Le syndicaliste Gilbert Goergen a été élu président du conseil d’administration de la CMCM le 3 juillet dernier. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Le syndicaliste Gilbert Goergen a été élu président du conseil d’administration de la CMCM le 3 juillet dernier. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Nouveau président de la Caisse médico-complémentaire mutualiste, Gilbert Goergen cherche à surmonter la crise de gouvernance qui mine la mutuelle. Il présente une feuille de route dont le personnel de la CMCM est la priorité. Le sort du CEO contesté, Fabio Secci, sera tranché à l’automne.

La Caisse médico-complémentaire mutualiste (CMCM) a connu un premier semestre 2024 troublé, marqué par les accusations visant le CEO  (qui se serait notamment octroyé des rémunérations injustifiées) et la destitution de l’ex-président André Heinen (qui aurait laissé pourrir la situation). Le conseil d’administration vient d’élire un nouveau président, Gilbert Goergen, pour remettre de l’ordre dans la maison. Ce fonctionnaire postal préside le syndicat de Post, dont il est aussi membre du conseil d’administration. Il est, par ailleurs, vice-président de la Chambre des fonctionnaires et employés publics (CHFEP) et de la Confédération générale de la fonction publique (CGFP).

Vous prenez la présidence à un moment où la CMCM traverse une crise de gouvernance aiguë. Quelles sont les origines de cette crise?

Gilbert Goergen. – «La situation est assez complexe, mais comme le dit un adage luxembourgeois, le poisson commence toujours à sentir mauvais par la tête («Den Fësch fénkt emmer um Kapp un mat sténcken»). C’est une crise qui, selon moi, prend sa source au niveau de la gouvernance. Les problèmes au sein de la direction et parmi les employés ne sont que des symptômes d’un mal plus profond qui est lié à la manière dont l’organisation est gérée.

Vous dites donc que les problèmes viennent principalement du conseil d’administration?

«Absolument. Ma lecture est que le principal problème était la désorganisation au sein du conseil. Un conseil désuni, avec des factions qui avaient des visions divergentes et des niveaux d’information inégaux, ce qui mène à des décisions prises dans l’ignorance de certains faits essentiels. C’est une situation très difficile à gérer.

Un exemple?

«Prenons l’exemple des investissements informatiques. Une décision a été prise concernant la fin d’un partenariat avec une société, sans que nous disposions de tous les éléments nécessaires pour faire un choix éclairé. La décision s’est avérée bonne, mais elle aurait pu être prise plus tôt, ou pire, elle aurait pu être mauvaise. Cela illustre le défaut de communication et de gestion au sein du conseil, où certaines décisions étaient prises en petits comités après les réunions officielles, sans informer le reste du conseil.

Vous avez rejoint le conseil d’administration fin 2022. Avez-vous immédiatement constaté des dysfonctionnements?

«Oui, dès la deuxième séance. Lors de ma première séance, j’ai demandé des rapports rétroactifs du conseil couvrant les 6 à 8 derniers mois, mais on m’a refusé l’accès en disant qu’on ne me connaissait pas assez. Cela m’a interpellé car, en tant qu’administrateur, j’avais le droit à cette information. Ce refus a persisté jusqu’en décembre dernier.

Après deux ou trois mois comme administrateur, j’ai constaté que les structures n’avaient rien à voir avec celles que je connaissais dans d’autres établissements, en particulier Post et le Fonds du logement. Leur conseil d’administration est vraiment très bien organisé, avec un suivi de chaque dossier, une projection budgétaire d’une année à l’autre, un examen des risques… À la CMCM, il n’y avait rien de tout cela.

Je veux donner à chaque membre du conseil une responsabilité directe dans la gestion.
Gilbert Goergen

Gilbert GoergenprésidentCMCM

Des problèmes ont-ils été ignorés au sein de la CMCM pendant des années?

«C’est fort possible, et c’est une des raisons pour lesquelles nous avons opté pour un changement radical. Nous ne pouvons pas tolérer de telles pratiques.

En février, André Heinen a perdu son poste de président. Il a fait recours. Qu’est-il advenu de ce recours?

«Il l’a finalement retiré, ce qui était sensé. Notez que la réunion extraordinaire qui a conduit à sa destitution, en février, avait été demandée par huit administrateurs – dont moi – pour discuter des problèmes. C’est le refus de M. Heinen de dialoguer qui a rendu son éviction inévitable.

Comment envisagez-vous de résoudre ces problèmes de gouvernance?

«Mon objectif est de restaurer une transparence totale et d’assurer que toutes les décisions soient prises sur une base équitable et bien informée. Il est crucial que chaque membre du conseil ait le même niveau d’information et que les décisions soient prises collectivement. Nous devons travailler comme une entité unie pour redresser la situation et restaurer la confiance en la gestion de la CMCM.

Retrouver la sérénité prendra plus de temps que le temps qu’il a fallu pour causer ces dommages. Cela ne se fera pas en quelques mois, c’est presque impossible. Mais nous avons commencé à établir une gouvernance saine et transparente. Je suis heureux de constater que les nouveaux membres du conseil partagent des valeurs similaires, ce qui a facilité les premiers pas vers une gouvernance qui fonctionne.

Avez-vous réussi à mettre de l’ordre au sein du conseil?

«Au niveau du conseil, oui, l’ordre est rétabli. Nous avons instauré un bureau exécutif et créé six commissions, alors qu’il n’y en avait que trois auparavant qui n’ont pas vraiment fonctionné. Je veux donner à chaque membre du conseil une responsabilité directe dans la gestion de nos affaires. Cela représente un petit choc pour certains, mais je crois fermement que c’est la meilleure approche pour responsabiliser et valoriser les compétences de chacun.

Gilbert Goergen charge son prédécesseur à la tête du conseil d’administration, André Heinen: «Personne au sein du conseil n’a remis en question ces paiements à l’époque.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Gilbert Goergen charge son prédécesseur à la tête du conseil d’administration, André Heinen: «Personne au sein du conseil n’a remis en question ces paiements à l’époque.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Que faites-vous des accusations visant le CEO, Fabio Secci? Notamment sur ses rémunérations jugées excessives pour représenter l’entreprise à l’extérieur?

«La situation de M. Secci a beaucoup été médiatisée, avec des informations véridiques, mais aussi des accusations exagérées. Il a été jugé sans réelle possibilité de se défendre. Juridiquement, il n’a rien à se reprocher, ce qui rend difficile d’envisager un licenciement. Toutefois, d’un point de vue moral et éthique, il y a des comportements qui auraient dû être contrôlés. Si j’avais été président à l’époque des faits, j’aurais refusé certaines de ses demandes, qui étaient systématiquement acceptées par le conseil précédent sans contestation.

Comment justifiez-vous le maintien de M. Secci malgré ces critiques?

«M. Secci est venu à la CMCM en provenance du secteur bancaire, où il avait un certain niveau de rémunération. Il est rare qu’une personne accepte un poste avec une baisse de salaire significative. À l’époque, sa rémunération a été fixée d’un commun accord et sans objections. De plus, M. Secci a souvent travaillé bien au-delà des 40 heures hebdomadaires, y compris les week-ends.

Ces fameuses indemnités de représentation sont-elles compatibles avec l’esprit mutualiste dont se réclame la CMCM?

«Il faut replacer les choses dans leur contexte: c’était les premières étapes de la réorganisation de la CMCM avec un directeur ayant une vision différente, venant du secteur bancaire. Il est vrai qu’il y a eu quelques indemnités discutables. Cependant, personne au sein du conseil n’a remis en question ces paiements à l’époque. C’est une responsabilité partagée, et les critiques doivent également s’adresser à ceux qui ont permis ces pratiques.

Quelles mesures ont été prises concernant sa rémunération?

«Lorsque j’ai rejoint le conseil, j’ai immédiatement signalé que la structure de rémunération ne me semblait pas appropriée. Nous avons revu et ajusté cela il y a environ un an et demi, avec l’introduction de nouveaux membres au conseil en 2022, qui ont également soutenu ce changement. M. Secci lui-même était d’accord avec cette révision, la trouvant bénéfique. Un directeur général ne devrait pas avoir à réaliser un fichier Excel pour communiquer son salaire au conseil d’administration…

M. Secci était ‘Monsieur CMCM’. C’est peut-être allé un peu trop loin, mais cela va changer.
Gilbert Goergen

Gilbert GoergenprésidentCMCM

Est-ce que M. Secci s’est senti intouchable, sans personne pour contester ses décisions?

«M. Secci était ‘Monsieur CMCM’. C’est peut-être allé un peu trop loin, mais cela va changer. On devrait mettre en valeur la CMCM et pas une personne. Bien qu’il ait très bien représenté la CMCM et mis en place des initiatives importantes, M. Secci a failli dans sa gestion des relations humaines. C’est là où le bât blesse, et c’est un problème que nous devons absolument résoudre.

Comment?

«Notre feuille de route commence par le personnel, qui attend des clarifications. Nous espérons retrouver un dialogue sain et constructif. Nous nous pencherons notamment sur les actions de médiation déjà entreprises. Le conseil d’administration doit également réévaluer le rôle de la direction, pas seulement celui de M. Secci, mais des trois directeurs actuels. Nous devons examiner si la structure actuelle peut encore fonctionner à l’avenir. C’est encore trop tôt pour prendre une décision, mais nous devons envisager un changement à ce niveau.

M. Secci peut-il rester en poste?

«Tout est possible. Nous devons déterminer sa place appropriée au sein de la structure de la CMCM, et cela demande encore une analyse approfondie. Il y a beaucoup à discuter et je tiens à souligner que la responsabilité ne repose pas uniquement sur M. Secci, mais sur l’ensemble du collège de direction.

Quand déciderez-vous du maintien en poste de M. Secci?

«Nous avons un plan en plusieurs étapes. Après avoir clarifié la gouvernance et les questions liées au personnel, nous examinerons la structure de la direction. Je ne peux pas confirmer que la composition actuelle de la direction restera inchangée. Le conseil d’administration prendra une décision à ce sujet autour de septembre ou octobre, si nous tenons notre calendrier.

Quelles sont les autres étapes de cette feuille de route?

«Nous examinerons ensuite les propositions des mutuelles pour amender le statut de la mutuelle. Nous prévoyons aussi de discuter avec notre ministre de tutelle, Mme Deprez, car je pense que la législation actuelle nécessite des ajustements pour améliorer notre fonctionnement. Ma vision pour les mutuelles est qu’elles devraient être réglementées de manière plus similaire aux associations sans but lucratif.

La clé est de discuter ouvertement de tous les problèmes jusqu’à ce que nous puissions prendre une décision informée. Et ce sera le conseil d’administration qui prendra les décisions finales, pas le directeur général.»