La banque Oppenheim n’aura pas survécu aux années de l’argent facile et à ses dérives. (Photo: Archives)

La banque Oppenheim n’aura pas survécu aux années de l’argent facile et à ses dérives. (Photo: Archives)

Cet été, Paperjam vous replonge dans les coulisses de sujets qui ont fait l’actualité de la Place en leur temps. Aujourd’hui, la chute de la maison Oppenheim.

Nous sommes en 2007: la banque Sal. Oppenheim célèbre devant le Tout-Luxembourg, à l’abbaye de Neumünster, le transfert de son siège de Cologne à Luxembourg. Deux ans plus tard, en pleine déconfiture, elle passe sous le giron de Deutsche Bank, sur fond de scandale financier. Comment en est-on arrivé là? Par une conjonction de malchance, d’appât du gain et de folie des grandeurs…

Créée en 1789, la banque a survécu à deux guerres mondiales et à plusieurs crises financières. La raison de cette pérennité? Une gestion familiale et une vision «traditionaliste» de l’activité bancaire, une gestion en bon père de famille où la prise inconsidérée de risque était honnie. Une tradition qui va changer lorsque la gestion de l’établissement échoit au baron Christopher von Oppenheim, qui s’entoure «d’externes» au sein de la direction générale, qui se lance dans l’investment banking et les crédits à risque.

Patrimoines confus

Ce qui va couler la banque, c’est la faillite d’Arcandor. En 1998, le groupe Quelle – spécialiste de la vente par correspondance, également présent à l’époque à Luxembourg – et Karstadt – une chaîne de magasins réputés outre-Moselle – décident de fusionner, de prendre le nom d’Arcandor, et empruntent pour l’occasion 1 milliard de deutsche marks à Sal. Oppenheim, la banque qui gère alors la fortune de la famille Schickedanz, propriétaire des deux groupes. Banque qui noue en parallèle de fructueuses affaires immobilières avec le promoteur immobilier Josef Esch, également gestionnaire de fortune privé de Madeleine Schickedanz, l’héritière de la famille.

La fusion Quelle-Karstadt n’a sûrement pas eu lieu au meilleur moment: les modèles d’affaires des deux groupes se trouvaient concurrencés frontalement par l’essor de l’e-commerce. Pour s’en sortir, Arcandor a dû multiplier les plans sociaux, s’endetter toujours plus auprès de Sal. Oppenheim et vendre son patrimoine immobilier à Josef Esch via des opérations de «sales and leaseback» assez désavantageuses. Josef Esch montait des fonds immobiliers avec Sal. Oppenheim, qui se trouvait ainsi en conflit d’intérêts permanent, renflouant au fur et à mesure Arcandor d’une main – à la fin, la banque détiendra 29% du capital d’Arcandor –, tout en encaissant le bénéfice de loyers surévalués de l’autre via les fonds immobiliers montés avec Josef Esch.

Passage éclair au Luxembourg

Au bord de la faillite, Arcandor reçoit en 2005 un nouveau crédit de 300 millions d’euros de Sal. Oppenheim. Crédit pour lequel, Madeleine Schickedanz étant dans l’incapacité de fournir des sûretés suffisantes, les actionnaires principaux de la banque et Josef Esch se portent eux-mêmes garants sur leur fortune personnelle. En toute discrétion vis-à-vis des autres actionnaires de la banque et de la Bafin, le régulateur allemand. L’interdépendance des intérêts entre les parties va directement faire perdre son indépendance à la banque, qui passe sous le giron de Deutsche Bank en 2009, lorsque Arcandor fait faillite suite au refus du gouvernement allemand de renflouer la société qui avait besoin de 650 millions d’euros.

Lorsque la banque annonce transférer son siège de Cologne à Luxembourg, où elle possède une filiale, c’est un grand nom que la Place accueille. Et si le comte Matthias von Krockow raconte bien volontiers à qui veut l’entendre les liens qu’il a noués avec le Luxembourg depuis son adolescence, la raison première de ce mouvement est plus triviale: profiter de règles fiscales et réglementaires plus avenantes qu’en Allemagne. Bref, du «forum shopping». À l’époque, les règles appliquées par la CSSF et la Bafin n’étaient pas harmonisées. Du côté allemand, on fait grise mine et on accuse les Luxembourgeois d’avoir «volé Sal. Oppenheim».

Venue au Luxembourg pour accélérer son développement international, la banque est rattrapée par le scandale Arcandor. Du Capitole à la roche Tarpéienne, il n’y a qu’un pas…

Yves Mersch, alors gouverneur de la Banque centrale du Luxembourg, avait prévenu: il ne se considérait pas comme prêteur en dernier recours d’Oppenheim. Une position claire et nette, et ce dès le départ.

Berlin reprend la main

Et, de fait, c’est l’État allemand qui va se charger de piloter le démantèlement de Sal. Oppenheim, une banque «politiquement systémique», l’établissement étant la banque des grandes familles allemandes. Berlin va écarter de nombreux prétendants à la reprise, comme BNP Paribas, pour faire le lit de Deutsche Bank, qui entre au capital d’abord à hauteur de 50%, puis de 100%. Le siège de la banque repart à Cologne dès 2010 et le dépeçage commence. Les participations seront revendues – notamment BHF, banque reprise en 2004 et qui avait une filiale au Grand-Duché – et toutes les entités nationales sont absorbées par les banques Deutsche Bank locales. Au Luxembourg, les activités de banque privée et de fonds d’investissement sont reprises, ces dernières étant revendues en 2016 à Hauck & Aufhäuser, autre banque allemande reprise depuis par Fosun, des investisseurs chinois. 

Et c’est ainsi que disparut Sal. Oppenheim du Luxembourg.

Le comte Matthias von Krockow, le baron Christopher von Oppenheim, l’ancien directeur financier Friedrich Carl Janssen, l’ex-chef de la division d’investissement de la banque Dieter Pfundt et Josef Esch comparaîtront devant le tribunal pénal de Cologne, plaideront coupables et seront condamnés.