La directrice du Chaplin’s World by Grévin, Béatrice de Reyniès. (Photo: Eric Chenal)

La directrice du Chaplin’s World by Grévin, Béatrice de Reyniès. (Photo: Eric Chenal)

À l’occasion d’une visite au Chaplin’s World by Grévin, musée rendant hommage à l’œuvre de Charlie Chaplin et présentant les dernières années de sa vie lors de son exil en Suisse, Paperjam s’est entretenu avec Béatrice de Reyniès, directrice générale du musée, au manoir de Ban, ancienne demeure des Chaplin dans le magnifique paysage de la Riviera vaudoise.

Depuis un an, vous êtes à la tête du Chaplin’s World by Grévin, un musée qui présente à la fois l’ancienne demeure suisse de la famille Chaplin dès 1952 après leur exil des États-Unis, et l’univers et l’œuvre de Charlie Chaplin dans une nouvelle annexe construite dans le parc à cette fin. Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler pour ce projet?

Béatrice de Reyniès. – «Je suis en effet devenue directrice générale du Chaplin’s World by Grévin en mars 2019, mais je participe à ce projet depuis ses débuts. Dès 2012, la Compagnie des alpes, société française qui possède notamment le musée Grévin à Paris et pour laquelle je travaille, a été contactée par le Domaine du manoir de Ban qui gérait l’ancienne propriété de la famille Chaplin.

Un projet de musée était en cours depuis le début des années 2000, sans jamais avoir abouti. Nous avons été contactés par le muséographe québécois Yves Durand, également passionné de cinéma et de Chaplin, et l’architecte suisse Philippe Meylan, tous deux impliqués dans le Domaine du manoir de Ban, alors que nous allions ouvrir un musée Grévin à Montréal. À l’époque, je m’occupais du développement des musées Grévin à l’international, après avoir dirigé le musée de Paris.

C’est Yves Durand qui a eu cette idée d’intégrer le concept Grévin dans le concept scénographique qu’ils avaient commencé à élaborer. Nous avons alors pris connaissance du site, de son potentiel, rencontré l’équipe initiatrice, qui, en plus de Philippe Meylan et Yves Durand, comptait aussi le fonds d’investissement luxembourgeois Genii Capital, propriétaire du domaine.

Chacun pouvait apporter des compétences différentes et complémentaires, développant un intérêt particulier pour ce projet. Notre partenariat a finalement été signé en 2014.

À quel niveau la société Compagnie des alpes est-elle impliquée dans Chaplin’s World?

«Chaplin’s World est une filiale à 100% de la Compagnie des alpes. En tant que partenaire, nous avons fini le tour de table financier à hauteur de 10 millions de francs suisses sur un total de 50 millions, et nous avons signé un contrat d’exploitation du musée pour 30 ans. Nous avons été responsables du développement du projet scénographique et d’une partie des travaux de second œuvre.

Tous les travaux de rénovation et de construction étaient en revanche sous la responsabilité du propriétaire foncier. La Compagnie des alpes, en plus des musées Grévin, exploite aussi des parcs d’attractions comme le Parc Astérix, le Futuroscope et des stations de ski – La Plagne, Tignes, Les Arcs. Grâce à notre savoir-faire et notre expérience, nous avons pu proposer une scénographie forte qui est source d’expériences pour les visiteurs, entre culture et divertissement, tout en s’appuyant sur le travail scientifique mené par Yves Durand sur l’œuvre de Chaplin.

Notre challenge était de faire de ce lieu un projet innovant, à l’opposé d’un musée qui ne présenterait que quelques photos et des extraits de films.

Quelles sont les ambitions et les missions du Chaplin’s World?

«Nous étions tous d’accord pour que Chaplin’s World soit un lieu unique. Le manoir devait présenter la vie de Charlie Chaplin en Suisse, les 25 dernières années de sa vie qu’il a passées ici et qui ne sont pas connues du grand public. Nous voulions montrer les aspects de sa vie familiale, de la dernière partie de sa vie professionnelle. Tout ce qui concerne son œuvre cinématographique à proprement parler est traité dans le Studio, qui a été construit dans le parc du domaine.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce Studio?

«Il s’agit d’une construction contemporaine en béton conçue par le bureau d’architectes IttenBrechbühl et qui s’intègre parfaitement dans le paysage. Un vrai challenge lorsqu’on sait qu’à côté, il y a le manoir du 19e siècle et un ancien corps de ferme traditionnel! Ce bâtiment a été suivi de très près par Genii Capital, qui y a apporté un grand souci du détail et une attention constante à la qualité. Je me souviens, par exemple, avoir comparé avec beaucoup d’attention les couleurs du béton avec Eric Lux et Eric Dothée, chargés de projet. Ils ont su réaliser une rénovation du manoir et la nouvelle construction avec un très haut niveau d’exigence, faisant de ce domaine un magnifique outil de travail.

À l’intérieur du Studio, les visiteurs plongent dans l’univers cinématographique de Chaplin. Après avoir regardé un court documentaire, ils traversent littéralement l’écran et plongent dans les décors de films, découvrant des objets de tournage, le tout étant habité par les personnages de cire représentant les personnalités qui ont côtoyé ou travaillé avec Chaplin.

Dans le manoir, l’approche est autre que dans le Studio, plus intime…

«Oui. Dans ce qui était la maison familiale, nous montrons comment Charlie Chaplin a réussi à vivre son exil des États-Unis, ce qu’était sa vie en Suisse. Les visiteurs circulent dans les pièces qui sont encore meublées tout en apprenant sur sa vie de famille, une famille nombreuse qui comptait huit enfants! On y découvre des ressorts de résilience humaine.

Ce n’est pas la même émotion que dans le Studio où l’on ressent les émotions liées aux films. Dans le manoir, on est invité chez les Chaplin.

Qui fréquente le Chaplin’s World?

«Lors de la première année de lancement, en 2016-2017, nous avons accueilli 300.000 visiteurs. C’était une belle aventure, très attendue dans la région. Depuis l’ouverture, nous avons une moyenne de 250.000 visiteurs, avec un basculement de la répartition d’année en année: nous avons de plus en plus de visiteurs étrangers au fur et à mesure qu’on avance dans le temps, alors que les deux premières années, nous avions principalement des visiteurs suisses.

Au début, nous étions à environ 70% de Suisses. Aujourd’hui, ils représentent environ 55% de nos visiteurs. Parmi les visiteurs étrangers, nous comptons actuellement 20% de Français, puis des Américains, des Allemands et des visiteurs en provenance d’Asie qui viennent principalement en B to B. Aujourd’hui, cette répartition nous satisfait, et nous travaillons pour gagner en volume, que ce soit en B to B ou en B to C.

Il est intéressant aussi de noter que 50% de nos visiteurs sont des adultes de plus de 50 ans qui viennent sans enfants. Les familles représentent 25% de nos visiteurs, puis viennent les scolaires. C’est donc un produit qui plait en premier lieu aux adultes qui, par la suite, reviennent avec leurs enfants et petits-enfants.

Par ailleurs, le niveau de satisfaction après la visite est très élevé, et ce sur toutes les cibles, et quel que soit le niveau de connaissance sur Chaplin. La Compagnie des alpes a un vrai savoir-faire en ce qui concerne l’accueil du public. Le travail des flux de personnes, les questions d’accès, de billetterie, de lieux de restauration sont des paramètres que nous maîtrisons. Cette expertise nous permet de bien accueillir les différents publics, et même en grand nombre.

Chaplin coche toutes les cases de l’humain.
Béatrice de Reyniès

Béatrice de Reynièsdirectrice généraleChaplin’s World by Grévin

Pourquoi Charlie Chaplin plait-il encore autant aujourd’hui?

«Les ressorts du comique de Chaplin, qui fait pleurer et rire, sont uniques. L’engagement émotionnel est très fort. De plus, certaines scènes de ses films sont encore aujourd’hui d’une modernité et d’une actualité incroyable. Les messages qu’il transmet dans ses films restent encore valables aujourd’hui. Il a un aspect de résilience très fort.

Charlie Chaplin était un enfant des rues qui a réussi par le travail et son talent. C’est un exemple pour tous ceux qui rencontrent des difficultés dans leur vie, qui doivent émigrer, partir de rien. Chaplin coche toutes les cases de l’humain. C’est un personnage éternel. Aussi, quand on regarde ses films, peu importe sa vie ou son parcours, on retrouve la part d’enfant qui est en nous.

Chaplin, c’est une respiration et un bénéfice émotionnel incroyable. Je pense que c’est ce qui explique en partie pourquoi il est encore aujourd’hui si populaire.

Quelle place a la famille Chaplin dans ce projet?

«Les membres de la famille ont été impliqués dès le début à travers la Fondation du musée Chaplin, présidée par Michael Chaplin – un des fils de Charlie Chaplin et Oona O’Neill –, et ont soutenu l’idée du musée. Aujourd’hui, plusieurs enfants sont encore impliqués dans le développement du musée et sont fiers de ce lieu qui est à la mémoire de leur père. Nous n’avons rencontré aucune opposition de leur part.

Comment ce musée s’inscrit-il dans la stratégie Grévin?

«Nous avons inscrit ce musée dans le cadre du développement de la marque Grévin à l’étranger. Mais avec une différence importante, puisque nous avions jusque-là ouvert des musées Grévin qui sont des répliques du musée de Paris, c’est-à-dire des personnages dans un décor qui reprennent l’histoire et l’actualité de ce pays.

Ici, les personnages viennent illustrer le parcours de Chaplin. Ils ne sont pas présentés en majeur, mais en mineur, comme d’autres décors. C’est un virage intéressant pour nous, qui est venu naturellement, sans que nous ayons eu de réflexions stratégiques par rapport à cela.

Par ailleurs, nous avons mis en suspens le développement des musées Grévin à l’étranger puisque le groupe Compagnie des alpes se concentre sur l’achat et la gestion de parcs d’attractions en Europe, et les missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour des ressorts de ski dans le monde. Nous participons également à la construction de parcs d’attractions en Chine et en Asie plus généralement.

Charlot véhicule un message humaniste incroyable, lisible et compréhensible dans le monde entier.
Béatrice de Reyniès

Béatrice de Reynièsdirectrice généraleChaplin’s World by Grévin

Quelles sont les ambitions de développement pour Chaplin’s World?

«La première ambition est de pouvoir accueillir plus de visiteurs, surtout des étrangers. Nous souhaitons aussi rendre le lieu encore plus vivant en mettant en place une programmation temporaire, à l’image de la programmation autour de la musique mise en place cette année avec l’accueil de l’exposition conçue par la Cité de la musique et curatée par Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres d’Arles.

Autour de cette exposition, nous organisons des rendez-vous grand public, autour du thème du cirque et au moment d’Halloween. Nous voulons par ce biais développer la fréquentation. Ce schéma de programmation sera décliné tous les ans autour d’une nouvelle thématique en lien avec le patrimoine de Charlie Chaplin.

D’après nos enquêtes, nous savons que les visiteurs souhaitent en savoir encore plus sur Chaplin, voir des films, et ils veulent revenir… Il faut assouvir cette demande, et le fait de mettre en place une programmation thématique nous semble un bon moyen d’y parvenir. Cette approche nous permet aussi de développer des partenariats avec d’autres musées et de contribuer à la renommée et au rayonnement de Chaplin à travers le monde.

Par ailleurs, la marque Chaplin’s World est une licence que nous pouvons exploiter. Nous pouvons créer des produits dérivés autour de la marque. La silhouette est reconnaissable dans le monde entier. Charlot véhicule un message humaniste incroyable, lisible et compréhensible dans le monde entier. Quelle chance, pour un musée comme le nôtre, de pouvoir bénéficier d’une silhouette si reconnaissable et d’un message si contemporain! En rien nous ne sommes un musée passéiste.

Mais l’objectif premier reste d’implanter durablement ce musée et qu’il atteigne sa vitesse de croisière avec 300.000 visiteurs annuels réguliers.

Le milieu du cinéma est-il impliqué d’une manière ou d’une autre dans ce projet?

«Nous avons beaucoup d’acteurs, de réalisateurs et de producteurs qui, quand ils passent dans cette région, viennent à Vevey et visitent le Chaplin’s World. Nous réfléchissons aussi à peut-être plus les intégrer dans l’activité de la Fondation du musée Chaplin.

Aujourd’hui, nous avons besoin de cette fondation pour soutenir financièrement les projets artistiques et pédagogiques, ce qu’un jeune site entièrement privé comme le nôtre ne peut pas encore faire. La fondation nous permettrait aussi de diffuser les valeurs présentes dans les films de Chaplin, de jouer un rôle que nous n’aurions normalement pas à jouer, mais que personne ne prend et que le public attend. Le monde du cinéma pourrait tout à fait nous aider dans ce sens.»