d’être suffisamment agile pour l’encadrer juridiquement.»

Sur le papier, le ministère du Travail se positionne sur une ligne identique. Il fait même usage du pluriel, évoquant des «révolutions majeures». «Les trois grands sujets sont la réforme de la législation sur les conventions collectives (lire par ailleurs, ndlr), du dispositif sur le dialogue social à l’intérieur des entreprises et les dispositions légales sur l’organisation du temps de travail», détaillent les services du ministre Georges Mischo (CSV). «À côté de ces grands dossiers sont également abordées des réformes de moindre envergure, mais tout aussi importantes. Il s’agit notamment de créer une ouverture au niveau de l’interdiction du travail le dimanche et de transposer la directive relative à des salaires minimaux adéquats. Ces projets seront déposés dans les mois à venir», complète l’exécutif. «Le projet de loi portant transposition de la directive sur les conditions transparentes et prévisibles et le projet de loi ‘Skillsplang’, en cours de procédure, seront normalement votés avant la fin de l’année», ajoute-t-on.

Facteur d’attractivité

La méthode retenue pour mener de front plusieurs chantiers ambitieux? «Le dialogue avec les partenaires sociaux au niveau du Comité permanent du travail et de l’emploi et de façon bilatérale sera un élément essentiel dans toutes les procédures devant mener à des adaptations majeures du droit du travail», dépeint le ministère du Travail. «Il n’est pas évident de concilier les intérêts des entreprises, des syndicats, des salariés et du gouvernement, intervient Me Philippe Schmit. Peut-être faut-il aussi aller vers davantage de dialogue au sein des entreprises, afin qu’elles puissent gérer cela à la carte, plutôt que d’avoir un carcan rigide s’appliquant à tout le monde. Il faut que tout le monde joue le jeu et que, par exemple, les syndicats, de leur côté, prennent conscience des réalités et que l’on soit prêts à s’éloigner d’un modèle traditionaliste où, lorsqu’on rejoint un employeur, on y effectue toute sa carrière.»

Des bouleversements, de l’avis des avocats consultés, qui seraient un facteur d’attractivité du pays, à l’heure où le recrutement s’est mué en casse-tête. Illustration avec Me Lorraine Chéry, counsel au sein de l’équipe droit du travail du même cabinet Arendt: «Aujourd’hui, la flexibilité est surtout recherchée de l’autre côté de la frontière. La plupart des employeurs ne permettent pas aux salariés frontaliers de travailler au-delà des seuils fiscaux. Cela peut générer de la frustration chez eux, ce qui constitue un réel problème. Le pays a en effet besoin de retenir ces salariés frontaliers indispensables à son développement économique, tout en préservant leur équilibre et leur bien-être. Une solution doit être trouvée.» Quoi qu’il en soit, et d’ores et déjà, «notre rôle a changé», observe Me Philippe Schmit. «Les dossiers d’il y a une vingtaine d’années portaient sur des questions plus basiques, telles que la procédure de licenciement d’un salarié ou la rédaction d’un contrat de travail à travers les clauses obligatoires. À présent, nous sommes davantage devenus des partenaires des entreprises que de simples conseillers. Notre travail n’est plus simplement de transposer un texte juridique, mais de bien comprendre la philosophie de l’employeur et comment il entend mettre le tout en musique. Cela le rend encore plus intéressant, mais également plus complexe, avec des délais de plus en plus réduits, des besoins accrus en termes de réactivité.» L’ascension du col, elle, ne fait que commencer.

2006

Le voisin français avait élaboré le sien il y a plus de 100 ans, dès 1910. Au Luxembourg, il a fallu attendre 2006 pour assister à la naissance du Code du travail. En les abrogeant, le texte qui avait été introduit au cœur de l’été faisait alors la synthèse d’une myriade de lois, articles et règlements, afin de faciliter leur accès comme leur mise en œuvre.

L’enjeu du collectif

Parmi les défis de l’année 2024 figure le seuil de 80% de couverture en conventions collectives dans le pays. Une directive européenne demande en effet aux États membres de l’UE de présenter, d’ici l’automne, un plan d’action pour s’en approcher. Loin d’être aisé. Au Luxembourg, selon les dernières données du Statec, le taux de couverture se situerait en effet autour des 59%… Et, pour rappel, il a fallu quelque 20 années de négociations entre patronat et syndicats pour aboutir à un accord sectoriel dans la restauration collective (3.000 salariés).

«Le sujet des conventions collectives a déjà été discuté une première fois au Comité permanent du travail et de l’emploi, et les équipes du ministère sont en train d’élaborer un document contenant les pistes à retenir», indique le ministère, à quelques mois de la deadline européenne. Par extension, on notera que la notion de collectif sera un enjeu central dans l’avenir du travail au Luxembourg. À l’image de la grève de 25 jours qui s’est déroulée chez Ampacet fin 2023 (la plus longue depuis près de 30 ans), un type de mobilisation que le monde juridique dit s’attendre à voir se répéter dans le futur.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam paru le 22 mai 2024. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

 

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