Il y a dix ans, Stéphanie Jauquet imaginait et lançait le concept Cocottes. D’ici l’an prochain, et après deux nouvelles ouvertures, 18 points de vente seront en fonctionnement. (Photo: Marie Russillo)

Il y a dix ans, Stéphanie Jauquet imaginait et lançait le concept Cocottes. D’ici l’an prochain, et après deux nouvelles ouvertures, 18 points de vente seront en fonctionnement. (Photo: Marie Russillo)

À l’occasion du dixième anniversaire du traiteur Cocottes, Stéphanie Jauquet, la fondatrice du concept, partage avec nous ses souvenirs les plus précieux. Récit très personnel d’une aventure entrepreneuriale toujours plus florissante.

Si elle y songe, les métiers de fleuriste ou d’architecte auraient pu la ravir, également. Une fibre artistique l’anime. C’est en définitive dans la restauration que a trouvé son chemin. Lorsqu’elle a fait part de sa décision, sa famille s’est montrée un tantinet déçue. «Tu vas rester serveuse toute ta vie!», a-t-elle entendu. Sauf qu’elle a pris sa carrière en main. Et pas qu’un peu. D’abord en s’installant, seule, aux manettes d’Um Plateau, qu’elle dirige depuis 2008. Puis est arrivé le phénomène Cocottes. Il y a de cela tout juste dix ans. Tout d’abord à la Cloche d’Or, avant de rapidement essaimer et de compter, aujourd’hui, 16 adresses et 260 collaborateurs. Une ouverture au Kirchberg est dans les tuyaux pour la prochaine rentrée de septembre. Ensuite, ce sera au tour du nouveau Cactus d’Esch-Lallange d’accueillir l’enseigne luxembourgeoise phare sur le créneau du prêt-à-manger.

«C’est passé vite et en même temps, on a vécu énormément de choses. Le stress, les crises, un déménagement… C’était chaud quand même», sourit Stéphanie Jauquet, 51 ans, à l’évocation de la décennie écoulée. Lorsque nous lui avons proposé de piocher dans la boîte à souvenirs les moments, légers ou plus sérieux, l’ayant tout spécialement imprégnée, elle a aussitôt accepté avec enthousiasme.

Rendez-vous a été donné au G.A.N.G., , à la Belle Étoile. La veille, le G.A.N.G. avait accueilli la réception d’anniversaire du centre commercial . Elle est rentrée tard, s’excuse pour les yeux froissés et la fatigue qui l’accompagne. Pendant une demi-heure, il n’en paraîtra rien.

Le souvenir le plus… chaleureux

«Décembre 2014, ouverture du magasin de la rue Beaumont. Auparavant, j’avais bossé durant dix ans dans le commerce en ville. C’était un retour aux sources. L’accueil des commerçants a été… incroyablement chaleureux. L’idée de Cocottes? Avec Salva (Salvatore Barberio, ndlr), , nous avions ouvert une enseigne Red Beef. Mille mètres carrés, une énorme cuisine, mais l’on ne fonctionnait que le midi. Pas le soir. Car, autour, ce n’étaient que des bureaux. Dans les cuisines de ce restaurant, on a commencé à confectionner des sandwiches et des salades. Puis on a condamné un espace de la salle de restaurant pour en faire un magasin. Les personnels commençaient en cuisine très tôt le matin, avant d’enchaîner avec le service au restaurant. Cela a permis de rentabiliser la cellule. Et d’avoir un premier atelier.

Le nom? Cocottes, cela renvoyait à la fois à une communication décalée et aux casseroles en fonte dans lesquelles cuisiner ou aux recettes à base de poulet. Un mélange de tout cela.»

Le souvenir le plus… drôle

«En 2016, inauguration du magasin au Glacis. Notre quatrième ouverture. Mais en fait, les gens ne déchiffraient pas le nom, il a été nécessaire de l’expliquer. Un voisin a même cru que s’ouvrait un cabaret avec des filles. D’autres pensaient pouvoir venir chercher un poulet rôti à la broche. Non, le nom n’était pas compris. On a bien rigolé.

Avec la cuisine qui était la nôtre, on savait que l’on avait de quoi ‘alimenter’ cinq ou six magasins. Ces premières ouvertures, comme celle du Glacis, ont donc d’abord été affaire d’opportunités, en fonction des adresses disponibles. Mais à aucun moment je n’avais envisagé d’en ouvrir autant.»

Le souvenir le plus… résilient

«Événement marquant dans le parcours de Cocottes: le bâtiment abritant le local qui était le nôtre à la Cloche d’Or a été vendu. Le nouveau bailleur a souhaité récupérer l’espace que j’occupais. Il m’a été donné six mois pour partir. Mais je ne déménageais pas un stock de papier toilette, je déménageais une cuisine! Tout s’est un peu effondré autour de moi.

J’ai fini par monter un dossier pour construire un atelier de production, et ainsi ne plus dépendre d’un bailleur. , sur 2.000 mètres carrés. Une période tumultueuse, mais qui aura été un mal pour un bien. De toute manière, la vie de Cocottes n’a jamais été linéaire. En revanche, on a toujours réussi à transformer nos difficultés en force. Pour rebondir. Et trouver des solutions.

À l’arrivée, le déménagement s’est effectué sur deux jours, lors d’un week-end du 15 août. On a arrêté la production le vendredi à 16h, on l’a reprise le lundi à 6h. L’énergie des équipes, c’était… ‘waouh’!»

Le souvenir le plus… émouvant

«Je suis partie de rien. Je n’étais ‘que’ salariée au Luxembourg, je ne reprenais pas une entreprise familiale, je n’avais pas un gros paquet d’argent pour lancer mon activité. Beaucoup de choses, je les ai financées seule. Avant de réinvestir tout ce que je gagnais dans de nouveaux projets. Mais l’atelier de production, c’était une autre échelle. Plusieurs millions d’euros pour acheter un terrain, construire, etc.

On était en 2017. Il me fallait trouver des partenaires ou faire entrer des investisseurs. Depuis mon arrivée au Luxembourg, j’avais un ami, plus âgé que moi, qui s’était toujours montré présent. Pour me conseiller, m’aider, m’accompagner. Un mentor. Un jour, ma fiduciaire me fait savoir qu’elle a trouvé quelqu’un susceptible d’investir dans mon projet. Un déjeuner est organisé au Plateau. Au restaurant, je rejoins la terrasse avec mes comptables pour retrouver cette personne et je découvre… mon ami. Il ne m’avait pas prévenue. Il s’est contenté de me lancer: ‘Tu ne croyais quand même pas que tu allais faire ce projet sans moi?’ À l’arrivée, il m’a prêté une grosse somme d’argent. Grâce à cela, j’ai pu rester indépendante. Et conserver une entreprise à taille humaine, dont je suis la seule actionnaire. Ce monsieur est décédé aujourd’hui. Pierre Brahms. Il n’aurait pas apprécié que je le cite à l’époque.»

«Le service et la gentillesse, c’est ce qui fait la différence», pointe Stéphanie Jauquet, depuis dix ans à la tête de Cocottes, entre autres adresses de cette entrepreneuse dans l’âme. (Photo: Marie Russillo/Maison Moderne)

«Le service et la gentillesse, c’est ce qui fait la différence», pointe Stéphanie Jauquet, depuis dix ans à la tête de Cocottes, entre autres adresses de cette entrepreneuse dans l’âme. (Photo: Marie Russillo/Maison Moderne)

Le souvenir le plus… gratifiant

«Cocottes a reçu quelques récompenses dans son histoire. La dernière en date, ce mois-ci, est le Prix de l’innovation de la Chambre des métiers, pour la mise en place de process dans la gestion du personnel. Mais le souvenir qui me revient, c’est ma participation, à la demande de ma banque, à l’événement Business Woman of the Year, organisé par la Bil. ‘Fais-le, mais ce n’est pas toi qui auras le prix. Généralement, ils sont plus branchés start-tup, tech…’, m’avait-on prévenue. J’y suis donc allée en parlant de mon activité avec tout mon cœur. Et, le jour de la proclamation des résultats, j’y suis retournée en me demandant laquelle des quatre autres participantes j’allais devoir féliciter. Quand mon nom est sorti, j’ai été très surprise et émue. Une reconnaissance. Cela m’a donné confiance. J’étais à ma place. Un tremplin.»

Le souvenir le plus… paysan

«Tous mes projets sont toujours nés grâce à des rencontres. Comme celle avec M. Laplume (Arsène Laplume, ndlr), à la tête d’un centre commercial dans le nord du pays, à Massen. J’y passais quelques fois, je me disais que j’ouvrirais bien Cocottes là-bas. On a sympathisé. Au point, après la visite de son centre commercial, de nous rendre ensemble dans un entrepôt situé juste en face. Là, M. Laplume exposait… un tas de tracteurs. Il était collectionneur d’une marque autrichienne dont j’ai oublié le nom. Toutes ces machines… Improbable. Mémorable. J’étais là pour du business, pour négocier 50 mètres carrés dans une galerie, et je me retrouvais à visiter cette collection. Cela dit, la fille de la campagne que je suis n’était pas dépaysée.»

Le souvenir le plus… design

«2017, autre prix remporté. Cette fois pour le design du commerce, un concours organisé par l’Union commerciale de la ville de Luxembourg. Le magasin du quartier Gare était le lauréat. Cela signait le travail de l’architecte, qui est la même sur pratiquement tous mes projets. Elle était là au début, on s’est perdu de vue, elle est à nouveau là… Cocottes, c’est une aventure humaine avant tout. Mon chef de production travaille avec moi depuis 14 ans. La directrice, Clémentine (Venck, ndlr), est . C’est peut-être ma boîte, mais on forme un duo, et c’est elle qui met tout en place dans les décisions que l’on prend. Il y a un noyau de départ. Des gens qui travaillent comme si c’était leur propre boîte.

L’atmosphère visuelle de Cocottes? Tous les magasins sont différents. On a toujours fait en sorte de faire évoluer le concept, ce n’est pas comme une chaîne avec des codes à respecter. Les choses ont changé en fonction des tendances et des envies de l’architecte. Et pour ne pas ‘s’ennuyer’ dans la conception de nouveaux magasins. L’idée, c’est d’avoir un endroit agréable pour les clients comme pour les collaborateurs.»

Le souvenir le plus… collectif

«On participe depuis quelques années à l’ING Night Marathon. Un moment qui nous est cher. Les collaborateurs sont fiers de porter le t-shirt Cocottes, la casquette G.A.N.G. Un prétexte, en fait, pour se retrouver. Cela correspond à l’esprit d’équipe que je prône. Ce sont d’ailleurs les retours qui me sont faits: ‘Comment fais-tu pour avoir du personnel aussi sympa?’ Peut-être parce que je viens de là. Mon premier job, c’était responsable de salle, au contact des clients. Le service et la gentillesse, c’est ce qui fait la différence.

Ici, tout est fait avec amour. Même si on est 260, on forme une grande famille. Cela s’est vu lors de la journée ‘portes ouvertes’ organisée pour les dix ans, avec visite de l’atelier de production. Certains salariés sont venus avec les enfants, leur grand-mère… Si j’arrêtais, j’aurais mal au ventre à l’idée de laisser mes employés.»