Du 11 au 22 mai, la CIBC s’est retrouvée devant les tribunaux britanniques pour des allégations de discrimination sexuelle et raciale dans le cadre de la relocalisation d’un cadre de haut niveau de Londres au Luxembourg. Selon les déclarations publiées par le Her Majesty's Courts and Tribunals Service, la banque est également accusée d’avoir fait de fausses déclarations à l’autorité de régulation financière luxembourgeoise, la CSSF.
Ces allégations s’inscrivent dans le contexte des multiples délocalisations d’institutions financières au Luxembourg ces six dernières années, ce qui expose les entreprises à des poursuites en matière de droit du travail, note Cédric Schirrer, avocat spécialisé dans le droit du travail basé à Luxembourg. «La délocalisation peut placer les employés dans une position très vulnérable», explique-t-il. «Les défis réglementaires liés à la relocalisation d’une entreprise de services financiers nécessitent également une attention particulière», ajoute-t-il.
L’affaire commence avec la proposition faite à un membre du personnel de la banque de l’époque, Zhuofang Wei, d’une délocalisation au Luxembourg en temps que Chief Operation Officer et Chief Risk Officer. Zhuofang Wei a été licencié le 20 mars 2020, mais la banque, dont le siège est à Toronto, a omis de le désenregistrer auprès de la CSSF jusqu’au 31 mars 2020. «Cela a laissé Zhuofang Wei exposé à des risques et des responsabilités supplémentaires et constitue une fausse déclaration au régulateur luxembourgeois», selon l’a plainte déposée auprès du London Central Employment Tribunal.
En outre, les témoignages des employés de la CIBC font apparaitre que le CEO proposé pour le bureau luxembourgeois, Thomas Pellequer, devait conserver son poste au sein de l’équipe des marchés des capitaux au Royaume-Uni, ce qui, selon Zhuofang Wei, était également contraire aux exigences réglementaires.
«Dans le cadre de son processus d’enregistrement en tant que CEO au Luxembourg auprès de la CSSF, Thomas Pellequer aurait dû signer la même attestation que celle que j’ai signée lorsque j’ai été enregistré en tant que COO et CRO. Cette attestation stipulait que nous devions consacrer 100% de notre temps de travail à la fonction au Luxembourg», peut-on lire dans le deuxième témoignage de Zhuofang Wei.
Discrimination sexuelle et raciale
Les violations présumées de la réglementation s’inscrivent dans le cadre d’une action en justice intentée par Zhuofang Wei contre la CIBC pour «discrimination directe liée au sexe et/ou à la race, à la nationalité, aux origines ethniques ou nationales, au harcèlement et/ou à la victimisation».
Selon la plainte, Madame Wei, originaire de Chine continentale, n’a pas bénéficié des mêmes options de négociation salariale que ses collègues masculins de race blanche pour son déménagement au Luxembourg, malgré l’augmentation considérable de ses responsabilités par rapport à son poste actuel de directrice exécutive des contrôles du front office.
«D’autres employés qui étaient transférés au Luxembourg se sont vus offrir officiellement leur poste entre novembre 2019 et janvier 2020. La CIBC n’a fait à Madame Wei une offre définissant les conditions de son transfert au Luxembourg que le 16 janvier 2020, bien plus tard dans le processus que n’importe lequel des autres employés prenant un emploi au Luxembourg. Elle n’a pas été autorisée à négocier ses conditions financières, alors que les autres employés de la CIBC qui ont été transférés au Luxembourg ont eu la possibilité de négocier leurs conditions financières», peut-on lire dans la plainte.
Lorsque Zhuofang Wei a informé la CIBC en janvier 2020 qu’elle était intéressée par le poste au Luxembourg, mais que le salaire ne lui convenait pas, l’offre luxembourgeoise a été retirée et elle a été simultanément licenciée de son poste à Londres.
Zhuofang Wei affirme que la CIBC l’a traitée de manière moins favorable que Thomas Pellequer, en raison de son sexe et de son origine ethnique, et que la décision de la licencier a constitué un nouvel acte de traitement discriminatoire.
Les documents judiciaires affirment également que Madame Wei a fait l’objet d’un harcèlement fondé sur son sexe et sa race, et que Wayne Lee, directeur général et chef de la division Europe et Asie-Pacifique de la CIBC à l’époque des faits, lui a demandé de garder sa fille. Ce que dément Wayne Lee.
La directrice des RH, Cheryl Ford, déclare dans son témoignage: «En tant qu’organisation, la CIBC prend les questions d’égalité et de diversité extrêmement au sérieux».
Tendance à la relocalisation
Les défis liés à la relocalisation du personnel soulèvent souvent des questions jusqu’alors laissées en suspens selon l’avocat spécialisé en droit du travail Cédric Schirrer.
«Il y a deux problèmes en termes de relocalisation», a-t-il déclaré. «Les questions d’immigration bien sûr, mais aussi l’employé relocalisé qui se trouve dans une position vulnérable. Si cette personne risque d’être licenciée à la suite d’une relocalisation, elle a tout abandonné chez elle pour se retrouver dans un nouveau pays sans aide, sans assistance et sans famille. Elle n’est souvent indemnisée que par un à deux mois de salaire. Cette situation n’est souvent pas prise en compte par les tribunaux.»
À la suite des résultats du référendum de 2016 sur le Brexit au Royaume-Uni, 95 entreprises britanniques ont choisi le Luxembourg comme centre européen post-Brexit, ce qui représente un peu moins de 20% de tous les déménagements, selon le thinktank New Financial, basé à Londres. Cette tendance s’est toutefois ralentie ces dernières années.
La CIBC a d’abord fait des plans pour créer un bureau au Luxembourg dès les résultats du référendum de 2016 connus selon les documents judiciaires.
Le verdict est attendu dans les semaines à venir.
Ni la CIBC ni la CSSF n’ont répondu aux demandes de commentaires de Delano.
Cet article a été écrit pour , traduit et édité pour Paperjam.