Nouvel hôpital – L’hôpital de campagne dressé près du CHL n’a pas été utilisé, mais la crise sanitaire a ravivé l’intérêt d’un hôpital militaire, selon le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, François Bausch. (Photo: Matic Zorman/Archives Maison Moderne)

Nouvel hôpital – L’hôpital de campagne dressé près du CHL n’a pas été utilisé, mais la crise sanitaire a ravivé l’intérêt d’un hôpital militaire, selon le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, François Bausch. (Photo: Matic Zorman/Archives Maison Moderne)

La crise du Covid-19 a mis en évidence l’absolue nécessité d’un système de santé solide et bien structuré pour absorber le choc d’une pandémie. De quoi replacer les investissements de santé en première position sur l’agenda du gouvernement.

Le budget 2020 devait être placé sous le signe de la lutte contre le changement climatique. La crise du Covid-19 a bouleversé l’ordre établi. «Les grandes priorités resteront la mobilité, le logement, l’éducation, mais il va falloir y ajouter la santé», indique le vice-Premier ministre, (Déi Gréng), dans son interview à Paperjam, évoquant un «réajustement» du programme gouvernemental avant l’été.

Certes, le Grand-Duché a, pour le moment, traversé la tempête. «L’épidémie a été modérée au Luxembourg, note Marie-Lise Lair, consultante Santé et auteur de l’audit sur les urgences de 2017 et de l’état des lieux de la démographie des médecins et professions de santé en 2019. Les décisions prises étaient tout à fait adaptées et ont aidé considérablement à gérer l’épidémie. Il n’y a jamais eu de surcharge des services de réanimation. Les hôpitaux ont eu des cas de Covid-19 à gérer, mais ont été capables de le faire sans rencontrer les difficultés vécues dans d’autres pays.»

Cette crise sanitaire a montré que le système hospitalier est résilient. Certains le disaient à bout et malade. Il n’aurait pas réussi à gérer la crise si cela avait été le cas.

Pr Gilbert Massarddirecteur de l’enseignement médicalUniversité du Luxembourg

«L’organisation sanitaire a fait ses preuves dans ce test d’effort, estime le Pr Gilbert Massard, directeur de l’enseignement médical de l’Université du Luxembourg. L’idée géniale a été de créer , qui ont permis de canaliser le flux de patients pour éviter qu’il y ait trop de mixité dans les services d’accueil des urgences et de trier les patients au préalable pour les orienter vers leur point de chute.»

«Cette crise sanitaire a montré que le système hospitalier est résilient, se félicite Paul Junck, président de la Fédération des hôpitaux luxembourgeois (FHL). Il n’aurait pas réussi à gérer la crise si cela avait été le cas.»

«Il faut se dire que nous avons tout de même frôlé le drame, nuance toutefois Mme Lair. La question de la réquisition de personnel médico-­soignant travaillant à l’étranger s’est posée très fortement dans les pays limitrophes. Si cela s’était produit en France, en Allemagne ou en Belgique, nous aurions clairement été en très grande difficulté avec les seules ressources professionnelles issues du territoire national. plutôt que de voir le personnel soignant frontalier réquisitionné, et cela a aidé le système luxembourgeois à fonctionner.»

L’importance du système de santé est devenue particulièrement visible au cours de cette crise.
Franz Fayot

Franz Fayot ministre de l’Économie

Même si le ministère de la Santé «estime qu’il est beaucoup trop tôt pour tirer de quelconques conclusions», les enjeux de l’après-crise se dessinent déjà. «L’importance du système de santé est devenue particulièrement visible au cours de cette crise», notait récemment le ministre de l’Économie, (LSAP), évoquant le «développement des infrastructures sanitaires» et «le renforcement d’une base solide de personnel de santé».

1. Un plan pandémie au niveau national

«Très peu de pays ont anticipé le risque pandémique, malgré les avertissements de l’Organisation mondiale de la santé et même du Forum économique mondial», note Mme Lair. Maintenant que ce risque s’est effectivement traduit par un choc sanitaire et économique retentissant, «les pays ont compris l’utilité de mettre en place en post-crise un plan pandémie leur permettant de s’alerter très vite et de s’organiser avec les moyens technologiques, matériels, légaux, financiers et sanitaires adaptés.»

D’autant que la carence d’une réponse coordonnée au niveau des soins primaires – hors hôpitaux – s’est fait cruellement sentir. En témoigne la nomination en catastrophe du président de l’Association des médecins et médecins-dentistes, le Dr Alain Schmit, au poste de coordinateur des soins, afin de mettre en place l’organisation incluant les centres de soins avancés et les lignes de garde.

Nous n’avons pas été confrontés à des questions éthiques importantes comme cela a été le cas ailleurs – notamment en Italie ou au Royaume-Uni où les médecins ont dû faire des choix entre les patients qu’ils pouvaient sauver et les autres.

Marie-Lise Lairconsultante Santé

«Nous n’avons pas été confrontés à des questions éthiques importantes comme cela a été le cas ailleurs – notamment en Italie ou au Royaume-Uni où les médecins ont dû faire des choix entre les patients qu’ils pouvaient sauver et les autres, remarque encore Mme Lair. Il faut réflé­chir aux principes éthiques qui doivent guider la prise en charge des patients en temps de pandémie, afin que le corps médical ne porte pas seul le poids de la décision. La Commission nationale d’éthique devrait en post-crise réfléchir à ces sujets de société qui nous concernent tous.»

«Main­tenant que la réserve sanitaire existe, il serait prudent de la garder et il faudrait prodiguer à ces professionnels mobilisables une formation spécifique aux catastrophes sanitaires», ajoute Gilbert Massard.

2. Des acteurs mieux coordonnés

, s’appuyant sur des plans de crise opérationnels, ce qui leur a permis d’appliquer en quelques jours la séparation des flux de patients Covid-19/non Covid-19 et les protocoles sanitaires voués à protéger le personnel.

«Les hôpitaux ont pu faire jouer une très grande solidarité entre eux et une transparence réciproque», confirme Paul Junck, mettant en exergue le «monitoring mis en place avec la cellule de crise du ministère de la Santé, crucial pour suivre les capacités de tous les hôpitaux en soins intensifs et en soins normaux, mais aussi leurs stocks. Cet outil informatique alimenté par les hôpitaux a permis de gérer la crise. Il faut bâtir l’avenir là-dessus.»

On ne peut pas uniquement investir dans les hôpitaux, il faut aussi le faire dans la santé publique et la structuration des soins primaires

Marie-Lise Lairconsultante Santé

Toute­fois, les hôpitaux ne doivent pas être les seuls leviers d’action. «Je me souviens combien il était difficile de faire valoir l’importance de la santé publique et de trouver du budget pour la recherche en santé publique lorsque je dirigeais le département de santé publique de l’ex-CRP-Santé, glisse Mme Lair. Tout le monde comprend maintenant que c’est un élément-clé dans un pays, qui s’appuie sur les deux piliers de soins: les médecins généralistes pour détecter, diagnostiquer, isoler la population, faire un suivi médical approprié à domicile, et les hôpitaux pour prendre en charge les patients les plus graves.»

C’est pourquoi «on ne peut pas uniquement investir dans les hôpitaux, il faut aussi le faire dans la santé publique et la structuration des soins primaires».

Mme Lair préconise de pérenniser le système de planification des médecins généralistes esquissé dans le cadre des centres de soins avancés, de même que l’organisation des soins au sein des maisons de soins. «Il faut en tirer des leçons pour ne pas repartir comme avant.

3. De futurs soignants à former

La menace d’une réquisition des médecins et soignants frontaliers a encore accru l’enjeu de la préservation du personnel dans les hôpitaux comme dans les cabinets, en écho au signal d’alarme envoyé par l’état des lieux de la démographie des médecins et professions de santé de Mme Lair.

«Le pays ne peut pas rester dépendant de ces ressources professionnelles, assène-t-elle. Il faut vraiment des investissements pour préparer une autre capacité à répondre seule ou en partie aux besoins de santé publique. Des investissements qui doivent porter sur la formation des infirmiers et sur le nombre de professionnels à former.»

Une analyse que Gilbert Massard ne peut que partager. «En situation d’urgence, il faut des médecins en nombre suffisant pour faire face à la multiplicité des gardes, la prise en charge des patients particulièrement lourds et l’éventualité d’une infection ou d’une mise en quarantaine de médecins», décrit-il.

Le Grand-Duché offre une masse critique suffisante pour former des pneumologues, des anesthésistes et des médecins urgentistes, entre autres spécialités, dans de bonnes conditions

Pr Gilbert Massarddirecteur de l’enseignement médicalUniversité du Luxembourg

Sans compter les enjeux déjà connus de l’augmentation et du vieillissement de la population, tandis que la moitié des médecins en exercice ont plus de 50 ans. Le bachelor ouvrira ses portes en septembre avec une première cohorte de 25 étudiants, tandis que plusieurs formations spécialisées (oncologie, neurologie) verront le jour l’année suivante.

«Le curriculum de spécialisation en médecine générale a été repensé, mais il manque cruellement un grade de docteur en médecine dispensé par l’Uni, poursuit M. Massard. Nous espérons ouvrir dans un deuxième temps une formation en master que l’Uni doit façonner aussi en fonction des exigences des autres pays pour intégrer ses étudiants en troisième cycle à l’étranger.»

Voire en fonction des besoins révélés par la crise sanitaire. «Le Grand-Duché offre une masse critique suffisante pour former des pneumologues, des anesthésistes et des médecins urgentistes, entre autres spécialités, dans de bonnes conditions», note M. Massard, qui pense également à un diplôme universitaire en catastrophes sanitaires.

Infirmiers et aides-soignants manquent aussi dans les hôpitaux et souffrent de carrières peu valorisées. , qui se limite aujourd’hui à un BTS, insuffisant pour briguer un master de spécialisation.

4. La télémédecine à pérenniser

La crise a également joué un rôle d’accélérateur pour la télé­médecine. «Il y avait des discussions depuis très longtemps autour de la téléconsultation et, d’un coup, on a été capable de trouver une solution rapidement», souligne Mme Lair.

Beaucoup de technologies pourraient être utiles et il faut les encadrer sur un plan légal pour pouvoir les utiliser si nécessaire

Marie-Lise Lairconsultante Santé

C’est en effet du côté de la Caisse nationale de santé que le changement de mentalité devait s’opérer. Ce fut chose faite le 16 mars avec l’inscription d’un nouvel acte dans la nomenclature, avec un tarif aligné sur celui de la consultation traditionnelle. Les hôpitaux ont également adopté cette solution pour leurs consultations durant la crise sanitaire et en tirent une expérience fructueuse. Reste à savoir dans quelles conditions elle peut être poursuivie au-delà de l’épidémie.

5. Le poids des technologies

Première pandémie de l’ère digitale, la crise du Covid-19 a fait naître de nouveaux besoins. «Beaucoup de technologies pourraient être utiles et il faut les encadrer sur un plan légal pour pouvoir les utiliser si nécessaire», indique Mme Lair, citant les domaines à couvrir: information à la population, autodéclaration de symptômes, respect des règles de confinement, alerte de proximité avec des patients infectés, téléconsultation, monitoring santé…

Le gouvernement a stimulé le développement de solutions technologiques utiles en lançant un appel d’offres aux start-up, . Quinze produits – créés ou remodelés – ont été retenus, allant de la plate-forme d’enseignement en ligne (Coco World) à celle de contrôle du confinement (Keymitt), en passant par une application de communication entre patients intubés et personnel soignant (Sovi).

Le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine a également brillé en proposant une cartographie des connaissances sur le Covid-19 que peuvent alimenter les équipes de recherche à travers le monde, dans l’espoir de nouvelles pistes de traitement et de vaccin. Un apport remarqué qui contribuera à renforcer l’attractivité du Grand-Duché au niveau de la recherche.

De son côté, la FHL espère que la crise dynamisera les «très lents» processus décisionnels régissant les demandes d’équipement émanant des hôpitaux. Après avoir attendu de longues années le feu vert pour se doter de nouveaux appareils d’IRM, les hôpitaux comptent sur la pérennisation du monitoring mis en place durant la crise pour permettre au ministère de la Santé de «piloter le système hospitalier».

«L’analyse régulière des data permettra d’identifier rapidement les besoins», alors que la carte sanitaire est toujours déphasée par rapport à la réalité par manque de statistiques à jour, souligne M. Junck, qui n’hésite pas à rappeler le besoin de lits supplémentaires pour répondre à l’augmentation de la population.

L’après-crise s’annonce donc chargé pour le ministère de la Santé, qui avait déjà entamé