aborde ces élections dans une position peu commune: celle de potentiel commissaire européen luxembourgeois. Un poste que lui a proposé en raison de son expérience au Parlement européen, où il a siégé de 2018 – succédant à Viviane Reding – à 2023. L’Europe a occupé une grande part de sa carrière: il a travaillé pour la députée européenne Astrid Lulling, il a travaillé en tant qu’attaché chargé de l’environnement à la représentation permanente du Luxembourg auprès de l’Union européenne, il a été conseiller en affaires européennes à la Chambre de commerce du Luxembourg et attaché économique et commercial à l’ambassade du Grand-Duché de Luxembourg à Bruxelles, et membre du Comité économique et social européen.
La liste CSV a la particularité de se composer de trois députés sortants: Christophe Hansen, – déjà têtes de liste en 2019 – et Martine Kemp. Ils seront accompagnés par Mélanie Grün, conseillère communale à Kayl-Tétange; Guy Breden, conseiller communal à Kehlen, et Metty Steinmetz, secrétaire international du CSJ.
Quels sont les enjeux de ces prochaines élections européennes pour l’Europe, pour le Luxembourg et pour votre parti?
Christophe Hansen. – «Une grande partie de la législation débattue devant la Chambre des députés vient de textes européens qu’il faut transposer. Il est donc essentiel que l’on ait des représentants à Bruxelles qui connaissent bien leurs dossiers afin d’être attentifs et réactifs face aux points de réglementation qui pourraient poser problème au Grand-Duché.
Deuxièmement, nous sommes dans un contexte de polycrises au niveau mondial et face à une guerre sur le territoire européen où nous sommes impliqués indirectement. Nous avons accueilli beaucoup de réfugiés, nous avons livré des armes. Nous savons que la Russie ne va pas s’arrêter à l’Ukraine et il est donc essentiel de se consacrer au bon fonctionnement de l’Union européenne. Il faut se rappeler que l’un des piliers fondateurs de l’UE est de favoriser la paix en Europe. Quand je rappelais cela il y a cinq ans lors de la précédente campagne, cela faisait sourire. Le rappel a été douloureux… D’autant que beaucoup des défis actuels auxquels nous devons faire face sont des conséquences de ce conflit. Dont la hausse des prix de l’énergie. Actuellement, les prix sont plafonnés ici, mais ce dispositif est coûteux et ne pourra pas être maintenu indéfiniment.
Et puisque nous parlons d’argent, le budget de l’UE est chétif. Très chétif. Cela correspond à 1% du PIB des États membres. Si l’on veut plus de défense européenne, plus de coopération ou encore plus de déploiement d’énergies renouvelables, il faudra plus de budget. Face à la crise du Covid, l’Europe n’était pas bien préparée parce qu’il n’y avait pas de budget pour une Union de la santé. Il faut apprendre des crises et modifier le mode de fonctionnement de l’UE. On sait que pour beaucoup de sujets, on est bloqués par le principe de l’unanimité. Si nous voulons être un ‘global player’ avec une véritable politique étrangère, il faut revenir sur le principe de l’unanimité.
Pour moi, les deux gros chantiers de la prochaine législature seront la réforme du budget et la réforme des règles de prises de décision. Il va falloir revoir les traités.
Vous avez mentionné le fait que les représentants luxembourgeois au Parlement européen se devaient de bien connaître leurs dossiers pour défendre les intérêts du pays. Est-ce que déjà les députés luxembourgeois sont assidus à Bruxelles?
«Ils le sont. Il y a chaque année des classements publiés pour les députés les plus actifs et, ces deux dernières années, trois des six Luxembourgeois étaient parmi les 100 mieux classés. C’est considérable. Et c’est ce qui fait dire à beaucoup de nos collègues dans l’hémicycle que ‘nous boxons au-dessus de notre catégorie’. J’étais questeur, et donc membre du bureau du Parlement – des responsabilités reprises par ma collègue Isabelle Wiseler –, et (LSAP) est vice-président, donc aussi membre du bureau du Parlement européen. C’est appréciable.
Nous avons l’avantage de parler plusieurs langues, et souvent mieux que d’autres. Cela nous permet de nouer des liens avec des collègues avec qui normalement nous aurions dû avoir peu de rapports. Je parle l’espagnol, ce qui me permet d’interagir avec les homologues espagnols qui eux, en général, parlement mal ou même pas du tout l’anglais ou une autre langue. Les Allemands et les Autrichiens nous considèrent comme des germanophones qui sont presque des Allemands, les Français comme des francophones qui sont presque des Français. Tout cela nous permet d’avoir une influence non proportionnelle à notre taille.
Six députés pour représenter le Luxembourg, est-ce assez?
«Notre délégation est relativement petite (avec six députés, le Luxembourg est, avec Chypre et Malte, le pays le mois bien représenté en députés en valeur absolue, ndlr). Il y a beaucoup de dossiers à suivre si nous voulons avoir une vision globale des enjeux et il faut être présents pour les votes en assemblée plénière. On peut toujours dire que nous ne sommes pas assez nombreux. Mais quand je discute avec mes collègues allemands, ils me font remarquer qu’ils ont un député par million d’habitants, alors que nous six pour 600.000.
Cela dit, il n’en demeure pas moins vrai que couvrir toutes les commissions à six est difficile. Nous nous sommes tous concertés pour essayer de couvrir au moins les commissions essentielles pour le Luxembourg. J’ai suggéré que (déi Gréng) suive la commission des transports – ce qu’elle a fait –, que (DP) couvre l’agriculture, que ma collègue Isabelle Wiseler intègre la commission industrie et recherche, et moi, les commissions environnement et santé. Des commissions techniques pour lesquelles il est difficile de communiquer, mais qui sont à mon avis des commissions essentielles.
Et nous sommes à plusieurs dans la commission économique et monétaire, très importante pour le Luxembourg. Nous faisons plus de commissions que la moyenne des autres députés. Les députés des grands pays sont en général titulaires dans une commission et suppléants dans une autre.
Vous parlez de la commission économique et monétaire. Un reproche fréquent des professionnels de la Place est qu’il n’y a pas de titulaire luxembourgeois dedans, mais seulement des suppléants. Que leur répondez-vous?
«Je peux entendre ce reproche. Mais même en tant que simple suppléant, on peut faire le travail. Déposer de nombreux amendements par exemple. J’ai été, durant cette législature, suppléant dans cette commission et rapporteur ‘fictif’ pour mon groupe sur le projet des European Green Bonds et sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Alors, on ne peut pas voter si les titulaires sont présents, mais de toute façon, il y a toujours une ligne du groupe politique qui est déterminée et suivie. Et dans ces groupes, les députés luxembourgeois pèsent.
Quels sont les objectifs du CSV pour ce scrutin? Visez-vous le troisième siège conquis en 2004 et perdu en 2019?
«Évidemment. Je mentirais si je disais le contraire. Mais ce sera d’autant plus difficile que 13 partis sont en lice et que les électeurs n’ont que six voix à donner.
Ce qui sera déterminant, ce sont les têtes visibles sur les listes. Nous, en tant que CSV, nous en avons plus que la dernière fois. Et tous les candidats sont prêts à aller siéger. Je ne suis pas sûr que ce sera le cas pour tous les autres partis.
Au Parlement européen, resterez-vous membre du Parti populaire européen (PPE) et soutiendrez-vous la candidature à sa succession d’Ursula von der Leyen?
«Oui, clairement. Je pense qu’elle a fait un bon travail durant une période difficile avec des crises d’une envergure qu’aucune autre commission n’a connues. Je pense que l’UE a fait d’énormes progrès ces trois dernières années. Des progrès quelle n’aurait pas faits sans les crises qui sont survenues et la manière dont elles ont été gérées. Nous soutenons Ursula von der Leyen pour donner une continuité à l’action de l’UE.
Évidemment, il faudra retrouver de nouvelles alliances avec les différents groupes politiques après les élections pour constituer une majorité.
L’émergence au sein du Parlement européen des forces eurosceptiques est-elle un danger, une menace existentielle pour l’UE?
«Ça a toujours été une menace. Alors, certes, cette année, ils vont faire de bons scores. Mais il ne faut pas oublier qu’on a perdu des eurosceptiques au cours de la dernière législature avec les Britanniques. Ce n’était pas facile non plus de travailler avec eux. Ce départ risque d’être compensé par une croissance de ces partis d’extrême droite. C’est un danger, mais je sais que la grande majorité des députés actuellement au Parlement européen ne veulent pas avoir d’alliance stratégique avec ces groupes extrêmes. Des groupes extrêmes qui, s’ils sont majoritairement de droite, sont aussi de gauche et se rejoignent souvent pour bloquer les actions de l’UE. On l’a vu avec l’Ukraine.
Face à eux, une grande alliance des partis pro-européens du centre est nécessaire. Il ne faut pas avoir peur de ces gens. Il faut discuter les questions qu’ils mettent sur la table et trouver des solutions qui, même basées sur le compromis, démontrent que des avancées sont possibles. On l’a vu avec le vote sur le pacte sur l’asile et la migration, qui est pour moi une grande avancée. Je pense que les partis pro-européens et du centre élargi ont la force pour défendre leurs idées.
Le 9 juin, les gens qui vont aller voter vont-ils le faire sur des thématiques européennes ou nationales?
«Clairement, ils vont se prononcer par rapport à des thématiques européennes. Et je pense que c’est une bonne chose que les élections législatives et les élections européennes soient à deux dates différentes, ce qui n’était pas le cas il y a 10 ans où, effectivement, on avait plein de têtes connues sur la liste européenne dont on savait très bien qu’elles n’iraient pas à Strasbourg. On devrait d’ailleurs poser la question à tous les candidats afin de savoir si une fois élus, ils prendront ce mandat. Ce n’est pas clair pour tous… Maintenant, je pense que les partis au gouvernement vont profiter de la dynamique de cette séquence électorale commencée en juin dernier avec les communales. Ce qui incitera les partis d’opposition à vouloir plutôt aborder des sujets nationaux. C’est dommage.
Vous venez d’être élu à la Chambre des députés au Luxembourg. Quel est le sens de votre candidature?
«Personnellement, j’étais dans l’optique de m’inscrire dans le passage politique local. J’étais candidat aux législatives comme tête de liste au nord du pays. Puis j’ai été membre de l’équipe de négociation pour l’accord de coalition et j’étais pressenti pour devenir ministre. Je ne savais pas que, quelques semaines après avoir accepté mon mandat de député, le formateur et depuis Premier ministre allait me demander d’être le prochain commissaire luxembourgeois. Une offre qui ne se refuse pas. Représenter le Luxembourg serait pour moi un grand honneur.
Mais quand on vise un poste comme celui-là, il faut aller chercher sa légitimité à travers les élections.
Pensez-vous que tous les commissaires européens devraient d’abord être des élus au Parlement européen?
«Ce serait l’idéal. On sait que le citoyen veut choisir ses représentants. C’est pour cela que je suis un fervent défenseur du système des têtes de liste. Ce n’est malheureusement pas inscrit dans les traités et les États n’y sont pas en faveur et préfèrent garder le pouvoir de choisir le président de la commission.
Préférez-vous siéger à Bruxelles et Strasbourg ou au Luxembourg?
«D’un point de vue vie privée, le Luxembourg est plus confortable. Mais une grande partie du travail législatif ici consiste à transposer la législation européenne. Si on veut peser sur les choses, il vaut mieux siéger au Parlement européen. Parlement européen où on n’est pas dans une logique d’affrontement entre majorité et opposition et où, sur tous les dossiers, il faut bâtir des alliances avec les bons arguments.
Avec le Qatargate, le Parlement et les députés européens ont-ils perdu leur crédibilité?
«La large majorité des députés sont des gens honnêtes qui font bien leur travail et ils subissent les contrecoups de ce scandale. Avec les nouvelles obligations de transparence, la charge administrative est devenue énorme. Et tellement complexe que l’on n’est pas à l’abri d’un oubli ou même d’une mauvaise interprétation des textes. Cela ne rend pas la vie et le travail des députés honnêtes plus faciles. Bien au contraire. Et est-ce que toutes ces mesures de transparence vont être efficaces? Qu’est-ce qui empêche les lobbyistes de rencontrer les députés ailleurs qu’au Parlement?…
Ensuite, dans le respect des règles, je pars du principe qu’il faut rencontrer le plus de monde possible pour avoir l’image la plus globale possible de la problématique et trouver les solutions qui fonctionnent ensuite pour tout le monde. Certains députés ont renoncé à faire cela pour éviter de se voir reprocher d’avoir reçu untel ou untel. Cela nuit au bon fonctionnement de l’institution.
Ce qui est dommage, c’est que le travail de colégislateur du Parlement est totalement éclipsé par cette affaire. Et c’est frustrant pour les députés qui sont sollicités pour parler de transparence et jamais de leur bilan.