Sylvain Hoffmann: «La progression de la charge fiscale des ménages a plus que doublé par rapport aux entreprises.» (Photo: Anthony Dehez/Archives)

Sylvain Hoffmann: «La progression de la charge fiscale des ménages a plus que doublé par rapport aux entreprises.» (Photo: Anthony Dehez/Archives)

«Il faut remettre la compétitivité au cœur des discussions», disait le candidat Luc Frieden. Vaste chantier qui touche quasiment toutes les facettes de l’action publique. Les premières mesures annoncées satisfont les entreprises. Qui attendent une action d’ensemble.

Si l’accession de au poste de Premier ministre à la tête d’une coalition de centre droit, par définition pro-business, a été bien accueillie par le patronat et le monde économique, ces derniers attendent le nouveau gouvernement au tournant sur le sujet de l’attractivité et de la compétitivité. La demande d’action est forte, à la hauteur des attentes suscitées.

Sur les trois axes prioritaires de renforcement de la compétitivité mis en avant par la Chambre de commerce – les chantiers de première urgence –, les réponses fournies par le gouvernement dans le budget 2024 sont bien accueillies. À l’exception du refus de principe de toucher à l’indexation des salaires.

Engagements gouvernementaux

La compétitivité de l’économie a été au cœur de la campagne du Premier ministre candidat, Luc Frieden. Lors de son premier discours marquant son retour officiel dans l’arène politique le 25 mars 2023, lors de sa nomination par le CSV comme tête de liste nationale, il avait placé la compétitivité du pays au cœur de son action. «Il faut remettre la compétitivité au cœur des discussions», disait-il. Et il avait donné ses priorités: réduction de la charge administrative des entreprises et accélération des procédures d’autorisation pour ce qui est du volet administratif; baisse de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) et incitants pour les investissements digitaux et environnementaux.

Des préoccupations qui se sont retrouvées dans l’accord de coalition. Accord dans lequel on peut lire que «productivité et compétitivité sont étroitement liées au succès de notre pays. Le gouvernement veillera au maintien d’une compétitivité élevée et à une optimisation de la productivité, notamment à travers les avantages de la digitalisation. La conservation de la notation «triple A» est essentielle pour la compétitivité de notre économie. De même, le gouvernement veillera à réduire les charges administratives pour les entreprises.» On peut également lire qu’une modernisation du droit des sociétés sera mise à l’œuvre afin que ce dernier «soit adapté aux besoins des entreprises de toutes les tailles afin de maintenir la compétitivité et l’attractivité du droit luxembourgeois».

Les inquiétudes des entreprises

Avec son avis sur le premier budget de l’ère Frieden, la Chambre de commerce est revenue aux fondamentaux: «Si on veut maintenir le modèle social luxembourgeois et se donner les capacités d’investir pour diversifier l’économie et faire face aux chocs futurs, il faut restaurer la compétitivité de l’économie qui s’est dégradée.» Une restauration qui passe par une meilleure attractivité fiscale pour les entreprises, par une diminution des coûts qu’elles subissent, par un meilleur accès à la main-d’œuvre – au nom d’une meilleure maîtrise des dépenses courantes –, ainsi que par la promotion d’une administration plus digitale et plus efficiente.

Former et attirer les talents

Pour la Chambre de commerce, trois chantiers prioritaires sont à mener rapidement à bien.

Le premier est celui de la formation et de l’attraction des talents. «La compétitivité du Luxembourg est menacée par la difficulté des entreprises à trouver les talents dont elles ont besoin pour grandir», martèle la Chambre de commerce.

La première réponse à ce défi tient à l’éducation. Fait de nature à satisfaire les entreprises, les investissements en matière d’éducation vont passer de 0,22% du PIB en 2023 à 0,24% en 2027. 845 millions d’euros seront investis dans ce domaine. Le budget du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse va passer de 4,32% du PIB en 2023 à 4,68% en 2024 avant de franchir la barre symbolique des 4 milliards en 2025.

La deuxième réponse passe par «la capacité du pays à mobiliser la main-d’œuvre déjà présente». Comprendre la lutte contre le chômage.

Les dépenses totales du Fonds pour l’emploi vont progresser de 14,67% en 2024. Principalement à cause de la progression de 23,35% du volume des indemnités chômage qui devrait atteindre 1,130 milliard. Si cette augmentation n’enchante en rien la Chambre de commerce, cette dernière se félicite de la progression de 11,59% de l’enveloppe budgétaire consacrée aux actions de formation. Soit 42,744 millions.

Le troisième élément de la réponse tient à l’attraction des talents en provenance d’au-delà des frontières. Et cette attractivité sera fiscale ou ne sera pas, serait-on tenté de dire. En l’attente de réformes plus globales, la Chambre de commerce salue la volonté d’instaurer une classe d’impôt unique dans les deux ans. Tout comme elle salue la diminution du salaire minimal requis pour bénéficier du régime des impatriés et une exonération partielle de la prime participative. Une exonération qui coûtera 25 millions d’euros par an au budget. «Des avancées positives, mais incomplètes et insuffisantes», estime la Chambre de commerce, qui réclame une réforme globale du régime fiscal des impatriés, du régime fiscal de la prime participative et du régime fiscal des pensions complémentaires ainsi que l’amélioration du régime fiscal de télétravail transfrontalier et l’introduction d’une prime mobilité-logement. Des réformes qui ne devront pas dispenser le gouvernement de travailler sur les infrastructures de logement et de transport et sur les services d’accueil et d’éducation des enfants.

Le chantier de la compétitivité fiscale

Le deuxième chantier est celui de la compétitivité fiscale. Le taux d’imposition global des sociétés tourne autour de 25% si on additionne l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC), l’impôt commercial communal (ICC) et l’impôt de solidarité. Ce qui met le pays en situation délicate, selon l’analyse de la Chambre de commerce, alors que le taux légal moyen au sein de l’OCDE était de 20% en 2022. Un taux moyen qui a baissé de 8,1 points de pourcentage depuis 2000. Si le gouvernement s’est engagé à faire baisser le taux d’imposition des entreprises de 1% dès 2025 et à examiner à terme de possibles allégements fiscaux au profit des PME, la pression fiscale sur les entreprises ne va pas baisser. Tous les impôts sur les sociétés représentaient 3,93% du PIB en 2023. Cette part est passée, avec 4,099 milliards, à 4,87% du PIB en 2024 et devrait décroître jusqu’en 2027 pour représenter 4,39% du PIB, soit 4,267 milliards. Le sujet est en soi politiquement explosif.

La Chambre des salariés (CSL) et la Chambre des fonctionnaires et employés publics (CFEP) appellent pour leur part, dans leurs avis respectifs sur la loi de budget 2024, à une meilleure répartition de la charge fiscale entre personnes physiques et entreprises. La CFEP s’oppose à ce que la réalisation des réformes annoncées repose «sur le seul dos de la masse salariale des contribuables personnes physiques, qui apportent déjà trois quarts de la totalité des recettes publiques provenant des impôts directs, alors que les entreprises n’apportent qu’un quart». La Chambre des fonctionnaires et employés publics regrette en outre l’absence de mesures supplémentaires pour alléger la charge fiscale des personnes physiques, et notamment des ménages vulnérables, «alors que les entreprises sont, entre autres, soutenues généreusement à travers les transferts de l’État à la Mutualité des employeurs».

Même son de cloche du côté de la CSL qui dénonce la baisse programmée de l’impôt des sociétés. «Depuis 2000, la progression de la charge fiscale des ménages a plus que doublé par rapport aux entreprises. Diminuer l’imposition des entreprises est une injustice», estime le directeur de la CSL, , qui préférerait une baisse d’impôt touchant les revenus les plus faibles ainsi que les classes moyennes.

L’intouchable index

Le troisième chantier est celui de la compétitivité-coût. Derrière ce terme technique se cache le vieux débat de la réforme de l’indexation. Sujet encore plus explosif que le rééquilibrage de la pression fiscale entre personnes physiques et entreprises.

Dans un contexte où le coût de la main-d’œuvre au Luxembourg est le plus haut d’Europe – Eurostat estimait le coût du travail par heure travaillée à 53,9 euros à la fin de 2023 –, les cinq indexations salariales déclenchées en 24 mois pèsent sur la rentabilité des entreprises. Face à cela, la Chambre de commerce réaffirme ses doutes quant à la pertinence du système d’indexation automatique tel qu’il existe et plaide pour une réforme autour de trois axes: limitation à une seule indexation par an; indexation plafonnée pour les salariés touchant entre 1,5 fois et 4 fois le revenu médian et dégressive au-delà; et réforme du panier servant au calcul du déclenchement d’une tranche indiciaire.

Sur ce sujet, le gouvernement a opposé une fin de non-recevoir; le système d’indexation sera maintenu sous sa forme actuelle, lit-on dans l’accord de coalition. Une position maintes fois évoquée par le candidat Luc Frieden durant la campagne électorale et rappelée par le ministre des Finances, , lors du dépôt du projet de budget à la Chambre des députés. Dans l’hypothèse où plus d’une tranche indiciaire serait déclenchée sur une année, une tripartite sera convoquée pour prendre des mesures, afin de lutter contre la perte du pouvoir d’achat des travailleurs et de veiller au maintien de la compétitivité des entreprises.

Mais si le coût du travail est élevé, le niveau de la productivité du travail l’est tout autant, note dans son dernier rapport d’activité l’Observatoire de la compétitivité. En 2022, le PIB par heure travaillée (exprimé en dollars américains, prix courants, PPA courantes) était d’environ 127 dollars au Luxembourg contre 99 dollars en Belgique, 88 dollars en Allemagne, 85 dollars en France et 77 dollars dans la zone euro.

Productivité et PIB

Selon l’OCDE, la croissance luxembourgeoise n’est pas soutenue par des gains de productivité, mais par l’augmentation du volume du travail. Sur les 2,29% de croissance annuelle moyenne du PIB réel entre 2010 et 2022, la croissance des heures travaillées a contribué à elle seule à hauteur de 2,03 points de pourcentage. La croissance du capital a également alimenté l’évolution du PIB, mais son apport est bien moindre que celui du facteur travail.

En moyenne, la contribution annuelle du capital TIC (technologies de l’information et de la com­munication) était de +0,17 point de pourcentage et celle du capital non-TIC de +0,52 point de pour­centage. L’évolution de la productivité multifacto­rielle a en revanche pesé sur l’évolution du PIB (-0,44 point de pourcentage par année en moyenne). Pour l’OCDE, ce déséquilibre est la cause des problèmes de logement, de mobilité et de pénurie de main-d’œuvre qualifiée. La transition vers une croissance basée davantage sur les gains de productivité lui semble nécessaire.

20e

C’est la position du Luxembourg dans le classement des économies les plus compétitives mené par l’institut IMD. Le pire résultat du pays depuis la création de ce classement, selon la Chambre de commerce.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam paru le 22 mai 2024. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

 

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