Quelle est votre approche de l’accompagnement en entreprise?
Christophe Bodelet. – «Ma démarche vise à répondre aux changements sociétaux. Je travaille de concert avec les équipes et leurs leaders, les aidant à évoluer vers une prise de conscience accrue, une orientation centrée sur l’humanisme, et une performance améliorée. C’est la clé de voûte pour générer un impact durable, selon les critères ESG. La responsabilité sociale des entreprises s’exerce à travers les secteurs techniques, mais également au niveau humain. Les entreprises sont appelées à redoubler d’efforts sur le plan humain, particulièrement en ce qui concerne leur conception du leadership.
Vous parlez d’humanisme. Vous pouvez préciser?
«Il est primordial de rappeler qu’exercer une forme d’humanisme en entreprise n’est pas une faiblesse. Au contraire, c’est un gage de bonne santé, de rentabilité durable et équilibrée. L’ère du leadership “carte de visite”, basé sur un titre de “direction” et un management vertical, n’est plus de mise, en particulier face à la nouvelle génération. Le recours à ce type de leadership, autrefois tolérable, n’est désormais plus viable, en partie à cause du bouleversement introduit par le télétravail.
Quels changements observez-vous désormais dans les fonctions de leadership?
«Être un leader aujourd’hui signifie obtenir la légitimité d’en haut, mais aussi celle des équipes. Cela implique l’instauration d’une nouvelle culture managériale qui valorise la proximité, permet aux équipes de saisir les situations, d’exercer leur discernement et de prendre les meilleures décisions possible dans l’intérêt des parties prenantes et de l’écosystème environnemental. Cette transition nécessite de nouvelles pratiques, dont celle d’être ouvert à la diversité au sens large, pour forger des équipes de collaborateurs qui agissent avec la mentalité des éco-entrepreneurs.
Ce nouveau paradigme du leadership intègre le partage de l’autorité, la création de sens à travers l’expression de soi, la responsabilité et la co-création. C’est la capacité collective des équipes à agir en ayant pleine conscience de leur impact sur l’autre et sur l’environnement.
Ne s’agit-il pas d’une image d’Épinal?
«Malheureusement, la vérité est que beaucoup d’équipes, même au plus haut niveau de leadership, opèrent encore dans un mode réactif — c’est-à-dire centré sur le contrôle — et se retrouvent paralysées lorsqu’il s’agit de résoudre des problèmes de manière créative et centrée sur les solutions. Le centre d’attention est trop souvent mis sur le contenu — sur le “quoi”, l’opérationnel — et pas suffisamment sur la manière — le “comment” on travaille ensemble —, et encore moins sur le “pourquoi' – notre impact sociétal.
Comment cela se perçoit-il au quotidien?
«Il existe de nombreux symptômes. Parmi ceux-ci, je compte le travail en silos, des incompréhensions et des comportements de retrait ou de blâme, ou encore des dysfonctionnements chez les membres des équipes en raison du stress, sans qu’ils en aient réellement conscience.
Comment le leadership humaniste trouve-t-il sa place dans l’environnement actuel dans lequel évoluent les entreprises?
«Le monde actuel est de plus en plus qualifié de “VUCA” – acronyme anglophone signifiant “volatile, incertain, complexe, ambigu”. Dans ce contexte, la performance de l’équipe de leadership est attendue à un niveau plus important. C’est ici que le leadership humaniste prend tout son sens.
Dans un monde de plus en plus digital, nous avons de plus en plus besoin de la responsabilité des humains aux commandes. C’est d’ailleurs une demande de mes clients. Il y a également une pression de plus en plus forte des employés qui requiert de modifier ces pratiques afin de pouvoir rester compétitifs sur le marché du recrutement et de la rétention du capital humain – le plus important de l’entreprise et le seul qui n’est pas valorisé au bilan.
L’ère du leadership «carte de visite» n’est plus de mise.
Comment s’intègrent les équipes dans le changement de leadership que vous évoquez?
«Il faut aussi réussir la transition du leadership individuel vers le leadership collectif. Pour cela, les entreprises doivent opérer une transition vers un leadership plus conscient, humain et axé sur la création de valeur durable. Cette évolution nécessite de remettre en question les principes établis, de créer une vision partagée et des actions alignées, de favoriser le dialogue et la diversité, d’encourager l’initiative et l’innovation, et de remettre l’humain au centre de nos préoccupations.
Il est temps de se focaliser sur les forces de chacun et d’embrasser les différences. Un leader ne doit plus se contenter de diriger. Il doit inspirer, influencer et encourager la collaboration. Il doit faire preuve d’ouverture d’esprit, de curiosité, de tolérance et de respect pour les autres.
En fait, il n’y a pas de formule magique pour un leadership réussi, mais une chose qui est certaine: les leaders qui réussissent le mieux sont ceux qui sont authentiques et qui adoptent une approche centrée sur les personnes.
Cela passe donc par davantage de collaboration?
«Ainsi, plutôt que de chercher à contrôler, les leaders doivent chercher à libérer le potentiel de leurs équipes. Il est crucial de créer un environnement où les gens se sentent en confiance pour partager leurs idées, où l’échec est vu comme une occasion d’apprendre et de grandir, et où la diversité d’opinions est valorisée et encouragée.
Il s’agit de passer d’un état d’esprit de compétition à un état d’esprit de collaboration, où chaque membre de l’équipe se sent valorisé et reconnu pour sa contribution unique.
Et n’oublions pas que le leadership ne se limite pas à la salle de réunion. Il doit s’étendre à toutes les facettes de notre vie, y compris nos relations avec nos partenaires, nos enfants, nos amis et notre communauté.
Comment combiner les aspects humains et financiers?
«Il est temps de repenser notre façon de diriger. Il est temps d’adopter un leadership plus conscient, plus humain et plus durable. Avec cette vision en tête, nous pouvons nous orienter vers un avenir où le leadership est non seulement une question de résultats financiers, mais aussi de bien-être humain et de durabilité. Un avenir où les leaders sont non seulement respectés pour leur capacité à produire des résultats, mais aussi admirés pour leur compassion, leur intégrité et leur engagement sociétal.
Le défi est grand, mais le potentiel de transformation est immense. Pour illustrer cette idée, j’aime bien citer une phrase de Simon Sinek, auteur et consultant en leadership: «Le leadership, ce n’est pas être en charge, c’est s’occuper de ceux qui sont sous notre responsabilité.»
Bio express
Christophe Bodelet est diplômé en philosophie et gestion d’entreprise, deux diplômes obtenus à l’Université catholique de Louvain (UCL) en 1995 et 1996. Il débute sa carrière dans le secteur financier, vers la fin des années 1990, où il s’oriente rapidement vers les ressources humaines. De 1999 à 2011, il a évolué au sein du département RH d’ING Luxembourg. Par la suite, il s’est spécialisé dans le coaching et l’accompagnement des équipes et des leaders. Il est notamment coach professionnel certifié par la Fédération internationale de coaching.
Le cycle d’accompagnement au changement
Lors d’une transformation organisationnelle, le rôle d’un consultant contribue au bon diagnostic, à la conception de stratégies et à l’évitement de faux pas, tout au long du cycle d’accompagnement.
1. Le diagnostic des dysfonctionnements
La détection des problèmes au sein d’une équipe de direction est cruciale. Les indicateurs peuvent varier, allant du stress au dénigrement des autres, l’évitement des conflits ou une forte dépendance au CEO. Ces symptômes reflètent des problèmes sous-jacents.
2. La redéfinition du rôle de leadership
Les équipes de direction doivent se concentrer non seulement sur les tâches opérationnelles, mais aussi sur la manière de travailler ensemble ainsi que sur le sens donné aux équipes. Cela implique de devenir plus des coordinateurs que des experts, de clarifier la vision, de définir les rôles et interdépendances.
3. La culture de collaboration
Dans un contexte «VUCA» (acronyme anglais pour «volatile, incertain, complexe, ambigu»), la réussite d’une équipe de direction repose sur la collaboration, l’anticipation et l’innovation. Cela implique une responsabilisation de chacun, une confiance et un respect mutuels, ainsi qu’une disposition à remettre en question.
4. L’accompagnement de la transformation
La transition vers de nouvelles pratiques de leadership s’étend sur 12 à 18 mois, comprend des séances de travail d’équipe, l’instauration de valeurs communes et l’engagement envers un apprentissage collectif.
Cette interview a été rédigée pour l’édition magazine de , disponible en kiosque dès ce 12 juillet. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. . Votre entreprise est membre du Paperjam+Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via