Christophe de la Fontaine a fondé, avec Aylin Langreuter, la marque de design Dante – Goods and Bads.  (Photo: Dante – Goods and Bads)

Christophe de la Fontaine a fondé, avec Aylin Langreuter, la marque de design Dante – Goods and Bads.  (Photo: Dante – Goods and Bads)

Luxembourgeois, Christophe de la Fontaine a réussi à se faire une place dans le monde du design. Avec sa compagne Aylin Langreuter, ils ont fondé la marque Dante – Goods And Bads qui se développe chaque année un peu plus.

Vous avez commencé votre parcours au Luxembourg, dans la section sculpture du Lycée des arts et métiers. Quel souvenir en gardez-vous?

Christophe de la Fontaine. – «Le baccalauréat a été la meilleure période de mon parcours de formation. J’ai pu avoir accès à tous les ateliers, les machines, les matériaux, l’aide des professeurs… C’était fantastique. On avait la possibilité de se réaliser pleinement. J’y ai reçu une formation plus large que simplement la sculpture. Nous avions un aperçu de différentes techniques, que ce soit la photographie, la lithographie, le dessin… C’était assez vaste sans être trop spécialisé. Et le métier de designer, c’est un peu cela: nous ne sommes pas spécialistes dans un domaine, mais avons une bonne connaissance générale de plusieurs domaines. Ce que j’ai reçu au Luxembourg m’a parfaitement accompagné dans la suite de mes études.

Après vos études à Stuttgart avec Richard Sapper, vous êtes allé à Londres chez Therefore et à Milan dans le studio de design de Piero Lissoni. Parlez-nous un peu de ces expériences dans ces studios très différents.

«Therefore est un bureau de design industriel, avec une équipe qui assure le développement de produits, travaille en collaboration avec les fabricants, mais toujours comme externe et sans signer les objets de leur nom. De l’autre côté, avec Piero Lissoni, on est dans le design d’auteur, avec une personne qui met ses idées en première ligne, collabore avec un éditeur, mais toujours sous son nom. C’était très intéressant pour moi de découvrir cela au début de mon parcours, car encore aujourd’hui, ce sont les deux grandes voies qui cohabitent. Soit vous êtes suffisamment fort pour que vos objets existent à travers votre nom, puissent être compris comme une création indépendante par l’entreprise pour laquelle vous travailler. Soit vous choisissez l’anonymat, mais qui est tout aussi essentiel, car chaque objet qui nous entoure a été dessiné par quelqu’un, a fait l’objet d’une étude, d’un développement…

À la fin de vos études en 2002, vous avez choisi de devenir indépendant et avez pris un petit atelier à Munich avec votre ami designer Stefan Diez.

«Stefan, de son côté, avait travaillé avec Konstantin Grcic. On avait chacun nos expériences et on a voulu faire un projet ensemble. L’objectif était de présenter nos objets au Salone Satellite, à Milan. Ce que nous avons fait. Là où on a été surpris, c’est qu’on a gagné le premier prix. Nous étions super contents, hyper fiers, et on pensait être lancés. C’est à ce moment-là que Patricia Urquiola, que je connaissais de la période où j’étais stagiaire chez Piero Lissoni puisqu’elle était cheffe du département du design, m’a proposé de la rejoindre pour travailler dans son studio qu’elle venait de lancer. Même si je tenais très fort à être indépendant, je me suis quand même rendu compte que c’était une belle opportunité. Et quand une porte s’ouvre, il faut savoir l’accepter. J’ai donc accepté sa proposition, mais à mi-temps pour que je puisse continuer mes projets à côté. C’est comme cela que je suis allé à Milan, tout en continuant le bureau avec Stefan.

Cela a-t-il été un bon choix?

«Travailler avec Patricia m’a énormément appris. Nous avons commencé à quatre et, quand je suis parti après 10 ans, nous étions 60. J’ai donc pu participer et construire avec elle l’évolution de son bureau. Ce qui était formidable, c’est que, grâce à Patricia et à sa carrière qui était déjà bien lancée, nous pouvions dessiner les produits, réaliser les prototypes et, six mois après, voir le résultat final disponible pour le commerce. Quand on est jeune designer, jamais le parcours ne peut être aussi linéaire. C’était donc très instructif. Toutefois, j’ai aussi continué ma propre activité en parallèle avec Stefan. Nous avons réalisé des produits pour Moroso et d’autres éditeurs. Mais le travail chez Patricia est devenu de plus en plus important, et j’ai finalement décidé de laisser tomber ma pratique individuelle. Dans le studio de Patricia, je pouvais faire de la création. C’était autre chose que de passer son temps à écrire des e-mails, courir derrière les chefs de produit, téléphoner aux fournisseurs… Tout ce qu’il faut faire quand on est jeune designer, car il ne suffit pas de faire un beau dessin, d’avoir une brillante idée. Il y a tout un système de production derrière, qu’il faut pousser pour arriver jusqu’au résultat final. Cela peut être très laborieux et frustrant.

En tant que head of design, vous étiez en contact avec tous les éditeurs, ce qui a dû être très utile pour vous, non?

«Oui, bien sûr, mais je me suis surtout forgé une crédibilité chez les fournisseurs des grands éditeurs. Dans un studio comme celui de Patricia – parce que nous avons les conditions et la confiance pour le faire –, nous essayons toujours de pousser les limites, dans toutes les directions, que ce soit dans la typologie des produits, dans les techniques de production ou dans les matériaux utilisés… Cela signifie qu’on n’est pas à la table en train de discuter avec le CEO de la maison qui édite le meuble, mais qu’on se retrouve chez le fournisseur, sur le dernier quai de la machine en train de comprendre pourquoi le dessin qu’on a fourni n’a pas fonctionné. C’est comme cela qu’on améliore le produit, dans la résolution de problème avec les fournisseurs, pour que le prototype imaginé puisse être produit en série, aujourd’hui, mais aussi dans 20 ans.

À vous entendre, c’est presque plus important de connaître les fournisseurs que les éditeurs. C’est ce qui vous a aidé à lancer votre marque Dante – Goods and Bads?

«Il faut bien se rendre compte que tous les éditeurs de design s’appuient sur des fournisseurs pour les différents matériaux, tout est externalisé. Et, en effet, cette connaissance des fournisseurs, qui sont pour la plus grande majorité située dans la région de la Brianza en Italie du Nord, et surtout le fait d’avoir de la crédibilité chez eux, a été la clé pour sortir de la cage dorée dont je bénéficiais chez Patricia.

Pour autant, j’imagine que cela ne suffit pas pour monter sa propre entreprise d’édition de design…

«Évidemment, et personne ne vous attend sur le marché. Au début, il faut accepter la frustration de l’échec et savoir être patient. Avec ma compagne, Aylin Langreuter, nous avons lancé Dante en 2012. Nous pensions alors que c’était assez d’imaginer, de dessiner et de produire un objet. Puis de faire de bonnes photos, d’avoir un nom sympa et de bons textes. D’être product driven, que toute l’énergie vient du côté du design. Mais c’était une grossière erreur! Car on a besoin de beaucoup d’autres choses pour faire une entreprise. En fait, le design ne représente que 25 % de l’activité. Le reste, c’est de la vente, de la communication, de la production…

Notre première volonté est de ne pas faire des produits qui répondent à la tendance.
Christophe de la Fontaine

Christophe de la FontainefondateurDante – Goods and Bads

Pourriez-vous essayer de définir l’identité de Dante – Goods and Bads?

«Notre première volonté est de ne pas faire des produits qui répondent à la tendance. Nous voulions inventer notre propre histoire. Cela commence avec le nom: Dante. Un nom propre qui, dès qu’il est prononcé, évoque un récit, des univers. Deuxièmement, avoir un sous-titre: Goods and Bads. Le propos est clair: notre objectif n’est pas de plaire à tout le monde. Le monde est polycentrique et il y a une place pour chacun. Ce que nous voulons créer, ce sont des pièces que les gens adorent. Et si on provoque l’adoration, on suscite forcément son contraire, la détestation. L’avantage d’être son propre patron, c’est de pouvoir décider exactement de la manière dont on souhaite positionner son entreprise sur le marché. Cette vision personnelle, les gens de l’extérieur la voient comme un positionnement mixte, entre art et design. Il est vrai qu’Aylin est artiste, et je suis designer; nous avons des visions et compétences complémentaires, mais ce que nous produisons, ce sont des produits en série, c’est bien du design.

Vous avez aussi opté pour un système de collection qui fonctionne avec des invités. Pourquoi?

«Nos invités représentent l’opportunité de développer des produits spécifiques. Grâce à notre invité, nous entrons dans un univers, nous développons un narratif. C’est notre briefing, les données internes que nous devons respecter pour créer. De ce narratif naît le produit.

Pouvez-vous nous donner un exemple?

«En 2013, nous avons invité Charles Schumann, du Schumann’s Bar à Munich. Cela nous a donné l’occasion de nous plonger dans l’univers des gentlemen, de la nuit, du masculin, des bars de légende. Grâce à cet univers, nous sommes allés chercher des typologies d’objets inattendus: des mélangeurs à cocktails, un verre tumbler... Et, pour accompagner ces objets, j’ai dessiné la serveuse Come As You Are, qui est devenue un de nos produits phares. Ce qui est très différent chez Dante est que nous n’avons pas un service marketing qui découvre des produits et crée une histoire autour. Chez Dante, l’histoire est immanente, elle vient du centre.

Vous avez commencé à Milan, mais aujourd’hui, vous êtes basé dans le sud de l’Allemagne. Pourquoi?

«Nous avons déménagé en Bavière, parce que la vie professionnelle se mélange avec la vie privée. Quand notre fille a eu l’âge d’aller à l’école, nous avons souhaité retourner vivre à Munich. Mais la vie y est chère, inabordable pour nous qui commencions notre entreprise. Alors nous avons cherché plus loin, dans la campagne. Et en cochant la case ‘Autres’ dans le moteur de recherche immobilière, nous sommes tombés sur un ancien château du 13e siècle pour le prix d’un appartement. Aylin et moi nous sommes regardés, et on s’est dit : ‘On prend!’ Et c’est comme cela qu’on s’est retrouvé à Neukirchen, dans cette propriété qui nous permet d’avoir notre habitation et notre bureau rassemblés. Mais, depuis deux mois, nous avons pris un entrepôt de 1.000m2 et nous allons transférer notre activité professionnelle là, avec nos bureaux, le stockage, le développement, la peinture, une grande machine CNC… Ce nouveau local va nous permettre de continuer à nous développer.

Parce que vous produisez aussi une partie de vos objets?

«Nous avons des produits qui viennent de différents fournisseurs et pouvons être amenés à faire l’assemblage. Et, pour certains objets qui sont plus faciles à produire, nous les fabriquons aussi nous-mêmes. Cela nous permet de réagir plus vite aux commandes.

Comment gérez-vous vos productions et leurs quantités?

«Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les grands éditeurs commandent en petite quantité – 5, 10, 15, 30 pièces… –, mais régulièrement. Quand j’ai découvert cela, je n’en croyais pas mes yeux! Cela voulait dire que nous pouvions nous permettre de travailler avec ces mêmes fournisseurs, car nos petites quantités n’allaient pas être un obstacle. Nous sommes bien entendu en seconde ligne par rapport aux grandes entreprises, mais nous pouvons travailler avec eux. Nous travaillons donc comme cela: les produits qui sont des succès commerciaux, nous les commandons par cinquantaines et nous les renouvelons souvent. Quand notre stock arrive à une dizaine de pièces, nous repassons une nouvelle commande. Pour les nouveaux produits, dont les ventes sont plus modérées, la commande s’arrête généralement à 20 pièces et nous prenons le temps de les vendre. Toutes les six semaines, un camion fait le tour de nos fournisseurs et nous ramène les produits en Allemagne.

Et si une grande commande spéciale arrive, êtes-vous aussi en capacité à répondre à cette demande?

«Oui, car nos interlocuteurs ne sont pas des artisans. Ce sont de vraies usines qui peuvent aussi produire en grande quantité si nécessaire. Les autres éditeurs travaillent aussi comme cela, excepté que la fréquence de leurs commandes est plus intense.

Comment gérez-vous la partie logistique, packaging, transport?

«Cela est effectivement un métier à part. Pour le moment nous le faisons nous-mêmes, mais nous devrions vraiment externaliser cette activité. C’est juste que nous n’avons pas encore rencontrer le bon partenaire pour le faire.

Vous avez aussi la particularité de ne pas sortir de nombreux nouveaux produits chaque saison. C’est une stratégie commerciale – car ce qui est rare est précieux – ou une obligation?

«Quand je présente un nouveau modèle, au Salon du meuble à Milan par exemple, je dois être en mesure de le mettre sur le marché six mois plus tard à un prix correct. Nous devons veiller à rester crédibles, surtout petits comme nous sommes. Je ne peux donc pas me permettre de présenter tous les ans beaucoup de nouveaux produits car, pour chacun, il y a de la recherche, du développement, de la production, du stockage…

Tout ce que nous faisons naît d’un narratif, mais existe aussi pour lui-même.
Christophe de la Fontaine

Christophe de la FontainefondateurDante – Goods and Bads

Vous est-il déjà arrivé d’avoir un produit «flop», qui n’a pas du tout fonctionné?

«Nous avons des produits qui sont arrivés trop tôt sur le marché, ou qui sont trop ‘forts’ et qui ne trouvent pas leur clientèle. Nous avons l’ambition d’être sur la première ligne, d’être ceux que les autres vont copier. Mais nous devons faire attention, car être apprécié des opinion leaders, c’est bien, mais il faut que le revendeur arrive aussi à s’approprier nos produits qui ne sont pas prémâchés. Certains objets ont aussi besoin de temps avant de trouver leur public. La serveuse, par exemple, a mis deux ans avant que nous commencions à en vendre 200 exemplaires par an.

Comment abordez-vous la question de la durabilité?

«Elle est intrinsèque. La qualité des matériaux est un prérequis, tout comme le fait d’avoir un design atemporel ou des éléments que l’on puisse réparer. Il faut de la durabilité dans les idées aussi. Si nous avons aussi peu de nouveaux produits tous les ans, c’est aussi parce que tous nos produits sont toujours d’actualité.

C’est une question de densité de propos aussi, non?

«Oui, ce n’est pas du marketing. Tout ce que nous faisons naît d’un narratif, mais existe aussi pour lui-même, car les proportions sont bonnes, les matériaux sont justes, les couleurs adéquates… Une personne peut simplement être touchée par l’objet en lui-même. Et si elle le souhaite, il y a aussi une histoire qui existe.

Parlez-nous de vos dernières créations, celles que vous avez présentées à Milan en avril.

«Quatre nouveaux designers nous accompagnent, cette année: Andrea Steidl, Calen Knauf, Christian Haas et Shane Schneck. Cela a donné naissance à sept nouveaux produits, ce qui est énorme pour nous. Plutôt que des objets standards, comme une table, un canapé ou un fauteuil, nous avons choisi d’avoir des objets satellites, des compléments. Il y a une chaise avec une assise très basse et une inclinaison de dossier fantastique, une typologique d’assise qui est peu commune. Nous avons aussi plusieurs tables d’appoint, ainsi que des lampes. Ce choix est lié à nos observations du marché. En ce moment, comme le pouvoir d’achat est plus bas, ce qui se vend le mieux, ce sont les accessoires. Nous avons aussi beaucoup d’objets qui évoquent le monde du préfabriqué, du sériel, mais avec du geste. Il y a par exemple une table en mousse d’aluminium, un produit très brut, mais qui est recouverte d’un vernis poudré qui lui donne un caractère précieux. La table de Christian Haas est réalisée avec un bois tout à fait ordinaire, que l’on trouve dans les tables de ping-pong par exemple, mais le traitement qu’il a appliqué à ce matériau le transforme complètement et lui donne une tout autre valeur.

Pour terminer, parlez-nous un peu de votre clientèle, du consommateur final des produits Dante. Qui est-il?

«Les premières années, nos plus grands clients étaient les revendeurs de meubles, les concept stores… et 10% des commandes étaient faites par les contract, c’est-à-dire les architectes ou ceux qui achètent directement pour les gros projets. Après le Covid, l’équilibre a changé: il est passé à 70% de revendeurs et 30% de contract. Et maintenant, nous sommes quasiment à 50%-50%. Ceci s’explique par le fait que le pouvoir d’achat du client individuel a baissé et que les projets d’investissement sont mains liés à l’inflation. Ceci nous permet de voir l’avenir avec sérénité.»

Biographie

  (Photo: Dante – Goods and Bads)

  (Photo: Dante – Goods and Bads)

Christophe de la Fontaine est diplômé en sculpture du Lycée technique des arts et métiers à Luxembourg avant de poursuivre ses études au département de design industriel de l’Académie des beaux-arts de Stuttgart, sous la direction de Richard Sapper. Après avoir obtenu son diplôme en 2002, il a collaboré avec Therefore, consultant en conception de produits à Londres, puis avec Piero Lissoni Associati à Milan. Il y devient directeur du département de design du Studio Patricia Urquiola, restant en poste jusqu’en 2010. En 2012, il a cofondé Dante – Goods and Bads, une marque de meubles et d’accessoires pour la maison, avec sa partenaire, l’artiste Aylin Langreuter. En 2018, il a été professeur spécialisé en design industriel à l’Académie des beaux-arts de Stuttgart.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam paru le 22 mai 2024. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

 

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