Le chef Christophe Hay était de passage au Luxembourg ce 23 avril. (Photo: Paperjam.lu)

Le chef Christophe Hay était de passage au Luxembourg ce 23 avril. (Photo: Paperjam.lu)

À l’occasion de sa venue au Luxembourg pour Goût de/Good France, opération promotionnelle de la gastronomie française à travers le monde, nous avons pu nous entretenir avec le chef Christophe Hay, doublement étoilé.

Pouvez-vous revenir sur le début de votre parcours?

Christophe Hay. – «Je viens d’un milieu modeste: la famille de ma mère est une famille d’agriculteurs, et mon père était boucher. Cela m’a appris le goût des produits de la ferme, de l’effort, du travail de la terre et des bêtes. J’ai fait le lycée hôtelier à Blois. Puis j’ai rejoint l’équipe du restaurant Au rendez-vous des pêcheurs, qui avait une étoile. J’y ai appris la rigueur, la fatigue. C’était très formateur. Et j’ai rencontré Paul Bocuse, «Monsieur Paul». Je l’ai rejoint à Lyon en 2001. Par la suite, il m’a demandé d’aller à Orlando, en Floride, pour m’occuper de son restaurant. Je suis resté cinq ans là-bas. J’ai beaucoup appris. L’anglais bien entendu, mais aussi à aller au contact des autres. Je suis un enfant de la campagne, et le contact social n’était pas mon fort. Avec cette expérience, je me suis ouvert au monde et j’avais à cœur d’apprendre. Puis je suis rentré à Paris et je suis devenu le chef exécutif pour les cuisines de l’Hôtel de Sers, l’Hôtel Edouard 7 et le Bel-Ami. J’ai appris à monter une équipe et à faire l’ouverture d’un restaurant. Cela a été aussi pour moi l’occasion de découvrir ce que c’est que d’avoir un business plan, d’acquérir de nouvelles connaissances en gestion et de mener un établissement pour le compte d’investisseurs.

Et un jour, vous avez décidé de vous mettre à votre compte…

«En 2013, un de mes amis m’a signalé qu’une petite auberge de village était à vendre à Montlivault, à côté de Blois. C’est comme cela que j’ai commencé ma vie d’entrepreneur. J’ai investi 100.000 euros et ai demandé 400.000 euros de prêt à la banque. Nous avons ouvert La maison d’à côté en mai 2014 avec une équipe de huit personnes. Le 5 février 2015, nous recevions notre première étoile. C’est aussi à cette époque que j’ai commencé mon jardin, avec 3.000m2 de terres fertiles qui servaient à alimenter notre cuisine. En 2016, j’ai racheté un bar PMU et nous avons complété notre offre avec 12 chambres et un bistrot pour une gastronomie accessible à tous. J’ai investi alors 1,5 million d’euros. En janvier 2019, nous recevions une deuxième étoile. Puis j’ai ouvert en 2019 un autre restaurant à côté d’Orléans, et on a reçu aussi une étoile.

Vous avez toujours investi seul?

«Effectivement, et je veux que cela reste ainsi. Je fais mon propre chemin et je me suis créé ma ligne de conduite. Je n’y déroge pas. Je suis conscient que le succès attire aussi les personnes malveillantes et la jalousie. C’est une manière de se protéger. Et j’ai la chance que les banques me suivent. Cela grâce à une gestion saine et une politique de prêt ciblée.

Aujourd’hui, vous êtes à la tête de l’établissement Fleur de Loire, dans l’ancien hospice de Blois.

«Oui, j’ai revendu les établissements de Montlivault pour me lancer dans cette nouvelle aventure en 2021. Nous avons ouvert en juin 2022, après un investissement de 9 millions de mon côté et 15 millions pour le propriétaire des lieux. Nous sommes allés très loin dans nos choix, que ce soit pour l’architecture, les équipements ou la décoration. Il y a un restaurant signature, qui a aujourd’hui deux étoiles rouges et une étoile verte, un restaurant gastronomique, un kiosque à pâtisserie – un concept que j’aimerais dupliquer ailleurs aussi –, des chambres et suites, et un spa, en partenariat avec Sisley, qui est une entreprise originaire de la région. L’équipe est aujourd’hui composée de 130 personnes.

Et vous avez poursuivi en parallèle votre activité de production agricole.

«Tout à fait, nous avons aujourd’hui 1,5 hectare de jardin potager, 3 hectares de truffière et un cheptel de bœufs Wagyu. Nous avons commencé avec 37 bêtes en 2018 et nous en avons 90 aujourd’hui. Nous développons aussi un conservatoire de l’asperge sur 3.000m2 et un conservatoire de la pomme. Nous avons aussi une serre pour les agrumes. Grâce à tout cela, nous sommes autonomes pour nos trois restaurants pendant presque la moitié de l’année et le surplus de nos productions est distribué à notre personnel. Je m’intéresse à l’agriculture de demain. Je veux aussi que, dans ce domaine, les choses bougent, et nous y travaillons. Nous devons remplacer de plus en plus nos protéines animales par des protéines végétales et travailler la qualité des produits plus que le volume.

Christophe Hay dans le potager. (Photo: Maïkya Studio)

Christophe Hay dans le potager. (Photo: Maïkya Studio)

Vous avez aussi la spécificité de travailler les poissons d’eau douce. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce produit?

«Je me considère comme un ‘terroiriste’. J’aime valoriser les produits d’un terroir, le travail du sol et des humains. Nous sommes situés sur les bords de Loire, qui est un fleuve où il y a des poissons à la chair d’une grande qualité, mais qui ont peu été mis en valeur jusqu’à présent. Je tiens à valoriser ces produits dans ma cuisine.

D’où vient votre clientèle au Fleur de Loire?

«De partout dans le monde, bien entendu. Nous sommes à deux heures de Paris, c’est assez facile d’accès. Nous avons aussi une clientèle luxembourgeoise et belge, qui visite la région de la Loire ou fait un arrêt lorsqu’elle va vers l’océan. Nous recevons aussi beaucoup d’Américains, une clientèle importante pour nous. Mais nous avons aussi la chance d’avoir une très belle et fidèle clientèle locale qui nous suit depuis le début. Cela nous permet d’être moins sujets aux fluctuations des saisons et de bien travailler l’hiver aussi.

À l’occasion de votre venue au Luxembourg, vous intervenez à l’École d’hôtellerie et de tourisme du Luxembourg à Diekirch. Cela vous tient à cœur d’être proche des jeunes?

«Dès que j’en ai la possibilité, j’associe les écoles et les centres de formation à mes expériences. Pour le dîner de gala du Guide Michelin qui a été organisé à Chambord, j’ai travaillé avec les lycées et les écoles hôtelières de la région. Cela a été une expérience formidable! À Diekirch, ma prise de parole va principalement consister à expliquer mon parcours, à leur expliquer aussi les risques du métier, la fatigue, la pression, la difficulté d’avoir une vie privée, mais aussi toutes les satisfactions et les joies que cela apporte.

Quels sont vos projets?

«Obtenir la troisième étoile, nous ne nous en cachons pas. À chaque étoile gagnée, c’est 30% d’activité et de chiffre d’affaires supplémentaires. Pour cela, il faut continuer à faire correctement notre métier et investir, un peu financièrement et surtout humainement.»