Bannie aux États-Unis, couvée par l’État chinois, China Telecom est arrivée au Luxembourg dans le cadre de son expansion européenne, notamment dans le cloud, où elle talonne Alibaba et devance Huawei. (Photo: Shutterstock)

Bannie aux États-Unis, couvée par l’État chinois, China Telecom est arrivée au Luxembourg dans le cadre de son expansion européenne, notamment dans le cloud, où elle talonne Alibaba et devance Huawei. (Photo: Shutterstock)

Arrivée au Luxembourg au printemps dernier, avec trois ans de retard dans le cadre de sa conquête de l’Europe, China Telecom, très liée à l’État chinois, joue profil bas. Fin décembre, elle a perdu la licence qu’elle détenait depuis 20 ans aux États-Unis, qui la considèrent comme une entreprise à risque pour la sécurité nationale.

«On ne peut pas continuer à jouer simultanément la carte américaine et la carte chinoise.» Dans une interview qu’il a accordée cette semaine au Land à l’occasion de la sortie de ses «Leçons d’une guerre», le géopolitologue franco-luxembourgeois François Heisbourg raille poliment le «en même temps» des autorités luxembourgeoises dans le spatial et le secteur financier.

Il faudrait y ajouter les télécommunications. À la différence des polémiques nées de la participation potentielle de Huawei au déploiement de la 5G au Luxembourg, l’arrivée, il y a quelques mois, de China Telecom – au 5, place de la Gare – n’a pas suscité la moindre levée de boucliers. Elle n’a pourtant pris personne par surprise puisqu’elle avait été annoncée… fin 2018.

En 2019, il avait fallu insister pour obtenir une réponse des opérateurs luxembourgeois sur la place qu’ils allaient laisser à Huawei, arrivé au Luxembourg en 2009, avant que, devant une commission de la Chambre des députés, le ministre de l’Économie, (LSAP), ne finisse par reconnaître que Post aurait bien cédé aux sirènes du matériel de très bon niveau et des prix moins élevés sans la pression extérieure qui l’a obligé à retenir Ericsson.

Toujours plus de revenus des opérateurs «locaux»

Alors que tout le monde jure, main sur le cœur, avoir pris ses distances avec Huawei, les chiffres sont cruels: si les revenus de la filiale luxembourgeoise ont eu un coup de mou, ils sont presque revenus, en 2021, au niveau de 2017, avant le début des polémiques. Mais, plus intéressants encore, la part de revenus auprès des opérateurs locaux (en équipements et services), n’a quant à elle jamais cessé d’augmenter.

Si le Luxembourg a une longue tradition de relations cordiales avec la Chine, qui l’a vu accueillir sept banques de l’Empire du Milieu, la problématique n’est-elle pas légèrement différente lorsque l’on parle de sécurité nationale liée aux télécommunications?

Il ne s’agit pas ici de faire du «Chinese bashing». Mais , après un an et demi d’enquête pour retirer sa licence à China Telecom, sont assez claires. Pourquoi en parler maintenant? Parce qu’un an après, fin décembre, en appel, la FCC a maintenu le retrait de la licence. «Cette action était basée sur la recommandation des agences de sécurité nationale qui ont constaté que les opérations de China Telecom aux États-Unis ont fourni des opportunités pour l’augmentation des cyber-activités soutenues par l’État chinois, y compris l’espionnage économique et la perturbation et le détournement de trafic de communications aux États-Unis», indique la directrice de l’autorité américaine, Jessica Rosenworcel, dans sa décision, en ligne avec les retraits de licences à Huawei, ZTE et d’autres opérateurs de télécommunication (China Mobile, Hytera Communications, Hangzhou Hikvision Digital Technology et Zhejiang Dahua Technology).

Chinois sous surveillance

En avril 2020, le gouvernement américain avait reproché à China Telecom d’avoir ciblé son réseau virtuel mobile sur plus de 4 millions d’Américains d’origine chinoise; 2 millions de touristes chinois par an visitant les États-Unis; 300.000 étudiants chinois dans des collèges américains et plus de 1.500 entreprises chinoises en Amérique. Des reproches balayés par les dirigeants chinois depuis Pékin, comme c’est toujours le cas dans la guerre commerciale et d’influence entre les deux pays.

Mais la mention de la possibilité, pour le gouvernement central chinois, «d’accéder, de stocker, de perturber et/ou de détourner les communications américaines», fait référence aux problèmes du Border Gateway Protocol (BGP), utilisé pour acheminer le trafic internet. La Chine est d’ailleurs loin d’être la seule à détourner le trafic internet quand ça la chante ou quand le système a un bug. En 2019, China Telecom a laissé arriver en Chine des flux de trafic qui venaient des réseaux européens (Pays-Bas, Suisse, France), alors qu’elle avait été informée et qu’elle aurait pu agir, lui reproche l’Atlantic Council, think tank américain à la dent dure qui reprochait à l’entreprise chinoise d’avoir été «à l’origine d’une douzaine d’incidents BGP uniques (fuites et détournements possibles) entre le 1er janvier et le 31 mai 2020». C’était le plus spectaculaire des détournements de trafic internet de China Telecom, .

Une pieuvre aux ambitions dévorantes

Aujourd’hui, China Telecom, 450 centres de données plus des armoires dans 180 datacenters dans le monde (37 en Europe dont l’European Data Hub de Luxembourg) et ses 47 systèmes de câbles et plus de 120 points de présence (PoP), compte 392,1 millions d’abonnés mobiles, 181,1 millions d’abonnés à la fibre optique fixe et aux 272 millions de clients abonnés à la 5G.

Quelle est l’ambition de la succursale luxembourgeoise de China Telecom Europe basée à Londres? Fournir des services de connectivité de télécommunication traditionnels (VPN, IEPL) comme l’exploitation du Multi-Protocol Label Switching de China Telecom; la mise en place de réseaux d’entreprise pour la transmission sécurisée et cryptée de leurs données; l’exploitation de la plateforme de services distribués VPN China et l’exécution de services Global Ethernet; la fourniture des services de stockage «Cloud», comme la construction de plateformes de réseau étendu à définition logicielle (SD-WAN) sur le réseau privé avancé de China Telecom; la fourniture d’un hébergement sécurisé à haute disponibilité par le biais des centres de données de China Telecom dans le monde entier avec des partenaires locaux; et des services gérés, tels que l’hébergement de sites web et les services de récupération après sinistre.

À l’heure de boucler cet article, China Telecom n’avait pas répondu à nos demandes de précisions.

Le seul indicateur fiable tient dans les résultats de la maison-mère londonienne: le chiffre d’affaires de la structure est passé de 140 millions d’euros en 2019 à 161 en 2020 et 177 en 2021; dont 31,5 millions pour la zone «Europe» qui comprend la Russie et la Turquie. La branche londonienne avait déjà des succursales en Espagne, en Suisse et en Turquie.

En 2022, à l’échelle mondiale, China Telecom (derrière Alibaba mais devant Huawei), a doublé ses revenus à 4 milliards de dollars sur le cloud. CT a été désignée fournisseur officiel du cloud pour l’État chinois, bien aidé par l’apport de sa filiale cloud Tianyi et ses quatre nouveaux actionnaires liés à l’État (deux conglomérats électroniques, China Electronics Technology Group Corp et China Electronics Corp, et deux investisseurs financiers, China Reform Holdings et China Chengtong Holdings). Les deux actionnaires sont… les deux plus grands fabricants chinois d’électronique militaire, ce qui ne va pas calmer les craintes américaines. 

, racontée la semaine dernière par des journalistes qui étaient au Mobile World Congress de Barcelone. Et qui ont découvert que le badge distribué à l’entrée, fourni par Huawei, permettait de les suivre à la trace, idée assumée par le fournisseur chinois.