Quel regard portez-vous sur le marché du travail au Luxembourg?
Rita Schroeder (R. S.). – «La période du Covid a fait beaucoup de mal à notre secteur comme à beaucoup d’autres. L’aviation a énormément souffert durant cette période. Pas mal de compagnies aériennes ont licencié une partie de leur personnel. À l’image de ce qu’a connu l’Horeca, beaucoup de ces personnes ont perdu confiance et ont cherché à se réorienter. Nous peinons de plus en plus à recruter. Au sein de Luxembourg Air Rescue, nous recherchons avant tout des profils très spécialisés, des pilotes expérimentés, avec plus de 2.300 heures de vol à leur actif.
Nos pilotes d’hélicoptère, dans l’exercice de leurs missions, ne savent pas à l’avance où ils vont pouvoir se poser, dans quelles conditions ou encore ce qu’ils vont trouver sur place. Pour réaliser un hélitreuillage, il faut pouvoir stabiliser un appareil dans des circonstances parfois compliquées. L’expérience est indispensable, sans compter l’aspect psychologique lié à nos missions. La pénurie ne concerne pas que les pilotes. Nos techniciens de maintenance doivent eux aussi suivre un parcours exigeant. Il leur faut plus de cinq années avant d’obtenir leur licence et travailler en toute autonomie sur nos appareils. Ce métier n’est pas reconnu à sa juste valeur. Nous arrivons à un stade où toutes les personnes actives dans la Grande Région occupent déjà un poste. Sans compter que nous sommes confrontés à deux concurrents de taille en termes de recrutement, à savoir Cargolux et l’État luxembourgeois.
Comment s’y prendre pour recruter dans ce contexte difficile?
R. S. – «Pour nous démarquer, nous misons beaucoup sur la formation. Chaque année, nous accueillons plusieurs apprentis, que ce soit en mécanique ou dans d’autres départements. À cela s’ajoute une quinzaine de stagiaires. Pour trouver du personnel, il faut donner sa chance aux jeunes. Un autre défi est d’aller chercher du personnel ailleurs. Or, la vie au Luxembourg est chère, la plupart des gens craignent de s’expatrier. Il suffit de surfer quelques minutes sur le web pour voir que le salaire moyen est beaucoup plus élevé ici qu’ailleurs. Les candidats arrivent avec des demandes salariales qui ne correspondent pas à nos moyens. Sans compter que ces personnes s’interrogent sur le fait de savoir où elles vont habiter, dans quelles conditions, etc.
(N. S.). – «Je vous rejoins à 100%. Le monde du recrutement a changé. L’attraction des talents est devenue un véritable challenge pour la plupart des PME, d’autant que la mentalité des candidats a fortement évolué. Dans ce contexte, les ressources humaines s’apparentent à un ‘job impossible’. Il faut veiller à la satisfaction du personnel, à l’onboarding des nouveaux collaborateurs, à l’application de la politique RH, à la cohésion interne. À cela s’ajoutent l’attraction des talents et le marketing qui y est associé. Les candidats sont plus exigeants que par le passé, ce qui demande également une plus grande vigilance de la part des équipes. Il faut être très réactif, répondre aux attentes, accorder les violons de la meilleure manière possible. Cela s’apparente à un jeu d’équilibrisme permanent. Là où les grandes entreprises disposent d’équipes dédiées pour le sourcing, le recrutement, l’employeur branding, la gestion des plans de carrière, les PME doivent composer avec quelques personnes-clés.
R. S. – «Chez Luxembourg Air Rescue, on compte environ 150 salariés et plus d’une centaine de free-lances. Nous sommes trois personnes aux RH pour assurer l’ensemble des tâches, comme le recrutement, le payroll, la sécurité et la santé au travail, la formation, jusqu’à la commande des uniformes ou les demandes de badge… Dans toute PME, le focus est essentiellement mis sur l’opérationnel. L’important est que le métier soit fait. Pour LAR, il faut que les avions ou les hélicoptères décollent et mènent à bien leurs missions de sauvetage, qu’il y ait suffisamment de pilotes, d’infirmiers, de médecins et de techniciens pour assurer le service. Pour un restaurant, il faut que la cuisine sorte de bons produits pour satisfaire les clients. Les RH, le marketing, les relations publiques sont des fonctions non opérationnelles occupées par des gens polyvalents. En PME, on ne peut pas travailler dans un seul métier.
Pour trouver du personnel, il faut donner sa chance aux jeunes.
Quelles sont les attentes des candidats et candidates aujourd’hui?
R. S. – «Les candidats attendent une plus grande flexibilité de la part de l’employeur. Or, nous travaillons dans un domaine qui allie l’aviation et la médecine, deux univers où la flexibilité n’est pas le premier élément qui vient à l’esprit. Dans ce contexte, la marque employeur prend de plus en plus d’importance. Cela commence dès la publication de l’annonce de recrutement. Il faut trouver le juste équilibre, être sincère. Dans notre cas précis, nous devons transmettre l’image d’une société à la fois moderne et sérieuse. Il faut être capable de prendre soin des gens, mais il ne faut pas non plus les traiter comme des enfants.
Nous travaillons dans un domaine où les responsabilités sont importantes, avec beaucoup de procédures obligatoires, de règles de sécurité. Cela dit, il faut être capable de nouer un bon contact avec le candidat ou la candidate, donner une bonne impression, présenter nos missions et le sens que peut apporter le fait de travailler chez nous. Nous organisons des tests et des visites sur le site pour présenter l’équipe avec laquelle le candidat pourrait travailler à l’avenir. Le plus important est de rester en contact. Entre la signature du contrat et l’entrée en service, 2 à 3 mois peuvent s’écouler. La plus grande erreur serait de croire qu’il ne peut rien se passer durant cette période. Aujourd’hui, l’onboarding commence à la signature du contrat.
Comment se passe le processus de recrutement aujourd’hui?
R. S. – «Avant, on cherchait un profil durant quelques mois et on finissait par trouver. Aujourd’hui, soit on ne reçoit plus de CV, soit ils ne correspondent pas au profil recherché. Les dirigeants de PME sont de plus en plus conscients de cette problématique. Ils n’ont plus le choix. S’ils veulent faire prospérer leur entreprise, ils ont besoin des bonnes ressources. Les PME ne sont rien sans leur personnel, il faut donc veiller à être au plus proche de chaque salarié, écouter ses besoins, ses peurs. La vie a changé. Les gens ont d’autres besoins ou les expriment plus volontiers que par le passé.
N. S. – «Les plus jeunes réfléchissent différemment. Ils ne mettent pas de côté leurs projets personnels, sont capables de démissionner pour faire un tour du monde avant de revenir frapper à votre porte. Ils se mettent moins de contraintes. Ils ne contractent plus de crédit pour une voiture ou une maison. Ils veulent rester flexibles, ce qui est très bien. En revanche, la gestion du personnel n’en devient que plus compliquée. Certains métiers sont totalement délaissés.
R. S. – «La gestion de la diversité est également un autre défi. Nous avons 27 nationalités différentes parmi notre personnel, avec des cultures et des âges différents. C’est évidemment très intéressant et source d’opportunités, mais c’est également un défi quotidien.
Face à toute cette complexité, le Luxembourg n’a-t-il pas perdu en attractivité ces dernières années?
N. S. – «Par le passé, l’attractivité du Luxembourg tournait essentiellement autour du salaire. On pouvait s’accommoder d’un temps de trajet un peu plus long pour une rémunération intéressante. Aujourd’hui, l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle a pris le dessus. On le constate de plus en plus. Des personnes qui vivent au-delà de Metz préfèrent ne plus venir au Luxembourg pour travailler. Je reste convaincu de l’attractivité incroyable du pays, au travers de la diversité des métiers et des entreprises présentes sur le territoire. Nous devons mettre cela plus en avant, rayonner au-delà de la Grande Région, pas spécialement en Asie ou au Canada, mais à plus grande échelle.
Quel est finalement le secret pour attirer les talents?
R. S. – «Il n’y a pas de secret. En tant qu’employeur, il faut faire preuve de la plus grande flexibilité possible, même si tous les métiers ne le permettent pas. Il faut aussi essayer de comprendre au mieux la nouvelle génération, ses inquiétudes, ses besoins. Il faut surtout se donner les moyens d’entourer les candidats et les nouvelles recrues de la bonne manière. C’est plus facile pour une grande entreprise que pour une PME, mais c’est possible. En résumé, je dirais qu’il faut finalement améliorer sa capacité d’accueil, ses talents d’hôte.
N. S. – «La vraie force d’une PME est de rester une entreprise à taille humaine, avec un côté familial. Les candidats ne sont pas des numéros. C’est important de le communiquer vers l’extérieur. Pour l’entreprise, il est important de donner de la visibilité à ses métiers, à sa culture d’entreprise. Cela permet aux candidats de se projeter. Les jeunes, mais aussi les moins jeunes, veulent aujourd’hui travailler pour une entreprise qui affiche des valeurs fortes. La RSE a pris une nouvelle dimension.
On en vient à la question du sens, qui est de plus en plus centrale aujourd’hui sur le marché de l’emploi.
R. S. – «Les valeurs de l’entreprise doivent se vivre au quotidien. Pour moi, il est primordial d’intégrer chaque membre du personnel dans cette démarche.
N. S. – «L’âme d’une PME réside dans sa culture d’entreprise forte. Dès lors, il est important de veiller au maintien voire à l’amélioration de cette culture, qui appartient au personnel, aux gens qui la font vivre et la partagent au quotidien. En donnant du sens à ce que l’on fait, on arrive encore à attirer des candidats de plus en plus talentueux et à les garder. La rétention est l’élément-clé. Il faut être en mesure de retenir les talents le plus longtemps possible, leur permettre de s’épanouir, d’évoluer…»
R. S. – «Il faut minimum un an et demi pour rentabiliser un recrutement. C’est aussi le temps qu’il faut pour que la personne soit véritablement consciente de ce que l’on attend d’elle, du travail qu’elle doit accomplir. Lorsqu’il faut recommencer à zéro, on a juste perdu tout ce temps et l’on n’arrive pas à avancer. C’est avec l’expérience que l’on peut évoluer. Il faut des nouvelles recrues et des anciens. Avoir une bonne moyenne d’âge, ni trop basse ni trop haute, est important.»
La vraie force d’une PME est de rester une entreprise à taille humaine, avec un côté familial.
PME: devenez visible!
Marque employeur
«C’est désormais un levier stratégique incontournable, partage Nicolas Speeckaert, co-founder d’All Eyes On Me (AEOM)*. Les entreprises doivent se démarquer par ce qu’elles représentent, par les valeurs qu’elles incarnent, et par leur capacité à raconter leur histoire.»
*Maison Moderne, qui édite Paperjam, a acquis 33% de AEOM, dans le cadre de son programme Media4equity.
La puissance de l’image
«À l’ère des réseaux sociaux et du contenu digital, les photos et vidéos sont des ‘essentiels’. Pourquoi? Parce que nous vivons dans une société visuelle. Les talents, en particulier les jeunes générations, recherchent des entreprises authentiques, transparentes et humaines. Et quoi de mieux qu’une vidéo immersive ou une photo vibrante qui reflète la vie au sein de l’entreprise pour transmettre cette authenticité?»
L’exemple des grands employeurs
«Les grandes entreprises, locales comme internationales, l’ont bien compris. Elles investissent massivement dans des campagnes visuelles. Le résultat? Une visibilité accrue, un flux constant de candidatures, et la capacité à capter les meilleurs talents avant même qu’ils ne songent à chercher ailleurs.»

L’attractivité du Luxembourg. (Source: Institut international pour le développement du management – IMD)
Luxembourg Air Rescue, en bref
180.000 membres
Créée en 1988 en tant qu’association sans but lucratif, Luxembourg Air Rescue (LAR) compte aujourd’hui 180.000 membres qui, grâce à leur adhésion, profitent du service de sauvetage aérien au Luxembourg et en Grande Région, et d’une assistance rapatriement dans le monde entier. L’organisation, avec sa filiale Luxembourg Air Ambulance (LAA), est composée de sept hélicoptères de sauvetage et de cinq jets-ambulances.
Pour sauver des vies
LAR suit son objet social qui est de sauver des vies humaines et de préserver la santé de personnes en détresse, 24h/24 et 365 jours/an, aussi bien au Luxembourg que dans la Grande Région et à l’échelle mondiale. Ceci en appliquant les plus hauts standards de sécurité et de qualité, tant au niveau de la médecine que de la technologie et de l’aviation.
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 11 décembre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. .
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