Thomas Veit, gérant obligataire chez Edmond de Rothschild (Europe). (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Thomas Veit, gérant obligataire chez Edmond de Rothschild (Europe). (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Le marché obligataire vient de connaître un choc record en termes de rapidité et d’intensité. Cela traduit les craintes justifiées des investisseurs en raison de l’épidémie de Covid-19 et de ses impacts économiques, mais pas uniquement… Reste à trouver le bon timing pour saisir les opportunités d’investissement qui se présentent.

Ce mois de mars 2020 restera dans les annales et les mémoires des investisseurs obligataires pendant longtemps: illiquidité quasi totale du marché du crédit, volatilité exacerbée sur les taux, journées d’irrationalité où les actifs traditionnellement considérés sans risque baissent de concert avec les actifs plus risqués… tous les éléments qui caractérisent une situation de crainte profonde, où plus rien n’a d’intérêt sauf le cash.

Crise de liquidité

En premier lieu, nous vivons une réelle crise de liquidité notamment sur le marché des obligations d’entreprise. Faute d’acheteurs, une masse importante de vendeurs a poussé les prix des actifs obligataires vers le précipice aussi bien sur les obligations de type «High Yield», considérées comme risquées, que sur les obligations «Investment Grade», estimées plus sûres. Rappelons que le marché obligataire est un marché de gré à gré (à la différence des actions qui traitent sur des marchés organisés) et que les mouvements baissiers peuvent être amplifiés dans ces périodes par manque de liquidité, même en l’absence quasi totale de transactions.

Cette chute des prix a été exacerbée par deux facteurs: d’une part la prépondérance des ETF ou Exchange Traded Funds (ces fonds qui répliquent un indice, ici obligataires), et d’autre part les appels de marge pour les acteurs qui ont placé leurs actifs en garantie d’un crédit.

Les ETFs représentent aujourd’hui un poids non négligeable de la sphère obligataire. En comparaison, le principal ETF d’obligations «Investment Grade» (iShares iBoxx Investment Grade) atteint aujourd’hui des encours de 38 milliards de dollars contre 3,5 milliards en 2008. Côté «High Yield», le référent atteint 15 milliards de dollars contre 295 millions en 2008. Les importants rachats des investisseurs ces dernières semaines ont poussé les ETF à accentuer la vente d’obligations «à tout prix» pour honorer leurs engagements et faire face aux retraits. Par ailleurs, de nombreux investisseurs ayant recours à l’effet de levier ont été forcés de vendre des actifs pour faire face à des appels de marge. Les actifs les plus risqués ayant déjà fortement baissé, ces ventes forcées ont affecté les actifs de qualité qui avaient le mieux résisté, ainsi que ceux bénéficiant de la meilleure liquidité, comme les emprunts d’État ou l’or.

Mouvements historiquement rapides et violents

Entre le 9 et le 19 mars, soit 9 séances boursières, les indices «Investment Grade» EUR et USD ont respectivement perdu 8,5% et 14,23%. Ce mouvement constitue la plus forte baisse historique en si peu de temps sur des classes d’actifs considérées comme faiblement volatiles. En comparaison, en 2008, ce même indice USD avait baissé au maximum de 14,5% en 1 mois et demi avant de rebondir.

Entre le 5 et le 23 mars, soit 13 séances boursières, les indices «High Yield» EUR et USD ont respectivement perdu 18% et 19.35 %. Cela constitue également le mouvement le plus violent dans ce court laps de temps. En comparaison à 2008, nous avions attendu 21 séances pour atteindre -20% sur ces indices.

Des opportunités à venir

Pendant ce temps, les banques centrales sont intervenues massivement sur le marché. Pour ne citer que quelques mesures de ce «bazooka» monétaire, la Fed a baissé ses taux d’intérêt directeurs de 1,5% en quelques jours, et a repris un programme d’achat d’obligations sans limites en termes de montant. Elle achètera même, pour la première fois de son histoire, des obligations d’entreprises ainsi que des ETF obligataires. De son côté, la BCE a dégagé une première enveloppe de 750 milliards d’euros supplémentaires dans le cadre de ses achats obligataires, elle a supprimé la limite de détention de 33% par émetteur et se donne la possibilité de déroger temporairement du prorata mensuel fixé par pays.

Dans cet environnement d’assouplissement monétaire d’une ampleur encore jamais vue et après l’impressionnante correction sur les marchés obligataires, des opportunités apparaissent.

Obligations de qualité, financières et indexées

Les obligations «Investment Grade» sont maintenant fortement soutenues par les banques centrales, le risque de hausse de taux est limité à court terme, et leurs valorisations relatives ont atteint des niveaux plus observés depuis 2008 aux États-Unis. Malgré les incertitudes économiques, il semble opportun de commencer à s’intéresser aux bons élèves.

Les obligations financières ont extrêmement souffert pendant ce mois de mars, pâtissant du sentiment d’aversion aux risques des investisseurs. Leurs valorisations ont atteint des niveaux très faibles (jusque 10% de rendement sur certains segments, ce qui traduit une baisse très importante du prix). Or, cette crise est d’ordre sanitaire et économique, mais pas financier. De plus, les bilans des banques sont nettement plus solides qu’avant 2008 grâce à des réglementations bancaires plus contraignantes. Cela constitue donc un niveau d’entrée intéressant à condition de prêter attention au timing tant que la volatilité restera sur les niveaux actuels.

Enfin, ce sentiment «risk-off» a fait chuter les rendements souverains américains et, dans le même temps, les anticipations d’inflation. Avec le soutien massif de 2.000 milliards de dollars du gouvernement américain, combiné aux mesures mises en place par la Fed, des anticipations d’inflation à 10 ans en dessous de 1% semblent extrêmement faibles. Certainement un point d’entrée intéressant sur les obligations d’État américaines indexées à l’inflation…