Pour Claude Meisch, il était important que les Écoles européennes publiques prévoient l’apprentissage du luxembourgeois dans leur curriculum. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Pour Claude Meisch, il était important que les Écoles européennes publiques prévoient l’apprentissage du luxembourgeois dans leur curriculum. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Les écoles européennes publiques poussent comme des champignons pour compléter l’offre éducative du Luxembourg. Avec le ministre de l’Éducation, Claude Meisch, nous avons parlé de la cohésion sociale du pays, du défi posé par l’alphabétisation en français et de la place de la langue luxembourgeoise.

D’un point de vue historique, notre système scolaire construit l’image du citoyen trilingue idéal, parlant couramment le luxembourgeois, le français et l’allemand. Comment réaliser cet idéal aujourd’hui, alors que beaucoup d’enfants ne parlent ni le luxembourgeois ni l’allemand à la maison?  

. – «La langue luxembourgeoise, mais aussi le multilinguisme, fait partie de notre identité et se reflète depuis toujours dans notre système scolaire et éducatif. Or, la très forte immigration et la diversification de la population ces 50 dernières années présentent un vrai défi pour la scolarisation des enfants. Nous scolarisons chaque année à peu près 3.000 enfants qui ont commencé leur scolarité dans un autre pays, un autre système scolaire avec une autre langue, auxquels il faut garantir une certaine continuité de la scolarité. Seulement un tiers des enfants grandissent dans des familles où la langue luxembourgeoise est la première langue parlée à la maison.

Notre système scolaire traditionnel n’est plus adapté à cette situation, avec une alphabétisation en allemand. À mon avis, et selon de nombreux experts de l’Université du Luxembourg ou d’ailleurs, cela pose problème. Les élèves qui sont orientés ensuite vers les lycées secondaires classiques sont majoritairement Luxembourgeois. Ceux qui sont orientés vers la voie de préparation sont majoritairement d’une autre nationalité. Cela m’interpelle, et je veux changer cette situation. 

Vous avez longtemps été bourgmestre de Differdange. Cette École européenne publique a-t-elle été créée à votre initiative?

«Je me suis longtemps battu en tant que bourgmestre pour que la ville de Differdange, troisième ville du pays, très multiculturelle, très cosmopolite, accueille un lycée. Presque tous les élèves, après le fondamental, ont dû quitter la ville pour continuer leur scolarité ailleurs. Et l’ancien gouvernement, avec l’ancienne ministre, avait prévu d’y installer un lycée classique. Connaissant la population, je savais que très peu d’élèves de Differdange se seraient orientés vers le classique et que le bâtiment risquait de rester vide. Quand je suis devenu ministre, j’ai chargé les services de revoir ce projet et de me proposer quelque chose qui correspondrait mieux à la population locale. C’est alors que l’idée de créer une École européenne agréée a vu le jour. 

Quelles sont les langues dans lesquelles les enfants peuvent être alphabétisés dans ces Écoles européennes publiques?

«Il y a trois langues dans lesquelles on peut être alphabétisé: l’allemand, le français ou l’anglais. Et puis, les élèves peuvent choisir une langue différente comme langue étrangère. On peut, par exemple, choisir une alphabétisation en anglais ou en français, et ensuite choisir, comme première langue, le portugais, afin d’y atteindre le plus haut niveau. C’est la principale différence par rapport au système traditionnel, où l’alphabétisation se fait en allemand, puis vient le français, et ensuite l’anglais, et peut-être encore d’autres langues étrangères. En principe, on essaie de développer jusqu’au baccalauréat le même niveau en allemand, en français ou en anglais. Les Écoles européennes proposent aux élèves un parcours linguistique plus flexible. 

À la prochaine rentrée, nous aurons six Écoles européennes publiques, à Differdange, Junglinster, Mondorf, Clervaux, Mersch et dans la ville de Luxembourg. Est-ce que vous comptez en ouvrir d’autres dans le pays?

«Il y a des discussions, oui, mais l’important était de proposer d’abord une offre dans toutes les régions du pays. Nous avons beaucoup insisté pour ouvrir celle qui sera sur le territoire de la ville de Luxembourg, avec 70% de résidents non luxembourgeois. Outre les Écoles européennes publiques, d’autres programmes internationaux publics existent, comme les A grades du Lycée Michel Lucius, les bacs internationaux proposés par l’Athénée, ou encore le Lycée technique du Centre ou d’autres écoles.

Les Écoles européennes ont été conçues et développées pour intégrer dans une seule école des élèves de différentes langues maternelles.
Claude Meisch

Claude Meischministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse

C’est une sacrée concurrence pour les écoles privées internationales, où les minervals commencent à 11.000 ou 19.000 euros l’année…

«Toutes les écoles ont leur place au Luxembourg. Nous connaissons une croissance démographique énorme. Pour chaque école, il y a assez d’élèves, même pour les écoles internationales payantes demandant un certain minerval. 

À quelle hauteur l’État luxembourgeois les subventionne-t-il?

«Jusqu’à 40% du coût moyen par élève du système public.

Quelle est la place réservée à la langue luxembour­geoise? Quelle sera la maîtrise du luxembourgeois des enfants qui termineront leur baccalauréat dans les Écoles européennes publiques?

«Je connais beaucoup de personnes qui ont grandi au Luxembourg et qui ont fréquenté l’École européenne au Kirchberg ou autre, et qui, aujourd’hui, ne parlent pas du tout le luxembourgeois. Leurs parents pensaient qu’ils ne resteraient au pays que pour deux ou trois ans, or ils sont toujours là. C’est la raison pour laquelle nous avons beaucoup insisté pour que les Écoles européennes publiques prévoient l’apprentissage du luxembourgeois dans leur curriculum, et ce à partir de la première année du primaire jusqu’à la troisième année du secondaire. C’est obligatoire pour tous les élèves. Et n’oublions pas que, dans les maisons relais et les services d’éducation et d’accueil, la langue luxembourgeoise est souvent la langue dominante. Il y a du ­personnel luxembourgeois, des activités en luxembourgeois. 

Comment assurez-vous le contrôle de la qualité de l’enseignement dans ces établissements?

«Les Écoles européennes agréées sont soumises à une évaluation régulière, ce qui n’est pas le cas de nos écoles publiques. Leur dossier a déjà dû être accepté par le Conseil supérieur des Écoles européennes. Elles sont régulièrement inspectées. Il y a un rapport annuel de l’inspection du Conseil supérieur des Écoles européennes, vérifiant la qualité de l’enseignement, mais aussi le respect du curriculum et du concept des Écoles européennes. En outre, nous envisageons une étroite collaboration avec l’Université du Luxembourg, notamment le Luxembourg Centre for Educational Testing. L’idée est d’intégrer les Écoles européennes publiques et les autres écoles internationales au Luxembourg dans le ­système du monitoring scolaire. Plusieurs tests impliquant la totalité des élèves sont prévus. Le tout est d’avoir une vue ­horizontale du développement des compétences. 

Qu’en est-il de la concurrence par rapport au système traditionnel? Ces Écoles européennes publiques ne risquent-elles pas de faire de l’ombre au système traditionnel? Ne craignez-vous pas que tous les Luxembourgeois veuillent s’y inscrire?

«Je crois que c’est aussi un avantage pour les résidents luxembourgeois d’avoir une alternative. Nous pouvons être fiers de ce que nous avons construit. Les parents ont beaucoup plus de choix. Il faut investir davantage dans l’orientation. 

Dans le système traditionnel, tous les élèves sont encore alphabétisés en allemand… Que comptez-vous changer en priorité dans le système traditionnel luxembourgeois?

«Il faut faire deux choses. Il restera toujours un besoin en ce qui concerne les écoles internationales, parce qu’il n’y a pas un type d’élèves, disons, “étrangers”. Il y a bien sûr ceux qui viennent plutôt d’une famille lusophone, parlant portugais, et maîtrisant au moins le français à la maison. Là, une alphabétisation en français est une bonne alternative au système traditionnel. Nous sommes en train de lancer des projets pilotes dans quatre écoles. Nous voulons proposer aux parents d’une population plutôt romanophone d’alphabétiser leurs enfants en français. La première langue sera donc le français, et la deuxième, l’allemand. Le tout dans le but d’avoir tous les élèves au même niveau dans les deux langues pour ­assurer une orientation commune.

Claude Meisch: «Nous sommes en train de lancer des projets pilotes dans quatre écoles. Nous voulons proposer aux parents d’une population plutôt romanophone d’alphabétiser leurs enfants en français.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Claude Meisch: «Nous sommes en train de lancer des projets pilotes dans quatre écoles. Nous voulons proposer aux parents d’une population plutôt romanophone d’alphabétiser leurs enfants en français.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Quelles sont les communes qui participent au projet pilote?  

«Nous sommes en discussion avec quatre communes et quatre écoles: Differdange, Larochette, Dudelange et Schifflange. Il y a d’autres demandes d’autres communes, mais nous souhaitons limiter l’offre, comme il s’agit d’un projet pilote. Nous voulons l’accompagner pour l’évaluer et en retirer dans quelques années des conclusions pour voir si c’est un modèle qui peut être généralisé. L’idée est de proposer aux parents une alphabétisation alternative en français pour leurs enfants. L’alphabétisation en allemand restera évidemment en place. Nous voulons garantir qu’au cycle 4 les deux groupes se rejoindront pour être orientés dans les mêmes écoles.

Quelle est la date de lancement de ce projet pilote? 

«Il sera lancé cet automne, en septembre 2022, et débutera au cycle 1, donc à la Spillschoul, ou au cycle 2. La présence de la langue française sera beaucoup plus importante au niveau du cycle 1. Il faut savoir, et ça a été démontré, qu’il n’y a pas de solution facile. Un enfant portugais dont la langue maternelle est la langue portugaise n’est pas censé comprendre le français au moment de l’alphabétisation.

Les Luxembourgeois peuvent-ils aussi s’inscrire dans ces classes?

«En principe, oui. Ce n’est pas une question de nationalité. Cela relève plutôt du choix des parents. Nous devons attendre l’évaluation de ce projet pilote pour voir si l’on peut vraiment assurer une orientation commune vers le secondaire. Ce sera au prochain gouvernement de décider s’il veut généraliser ce modèle ou non. À côté du développement du système traditionnel, il restera toujours un besoin pour des écoles internationales. La diversité est tellement importante…

Certaines voix estiment que les dernières réformes ont entraîné un nivellement vers le bas à cause d’une politique de laissez-passer dans les lycées traditionnels. Qu’est-ce que vous leur répondez?

«Depuis 2.000 ans, l’humanité croit que la nouvelle génération ne répond plus aux besoins et au profil de la génération précédente, et qu’elle en entraîne le déclin. Les jeunes d’aujourd’hui ont d’autres compétences. Et, oui, nous avons une réalité différente de celle des programmes scolaires officiels. On attend d’un élève, au moment de son bac dans le système traditionnel, que ses compétences en français, en allemand et en anglais soient identiques à celles qu’il a dans sa langue maternelle. Nous savons très bien qu’avec un bac de 30 points sur 60, cela ne sera pas forcément le cas. Mais il faut voir la réalité en face. Beaucoup de personnes ayant effectué leur scolarité ailleurs et ne maîtrisant pas les trois langues réussissent très bien leur vie au Luxembourg. 

On encourage surtout une réflexion algorithmique chez les enfants.
Claude Meisch

Claude Meischministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse

Peu importe avec qui on parle, que ce soit dans la finance, dans la tech, on manque énormément de talents. Que peut-on faire pour former davantage de personnes compétentes sur notre territoire? 

«Il faut commencer très tôt. Les élèves en classe de première que je rencontre ont des idées très précises quant à leur avenir. Leur suggérer d’aller faire des études en informatique à ce moment-là, c’est presque trop tard. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé l’enseignement du coding dans le fondamental à partir du cycle 2 – d’une manière très ludique, adaptée à l’âge des élèves. On encourage surtout une réflexion algorithmique chez les enfants. En septembre dernier, nous avons également lancé une nouvelle branche au niveau du lycée, les sciences informatiques. Les trois premières années du secondaire, peu importe s’il s’agit d’un lycée classique ou du général, chaque élève découvrira le monde digital, ce qui n’était pas le cas avant. 

Les élections législatives, c’est déjà pour l’année pro­chaine. Est-ce que vous êtes intéressé par un troisième mandat à la tête du ministère de l’Éducation? 

«J’espère que vous l’avez remarqué, j’ai encore des ambitions et des idées à réaliser. La question de la distribution des ministères, et si je faisais partie d’un nouveau gouvernement, ne se pose pas actuellement. Jusque-là, il y a encore du chemin à faire et beaucoup de travail.

La matière de l’éducation nationale vous tient-elle toujours à cœur? 

«Oui, absolument. Sinon, je n’aurais pas choisi ce ministère pour la deuxième fois. C’est devenu une passion.»

Cet article a été rédigé pour  de l’édition  parue le 22 juin 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. Votre entreprise est membre du Paperjam Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via