Pesant 5% de l’économie mondiale, la Chine est le sujet à suivre de près. (Photo: Shutterstock)

Pesant 5% de l’économie mondiale, la Chine est le sujet à suivre de près. (Photo: Shutterstock)

Inflation, pandémie, géopolitique, finance durable… Quatre chefs économistes de la place financière se sont assis autour d’une table à l’invitation de Paperjam et nous ont fait part de leur analyse prospective concernant l’année 2022. Voici une série d’articles thématisés pour mieux en comprendre les enjeux.

Chroniqueurs réguliers auprès de Paperjam, et habitués à l’exercice, , portfolio manager, coordinateur Advisory et responsable Investissements durables à la BIL, Jean-François Jacquet, responsable des investissements chez Quintet Private Bank, Philippe Ledent, expert économiste chez ING Belux, et Alexandre Gauthy, macro-économiste et responsable Investissements chez Degroof Petercam Luxembourg, nous livrent leur analyse pour 2022 et tentent de répondre à la grande question: quelles perspectives offre la Chine pour les économies mondiales et pour les investisseurs?

Que reste-t-il de la Chine? Une question impertinente qui se justifie pourtant dans un contexte où ce pays traverse une crise immobilière qui pourrait déboucher sur une crise sociale. La Chine se construit politiquement grâce à l’adhésion de la classe moyenne. Une classe moyenne qui s’est fortement développée ces dernières années en profitant du dynamisme de l’économie. Mais dans un pays où 90% de la richesse nette des ménages est dans l’immobilier, un krach pourrait bien remettre en cause un pacte social basé sur l’échange prospérité-obéissance civile.


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Pour Jean-François Jacquet, même si les performances du marché chinois ont été très mauvaises en 2021, «on ne peut pas ne pas investir en Chine aujourd’hui». Des mauvaises performances qu’il attribue à un rééquilibrage en cours. «L’objectif du pouvoir n’est plus de garantir une croissance à deux chiffres, une croissance élevée mais orientée court terme, mais de mettre en place une dynamique de croissance plus stable, inclusive et qui prenne en compte des objectifs de long terme en matière de changement climatique.» Ce qui se traduit par un rééquilibrage sur plusieurs segments: la demande intérieure prime sur les exportations, les services sur l’industrie manufacturière et le consommateur sur l’investissement.

Un rééquilibrage qui a pu surprendre les investisseurs. Des investisseurs qui ont tout à gagner de la transformation opérée en parallèle de l’environnement réglementaire «et qui devient assez proche de ce que l’on a dans le monde occidental».

Pour le responsable des investissements chez Quintet Private Bank, il ne faut pas perdre de vue que l’on parle d’une économie qui va prochainement devenir la première économie du monde et qui domine l’Asie, une zone très dynamique également. «Les à-coups observés cette année sont dus à ces rééquilibrages. L’immobilier est clairement une zone d’inquiétude qui a expliqué certainement la façon dont le marché chinois a réagi cette année-ci. Mais les perspectives de croissance sont là néanmoins.»

Pas question non plus pour Olivier Goemans d’écarter la Chine des portefeuilles «parce que le contexte n’est pas facile. L’exclure par défaut est aberrant.» Et de poursuivre: «Aujourd’hui, la Chine est moins chère et offre beaucoup d’opportunités. Maintenant, y investir nécessite d’être connecté au flux d’informations et d’avoir une certaine proximité avec ce marché. Nous avons une exposition à la Chine que nous avons eu du mal à porter durant cette année compliquée, mais nous l’avons gardée et nous nous posons la question de la pertinence d’une augmentation.»

Le risque immobilier

Pour Alexandre Gauthy, le principal problème actuel de la Chine est d’avoir construit plus de logements qu’elle n’en avait besoin. 2021 sera la première année où la population chinoise baissera, relève l’économiste, pour qui, à long terme, les problèmes démographiques chinois vont s’aggraver dans un contexte d’endettement élevé des municipalités. «Le pays va devoir trouver un autre moteur de croissance que l’investissement dans les infrastructures et dans les logements, deux secteurs qui étaient le levier des programmes de relance passés et qui ne peuvent plus l’être.» L’alternative est, selon Alexandre Gauthy, l’investissement dans les énergies vertes et les nouvelles technologies. Pour éviter le «middle income trap» et accéder au statut d’économie développée, l’économie chinoise devra monter en gamme et se tourner vers les services et l’innovation.

Pour lui, au fur et à mesure que l’effet de rattrapage qui a dopé le commerce international lors de la réouverture post-pandémique des économies s’estompera, la croissance chinoise décroîtra, avant de se stabiliser dans le courant de 2022.

Quant à la question de la crise immobilière, «alors que pour la première fois on voit le prix des maisons baisser en Chine», il estime que le gouvernement agira pour éviter une déflation des prix immobiliers, sans pour autant relancer le secteur et ouvrir les vannes du crédit. «Un exercice d’équilibre difficile et délicat.»

Mais pas impossible, selon Olivier Goemans, qui rappelle que l’économie chinoise est une économie planifiée. Tout en convenant que c’est un secteur qu’il faudra garder à l’œil en 2022.

La question des limites de la mondialisation

Pour Philippe Ledent, si Beijing cherche à faire de la consommation intérieure son nouveau moteur de croissance – «le projet des routes de la soie démontre que, malgré tout, ils veulent continuer tant d’un point de vue géopolitique que d’un point de vue commercial à tirer profit de la dynamique du commerce international» –, il faut avant tout s’interroger sur le fait de savoir si le monde va continuer d’avancer dans le sens de la mondialisation. «Nous sommes dans un monde où les tensions s’aggravent et je me demande parfois si le thème de 2022 ne pourrait pas être au final la géopolitique.»

«Sommes-nous encore aujourd’hui dans une trajectoire de l’économie mondiale qui va dans le sens d’une plus grande mondialisation et d’une intensification des échanges?», s’interroge-t-il. Tout en reconnaissant que nous sommes dépendants de ce modèle basé sur le commerce mondial, ce que l’on a pu constater durant la pandémie lorsqu’on manquait de masques et qui se vérifiera encore pour l’approvisionnement en matières premières.

«Dans un monde où les tensions géopolitiques se renforcent et où le concept de souveraineté revient désormais dans tous les discours politiques, qu’est-ce que cela peut donner?» Une question ouverte…