Les origines du projet de la Cloche d’Or à Luxembourg remontent au début des années 1990. L’entrepreneur commence alors à acquérir des terrains avec son père et compose patiemment un vaste ensemble foncier. «C’est un endroit que je connaissais bien, j’y passais souvent», se souvient l’homme d’affaires. «Je voyais qu’une grande partie de ces terrains n’étaient pas encore construits. En me renseignant, j’ai appris que beaucoup d’entre eux étaient déjà dans le plan d’aménagement général (PAG). Nous les avons achetés, progressivement, en passant non pas par un compromis, mais directement par un acte notarié. Puis j’ai confié à P.Arc l’élaboration d’un master plan pour développer un nouveau quartier.» Sur ces terres, environ 600.000 m2 peuvent être construits. De quoi rêver en grand…
Un premier master plan est élaboré pour réaliser un projet privé, mais devant l’ampleur du quartier, la Ville de Luxembourg demande en 2004 la réalisation d’un master plan public placé sous la coordination du ministère de l’Intérieur. «Nous avons donc réuni un comité de pilotage avec les différents ministères impliqués, à savoir les ministères de l’Intérieur, de l’Économie, des Transports, de l’Environnement, ainsi que l’Administration des ponts et chaussées, la Ville de Luxembourg et la Commune d’Hesperange», précise , directeur de Grossfeld PAP, société en charge du développement de la Cloche d’Or. «Nous avions déjà choisi à l’époque une équipe multidisciplinaire pour préparer ce master plan: P.Arc, un partenariat entre Schemel Wirtz Architectes Associés et Itten + Brechbühl; le professeur Topp de l’Université de Kaiserslautern, pour la circulation; le bureau Förder Demmer, pour les études environnementales, et les ingénieurs du bureau R+T.»
Les points saillants du master plan
Dès le départ, les intentions urbanistiques sont très claires. La mobilité, sous tous ses aspects, est au cœur des attentions, selon Michel Knepper: «Elle devait passer par des transports en commun, avec le train, le bus, le tram, mais aussi la mobilité douce, avec la création d’un réseau de pistes cyclables, et des accès pour la mobilité motorisée individuelle, avec la prise en compte des deux entrées d’autoroute qui desservent le quartier.»
La première chose qui m’a attiré à propos de ce projet est que les terrains étaient déjà destinés à être une zone mixte. Pouvoir construire à la fois du bureau, du logement et du commerce était très excitant.
Puis il y a l’importance de la présence d’espaces verts, avec la décision de remettre à ciel ouvert le cours d’eau Weierbach et de créer un couloir écologique qui apporte de la fraîcheur depuis la ville. La Ville de Luxembourg arrivera par la suite avec la volonté de créer un nouveau parc municipal, le plus grand de la capitale. La mixité des fonctions était aussi adressée dès le début, avec l’intention de créer un quartier vivant, mélangeant des immeubles de bureaux, des commerces et des logements. À noter toutefois que sur les 600.000 m 2 privés qui pouvaient être construits, la Ville de Luxembourg exigeait à l’époque seulement 52.000 m2 de logements, ce qui a changé par la suite, puisque la surface résidentielle atteindra à terme 220.000 m2.
«La première chose qui m’a attiré à propos de ce projet est que les terrains étaient déjà destinés à être une zone mixte», explique Flavio Becca. «Pouvoir construire à la fois du bureau, du logement et du commerce était très excitant. C’est pour cela que l’orientation de notre master plan se définissait avec trois mots-clés: vivre, travailler et loisirs.» Mais c’était sans compter l’opposition des riverains…
Not in my backyard
Dans le cadre de la consultation publique pour le PAG, il y a eu une levée de boucliers de la part du Syndicat d’intérêts locaux de Gasperich. «Ils ont exprimé alors un mécontentement sur la densité prévue, la hausse de la circulation et le risque que celle-ci soit déportée dans le quartier existant, le type de population (étrangère) que le nouveau quartier allait amener et la peur que le centre commercial tue le commerce de proximité déjà existant à Gasperich», se remémore Michel Knepper.
Quand je suis arrivé en 2007 chez Grossfeld PAP, nous avons pris contact avec le syndicat de riverains, expliqué en détail le projet, et cela s’est beaucoup mieux passé.
L’affaire est allée jusque devant les tribunaux et a duré un certain temps. Finalement, la Ville de Luxembourg a gagné le procès et les travaux ont pu commencer. «Nous nous sommes toutefois aperçus que ces mécontentements étaient principalement venus d’un manque de communication et d’explications sur le projet de la part des politiques. Aussi, quand je suis arrivé en 2007 chez Grossfeld PAP, nous avons pris contact avec le syndicat de riverains, expliqué en détail le projet, et cela s’est beaucoup mieux passé. Et heureusement, car nous devions par la suite encore déposer des plans d’aménagement particulier (PAP), des permis de construire pour lesquels des recours sont toujours possibles et qui auraient eu pour conséquence de régulièrement empêcher le développement du quartier.»
Une forêt de grues
En 2010, le projet est devenu exécutoire. Depuis une dizaine d’années donc, le quartier de la Cloche d’Or se construit à un rythme soutenu et commence à vivre. Ont d’abord été construits les infrastructures routières (boulevard Raiffeisen et Kockelscheuer), les sièges de bureaux (PwC, Deloitte, Alter Domus), un premier îlot résidentiel (quartier Parc), le campus Vauban, le centre commercial. Puis le Centre national d’incendie et de secours, d’autres immeubles de bureaux (Intesa Sanpaolo, Bijou, Spaces, Darwin II, Bronze Gate) et îlots résidentiels (Weierbach).
Actuellement, deux immeubles de bureaux sont en construction (), un troisième est en attente d’autorisation (Stairs) et un B&B Hotels est aussi dans les tuyaux. Le volet résidentiel se poursuit dans le quartier Weierbach, avec notamment les trois nouvelles tours Skyview, dont la centrale sera vraisemblablement dédiée au coliving.
Nous avons essayé d’améliorer les réflexions qui ont été menées au Kirchberg, en introduisant notamment des immeubles hauts le long du boulevard, et de livrer du logement en plus grand nombre, ce dont Luxembourg a cruellement besoin.
Des critiques formulées
Pourtant, le quartier ne fait pas l’unanimité. Certifié DGNB Platinum, le projet, sur le papier, coche toutes les cases (environnement, énergie, mobilité, mixité…). Mais dans l’usage, des points sont à améliorer. «Tout n’est pas parfait, je le reconnais, mais c’est en tombant qu’on apprend à marcher», justifie Flavio Becca. «Toutefois, nous avons démontré que réaliser un nouveau quartier mixte en une dizaine d’années est possible. Nous avons essayé d’améliorer les réflexions qui ont été menées au Kirchberg, en introduisant notamment des immeubles hauts le long du boulevard, et de livrer du logement en plus grand nombre, ce dont Luxembourg a cruellement besoin. Et je ne pense pas qu’il y ait un projet nouveau au Luxembourg où il y a autant de verdure.»
À la remarque concernant la difficulté du piéton à trouver sa place, Michel Knepper répond: «Je ne suis pas d’accord avec cette remarque, car les trottoirs sont larges et il y a aussi de nombreux passages entre les blocs qui leur sont réservés. Mais je reconnais qu’il n’est pas aisé en ce moment de circuler, car il y a encore beaucoup de chantiers. Je pense que le confort pour les piétons sera tout autre une fois le quartier entièrement achevé.»
Il reste toutefois deux problèmes à résoudre: celui de la descente vers Hesperange et celui de la liaison avec Leudelange.
Quant à la largeur des boulevards, souvent décrite comme disproportionnée, il existe une explication, continue Michel Knepper: «Cette largeur est imposée par l’Administration des ponts et chaussées. Le boulevard Raiffeisen est considéré comme une des entrées principales en ville. Le boulevard de Kockelscheuer est conçu comme une transversale pour garder le lien direct avec le quartier de la gare. Ce dimensionnement important est aussi lié au fait que ces artères ne doivent pas uniquement desservir la nouvelle Cloche d’Or, mais également le zoning existant de la Cloche d’Or, qui va être densifié dans les années à venir, tout comme celui de Gasperich, qui va être reconverti en un nouveau quartier. Ces boulevards serviront aussi, à long terme, à desservir ces autres parties de la ville qui accueilleront plus de personnes.»
Et Flavio Becca d’ajouter: «Ce choix est certainement judicieux, puisque les services du CGDIS ont choisi de venir installer ici leur nouveau centre. Grâce à cette infrastructure routière, ils peuvent accéder rapidement à toutes les voies. Il reste toutefois deux problèmes à résoudre: celui de la descente vers Hesperange et celui de la liaison avec Leudelange. Il faut que les Ponts et Chaussées aient une réflexion sur ces liaisons. Je pense que les reproches que nous recevons vont s’éteindre d’eux-mêmes, une fois que tous les chantiers seront finis, aussi bien les nôtres que ceux du tram, avec l’ouverture du nouveau tronçon au printemps 2024.»
Des solutions apportées
Toutefois, ces remarques ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd et les développements sont constamment adaptés pour être améliorés. L’îlot D Sud, par exemple, inclus plus de commerces en pied d’immeubles. «Je dis toujours que ce sera comme une place de Strasbourg n° 2», déclare Flavio Becca. «Et nous n’allons pas procéder de la même manière que dans l’îlot A, à savoir vendre les cellules commerciales à un tiers, mais les garder dans notre portefeuille pour pouvoir accompagner au mieux les commerçants qui souhaitent s’installer ici et dialoguer avec eux pour qu’ils puissent trouver le bon équilibre financier pour exercer leur activité. Notre volonté est maintenant d’amener des commerces de quartier, c’est-à-dire un boulanger, un primeur, un boucher, un bistrot, un fleuriste… afin de créer un vrai cœur de quartier, comme dans des centres-villes plus anciens.»
«Le commerce de proximité n’arrive que maintenant, car nous avons aujourd’hui la masse critique d’habitants qui permet de faire vivre ces petits commerces», poursuit Michel Knepper.
Des difficultés persistantes
Toutefois, Flavio Becca ne cache pas un certain agacement sur plusieurs points: «Il y a quand même un phénomène au Luxembourg qui pose problème: nous sommes très certainement le pays en Europe où construire du résidentiel coûte le plus cher. Et cela est dû, entre autres, au dimensionnement des surfaces de circulation intérieure qui nous sont imposées au niveau national pour la sécurité.
Je m’explique: si, par exemple, le règlement européen demande une cage d’escalier d’une largeur minimum d’un mètre, le Luxembourg imposera 1,50 m. Tout est surdimensionné, et pour nous, en tant que promoteur, ce sont des surfaces perdues, car invendables, mais qu’il faut construire et donc financer. La différence entre la surface brute que je construis et la surface nette que je peux vendre dans des projets à hauteur (des projets avec plus de cinq étages, nldr) est de l’ordre de 35 à 38%! Et c’est le même problème avec les infrastructures que nous devons en partie financer. Pour la Cloche d’Or, ce coût représente 40 millions, tout de même. Et je me bats pour que ces infrastructures soient correctement dimensionnées, et ne résultent pas de calculs aberrants imposés par des fonctionnaires.»
Un chantier qui dure plus longtemps est un chantier qui coûte plus cher. Il n’y a pas de coordination entre les services de la Ville de Luxembourg, et c’est la réalité à laquelle nous sommes confrontés.
L’autre point noir est celui, bien connu, de la lourdeur et de la lenteur administratives. «Si on regarde ce que nous arrivons à faire en 10 ans et la vitesse à laquelle avancent les projets menés par l’État ou les communes, ce n’est en rien comparable», souligne Flavio Becca. «Regardez, par exemple, le retard qu’a pris la livraison du parc de Gasperich. Le parc et les logements adjacents devaient initialement être livrés en même temps. Les appartements l’ont été en 2019, et le parc seulement il y a quelques semaines, et encore, sans la brasserie. Or, un chantier qui dure plus longtemps est un chantier qui coûte plus cher. Il n’y a pas de coordination entre les services de la Ville de Luxembourg, et c’est la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Autre exemple: les routes de la Cloche d’Or sont ouvertes depuis 2016. Nous sommes en 2023 et nous n’avons toujours pas de décompte, ni même de cession officielle. On parle toujours de la simplification administrative, mais elle n’existe pas. Et encore, on est mieux loti à Luxembourg que dans une petite commune du pays.»
L’avenir
S’il reste encore beaucoup à faire à la Cloche d’Or, cela n’empêche pas Flavio Becca de regarder plus loin. À la tête de Promobe, il a à cœur de diversifier l’activité du groupe. «En plus de l’immobilier, nous sommes devenus aussi un acteur important de l’alimentation, notamment en gros, un secteur qui a encore beaucoup de potentiel. C’est pourquoi nous sommes en train d’envisager de produire directement certains produits et de devenir un acteur qui compte dans l’agroalimentaire», affirme-t-il. «Si je pouvais être en roue libre, je ferais beaucoup plus. Mais je suis régulièrement contraint, et souvent par jalousie. Je suis quelqu’un qui dérange, je gêne. Mais cela ne m’empêche pas d’avancer. Je vais chercher mes droits et je fais rectifier les erreurs.»
Actuellement, il développe également des projets à l’étranger: au golf de Preisch en France, en Italie pour des projets mixtes avec de l’hôtellerie, de la restauration… «Et il y a d’autres projets immobiliers au Luxembourg, dont deux gros projets, très gros, plus gros que la Cloche d’Or. Mais je ne peux pas encore vous en dire plus…»
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , disponible en kiosque dès ce 12 juillet. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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