Mi-septembre, SES-17 a quitté l’écrin de Thales, à Cannes, pour gagner Kourou. Avant un des lancements peut-être les plus importants de l’histoire de SES. (Photo: Thales Alenia)

Mi-septembre, SES-17 a quitté l’écrin de Thales, à Cannes, pour gagner Kourou. Avant un des lancements peut-être les plus importants de l’histoire de SES. (Photo: Thales Alenia)

Entre 3h01 et 5h30, la nuit prochaine, heure de Luxembourg, Ariane 5 mettra sur orbite le révolutionnaire satellite SES-17 de SES en même temps que Syracuse 4, satellite militaire français. Un enjeu majeur pour les Luxembourgeois. 

«Nous sommes au début d’une période incroyablement excitante dans le secteur de la mobilité, alors que la connectivité devient un catalyseur crucial de plusieurs mégatendances économiques et industrielles, notamment la numérisation, l’IA, l’automatisation, la robotique, l’IoT, le cloud et l’informatique quantique, les mégadonnées, l’observation de la Terre et la navigation de nouvelle génération, ainsi que le vaste défi de la lutte contre le changement climatique. Ces tendances exigent une connectivité mobile et des services associés avec une meilleure couverture, capacité, coût, sécurité et résilience, ainsi que l’intégration du cloud, du réseau, des solutions et des couches de services dans des modèles commerciaux à valeur ajoutée parfaitement adaptés aux résultats souhaités pour le client final.»

26 juillet dernier. Cinq mois après avoir quitté la direction d’Inmarsat, où il officiait depuis 16 ans, Rupert Pearce annonce prendre en main les questions de mobilité chez Columbia Capital, une société de capital-risque technologique basée à Alexandria, en Virginie. Ce dirigeant très respecté dans le monde du satellite a été l’architecte du «Global Xpress» depuis 2010. Global Xpress? Le premier réseau à offrir des vitesses à large bande 100 fois plus élevées que la génération précédente de satellites aux clients en déplacement sur terre, en mer et dans les airs, dans le monde entier.

Suivez ci-dessous en direct le décollage sur la chaîne Youtube d’Arianespace.

À ce moment-là, SES n’a pas encore commencé à parler de «mobilité» comme une source de revenus à surveiller. Le chiffre d’affaires est tiré aux deux tiers par la vidéo. En novembre 2009, prudemment, le CEO de l’époque, , et le conseil d’administration ont toutefois donné leur go à un investissement de 75 millions d’euros dans une petite start-up, O3b, dont la généreuse ambition est d’apporter de la connectivité à haute vitesse et à faible latence aux trois milliards de personnes qui n’en ont pas. 75 millions contre 33% du capital. 

Retard à l’allumage pour la «mobilité»

Les «GX» d’Inmarsat les plus importants sont lancés entre 2013 et l’été 2015. Avant de quitter la direction de la société luxembourgeoise après 19 ans de bons et loyaux services et de confier les rênes à Karim Michel Sabbagh, Romain Bausch remarque, pour la première fois, combien la demande pour des solutions de mobilité est forte en Amérique du Nord, où des contrats ont été signés avec Gogo, Hughes/Row 44 et Panasonic.

SES ne tire que 2,6% de ses revenus de la mobilité, contre 10,5% cinq ans plus tard, grâce aux mises en service des SES-12, et , alors que le chiffre d’affaires global n’a pas bougé (1,97 milliard de dollars en 2019).

Cette année, comme en 2020, 2019, 2018 et 2017, Inmarsat a reçu un World Travel Award pour ses solutions de connectivité dans les airs. C’est là que SES-17, qui doit être lancé dans la nuit de samedi à dimanche à Kourou, en Guyane, par Ariane 5, a tout pour renverser la table (sur l’Amérique et les Caraïbes). À l’heure où le satellite ne représente que 1% des échanges de données au monde, le reste étant supporté par les câbles sous-marins, le ciel peut prendre des parts de marché.

Le 42e satellite luxembourgeois sur la rampe de lancement européenne est peut-être dans le top 10 des plus lourds avec ses 6,4 tonnes, mais le beau bébé que Thales Alenia Space a montré dans sa «white room», mi-septembre, à Cannes, a subi une sévère cure d’amaigrissement: sans son moteur électrique, il aurait pesé plus de 10 tonnes. 


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Surtout, SES-17 est un satellite à ultra-haut débit (2 gigabits par seconde et par connexion), avec ses 200 faisceaux (contre 85 pour les générations initiales des GX) et, surtout, les deux partenaires ont annoncé qu’il serait doté d’un DTP («digital transparent processor»), technologie aux avant-postes qui va permettre de «slicer», c’est-à-dire de découper les demandes en tranches et de les allouer de manière dynamique pour pouvoir s’adapter – y compris avec les satellites en moyenne orbite d’O3b – instantanément à tout besoin supplémentaire ou tout changement de cap dans les besoins, un élément particulièrement suivi par les acteurs de la mobilité, comme le secteur aérien ou maritime. Voire gouvernemental, puisque cette solution permet de répondre instantanément aux besoins en cas de crise, qu’elle soit environnementale ou militaire. Une inondation prive une région de connectivité? SES-17 pourra apporter sa connectivité aux hôpitaux, aux infrastructures de l’État. Une zone de conflit? Ou un embouteillage sur les mers? SES-17 pourra apporter sa connectivité pour des besoins temporaires.

Un marché à 135 milliards d’ici 2035

Entre la reprise du trafic aérien et maritime après l’immobilisation liée à la pandémie et avant le lancement des satellites de prochaine génération d’Inmarsat, SES aurait alors les moyens de jouer des coudes, et peut-être de se rapprocher de ce shift historique et technologique: ses revenus ne viendraient plus majoritairement de la vidéo mais de son activité «networks», fourre-tout qui réunit la mobilité, les services gouvernementaux et les données fixes (autrefois appelée «service aux entreprises»).

À elle seule, la connectivité dans les airs devrait générer des revenus de plus de 135 milliards de dollars d’ici 2035, au rythme de la croissance des mêmes «besoins» en connectivité sur Terre. Derrière le fait, pour un voyageur, de pouvoir non seulement recevoir un mail ou un SMS, mais aussi regarder un film en streaming, voire jouer en ligne, le secteur aérien a de nombreuses possibilités d’en profiter: assis sur leurs sièges, les passagers sont des clients potentiels de tout ce qui pourra leur passer sous le nez, même réserver un taxi, un restaurant ou tout ce qui peut leur passer par la tête à l’arrivée; les pilotes auront, eux, accès à toutes les informations dont ils ont besoin en vol. Et les compagnies pourraient «customiser» leurs offres pour fidéliser des clients toujours plus… volages.

Surtout que de nouveaux entrants, comme Elon Musk, leur promettent monts et merveilles, en finançant leurs réseaux à crédit et sans pouvoir démontrer des performances à la hauteur. Pour une fois, cette nuit, les nuits blanches luxembourgeoises ne viendront pas de là. Et si les 39 minutes avant la séparation se passaient bien, , le légendaire ambassadeur de SES, devenu conseiller du CEO, , pourrait être à l’Expo universelle de Dubaï, le cœur léger, et y retrouver ses deux ingénieurs qui seront sur le stand luxembourgeois au Congrès international de l’aéronautique, où le Luxembourg veut montrer qu’il fait mieux qu’exister.