Marie-Christine Simon est mandataire en marques et dessins et modèles, ainsi que directrice du département marques du cabinet Freylinger. (Photomontage: Maison Moderne)

Marie-Christine Simon est mandataire en marques et dessins et modèles, ainsi que directrice du département marques du cabinet Freylinger. (Photomontage: Maison Moderne)

Le 7 décembre, un tribunal d’arrondissement luxembourgeois a jugé que l’originalité de la photo de Jingna Zhang était insuffisante et que Jeff Dieschburg n’avait, par conséquent, pas plagié son œuvre. Marie-Christine Simon, mandataire en marques et dessins et modèles, ne représentant aucune des parties de l’affaire, donne sa perspective sur ce jugement.

Il peut être difficile de déterminer l’originalité d’une œuvre d’art selon , mandataire en marques et dessins et modèles chez Freylinger. N’étant pas elle-même impliquée dans l’affaire Zhang-Dieschburg, elle s’exprime alors que la photographe singapourienne  (l’avocat de Zhang a déclaré qu’elle ferait appel).

La mandataire explique que l’œuvre de l’artiste singapourienne a pris forme et qu’elle existe: elle peut donc être protégée par le droit d’auteur au Luxembourg, aux États-Unis et presque partout dans le monde. C’est la première étape.

Mais la deuxième étape est plus vaste et laisse place aux opinions personnelles, déclare ensuite Marie-Christine Simon. Une fois que Jingna Zhang a poursuivi Jeff Dieschburg pour violation du droit d’auteur, quelqu’un – le juge – a dû examiner la photographie originale qui avait été créée, puis décider «jusqu’où va la protection du droit d’auteur? La loi luxembourgeoise protège-t-elle le droit d’auteur?»

Différences nationales

«Bien sûr, nous avons des directives européennes pour la protection du droit d’auteur», déclare la mandataire, mais il existe aussi des lois nationales. Elle fait remarquer que sur les réseaux sociaux, Jingna Zhang cite la jurisprudence américaine (l’artiste est basée aux États-Unis). Mais la décision qui pourrait être prise outre-Atlantique serait probablement différente de celle prise par le tribunal de première instance au Luxembourg, explique-t-elle.


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Même en Europe, les lois diffèrent d’un pays à l’autre. En droit suisse, par exemple, il est «clairement écrit dans la loi, qu’[une] photographie qui a été prise est protégée par le droit d’auteur, sans que l’auteur soit obligé de démontrer qu’il y a une originalité».

«Ce n’est pas le cas au Luxembourg. Ici, c’est au juge et au tribunal de déterminer s’il y a une originalité suffisante dans cette photographie. Et c’est ce qui s’est passé.»

La charge de la preuve

Selon le jugement, pour bénéficier de la protection par la loi luxembourgeoise (la loi du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur), une création doit remplir deux conditions: il doit s’agir d’une œuvre qui présente une manifestation concrète, ce qui la différencie d’une idée abstraite; et elle doit présenter un degré suffisant d’originalité, apportée par l’auteur.

Ce n’est qu’une fois ces deux conditions remplies que l’artiste peut prétendre à une série de droits exclusifs, à savoir des droits moraux – tels que le droit de divulgation ou le droit de s’opposer à une déformation – et des droits patrimoniaux – tels que le droit de reproduction ou le droit de communication au public.

Le tribunal devait donc déterminer si ces deux conditions étaient remplies. En l’espèce, la première condition est remplie: la photographie a bien été produite.

Toutefois, en ce qui concerne la deuxième condition, le juge luxembourgeois a conclu que l’originalité de l’œuvre n’était pas suffisante. Dans son jugement, il n’a pas seulement examiné l’image elle-même, explique Marie-Christine Simon. La «charge de la preuve» incombait également à Jingna Zhang de démontrer que son œuvre présentait une telle originalité, et que «l’effort intellectuel» nécessaire à la création de la photographie venait d’elle. Et pour le tribunal, la photographe ne l’a pas prouvé.

La peinture de Jeff Dieschburg (à droite) et la photographie de Jingna Zhang (à gauche) (Montage: @zemotion/Instagram)

La peinture de Jeff Dieschburg (à droite) et la photographie de Jingna Zhang (à gauche) (Montage: @zemotion/Instagram)

La position du modèle sur la photographie a également été un point de remise en question. D’autres œuvres d’art présentant un modèle dans la même position ont été montrées au tribunal, qui a conclu que la pose du modèle dans la photographie de Jingna Zhang n’était pas «originale».

Marie-Christine Simon a commenté: «Je suis d’avis que la charge de la preuve était particulièrement élevée pour Mme Zhang dans ce cas particulier.» Elle a de nouveau souligné les différences entre les lois nationales. Selon la mandataire, en France par exemple, «il serait beaucoup plus facile de prouver cette originalité.»

De plus, Marie-Christine Simon a souligné que la décision a été prise par un tribunal de première instance au Luxembourg, et qu’il y aurait très certainement un appel.

Plagiat ou source d’inspiration?

Les artistes ne s’inspirent-ils pas souvent des autres? Souvent, les étudiants en art copient des tableaux de maîtres anciens. En quoi cela est-il différent? À cette question, la mandataire répond: «Au Luxembourg, les droits d’auteur sont protégés pendant la vie de l’auteur et jusqu’à 70 ans après sa mort». Par conséquent, les œuvres des maîtres anciens ne sont plus protégées par le droit d’auteur – elles appartiennent au domaine public – et tout le monde peut les copier.

Jingna Zhang, en revanche, est toujours en vie, et c’est elle qui possède les droits d’auteur de ses œuvres. Il faut donc obtenir sa permission pour utiliser ses œuvres. «C’est à elle de décider, car elle est la détentrice des droits d’auteur de sa propre création.» L’artiste peut par exemple accorder une licence ou le droit de reproduire ses œuvres. 

Mais dans ces cas qui mettent en cause des droits d’auteur, l’appréciation est moins objective que dans les affaires de droits de propriété technique ou industrielle, a souligné Marie-Christine Simon. Ainsi, même si le droit d’auteur de Jingna Zhang existe, elle ne pouvait pas réclamer de dommages et intérêts à Jeff Dieschburg, car, selon le tribunal, l’œuvre n’était pas assez originale et le droit d’auteur pas «suffisamment fort» pour accorder ces droits exclusifs.

Une décision qui créera un précédent?

«Bien sûr, chaque décision peut ou non créer un précédent», a déclaré Marie-Christine Simon, mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’une décision d’un tribunal de première instance. Pour la mandataire, il serait «prématuré» de discuter de l’étendue de la protection du droit d’auteur au Luxembourg pour le moment. Mais elle ajoute qu’elle espère que la décision n’invitera pas les tiers à copier les photographies existantes des artistes.

Note de la rédaction: Cet article a été modifié ce 24 janvier 2023 suite à une erreur de traduction du titre de Madame Marie-Christine Simon, qui est Conseil en Propriété Industrielle (Luxembourg).

Cet article a été rédigé par  en anglais, traduit et édité par Paperjam en français.