«Notre pays s’efforcera d’apporter une contribution utile aux travaux du Conseil des droits de l’Homme pendant le mandat 2022-2024, notamment dans nos quatre domaines prioritaires: l’appui à l’état de droit, à l’espace civique et aux défenseurs des droits humains et la lutte contre l’impunité; le développement durable et l’action climatique fondés sur les droits humains; l’égalité des genres et la lutte contre les discriminations; et la protection et la promotion des droits des enfants.»
15 octobre 2021, le chef de la diplomatie luxembourgeoise, (LSAP), est fier: le Luxembourg est élu pour la première fois par l’Assemblée générale des Nations unies à New York à un siège de membre du Conseil des droits de l’Homme pour le mandat 2022-2024. Huit ans après avoir posé sa candidature.
87% des résidents en faveur d’une loi
Un an et demi plus tard, le ministre des Affaires étrangères n’est pas prophète en son pays, rappelle en creux la démarche de l’, coalition de 17 ONG de la société civile née en 2018 et qui vient de «faire déposer» une proposition de loi. Alors que «87% de la population résidente est d’avis qu’une loi devrait être introduite qui demanderait aux entreprises ayant leur siège au Luxembourg, y compris celles du secteur financier, de prendre des mesures afin d’éviter des violations des droits humains et des dommages environnementaux au niveau de leurs chaînes de valeur», dit un sondage réalisé par l’Ilres l’an dernier, rien n’a vraiment avancé.
L’accord de coalition n’avait pas fermé la porte à l’idée de «légiférer sur le devoir de diligence pour les entreprises domiciliées au Luxembourg», «dans la mesure où ce dernier permettra de garantir le respect des droits humains et de l’environnement tout au long de leur chaîne de valeur».
Parmi les partis que l’Initiative a interrogés en amont de la campagne pour les élections législatives, seulement deux ont décidé de s’engager en faveur d’une proposition de loi citoyenne, le Piratepartei et déi Lenk. Déi Greng, plutôt proche de ces thématiques, s’est retranché derrière sa participation à la coalition. Une approche à la fois comprise et… contredite par d’autres exemples, explique un des coordinateurs de l’Initiative, Jean-Louis Zeien. «Aux Pays-Bas, des députés de six partis, dont deux qui sont au gouvernement, se sont très clairement positionnés en faveur d’une proposition de loi», explique-t-il.
Cinq volets et trois critères
Mi-mai, (Piratepartei) et (déi Lenk) ont cosigné la proposition de loi citoyenne pour qu’elle ait une chance de commencer à être examinée sous cette législature. Même si la probabilité qu’elle devienne une loi avant les élections législatives de l’automne est proche du zéro.
Le texte déposé à la Chambre des députés prévoit que, lorsque dans une entreprise «deux des trois seuils suivants sont atteints, à savoir au moins 250 personnes employées, un chiffre d’affaires annuel de plus de 50 millions d’euros ou un total du bilan de plus de 43 millions d’euros», celle-ci doit établir, publier, respecter et évaluer un plan de vigilance qui comprend cinq volets:
– une cartographie des risques;
– des procédures d’évaluation régulières de la situation des filiales, des sous-traitants ou des fournisseurs;
– des actions adaptées d’atténuation des risques et de prévention des atteintes graves;
– un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements;
– un dispositif de suivi des mesures et d’évaluation de leur efficacité.
Parmi les points à relever: la place financière tomberait, elle aussi, sous le coup de cette loi; un nouveau régulateur devrait voir le jour et les PME n’auraient des comptes à rendre que dans certains cas.
Une version européenne en gestation
Les partis qui ne se sont pas associés au texte – ADR, CSV, déi Greng, DP, LSAP – ont tous les cinq milité pour une législation européenne. C’est justement ce 1er juin que le Parlement européen s’est positionné avant des négociations en trilogue avant l’été.
Certaines ONG de premier plan font déjà savoir que le compromis sur lequel les députés européens planchent n’aura qu’une portée très limitée. , Amnesty International regrette que l’utilisation finale de certains produits ait été retirée (quid des balles en plastique utilisées par des forces de l’ordre?) ou que les entreprises soient obligées de mettre en place un plan d’atténuation sans être obligées de le mettre en œuvre…
Et les deux niveaux, national et européen, ne s’excluent pas l’un l’autre, note avec malice l’Initiative pour un devoir de vigilance. C’était même littéralement dans les recommandations de Basak Baglayan, le doctorant auquel le gouvernement et son ministre des Affaires étrangères avaient demandé dans le cadre de sa candidature au fauteuil à l’ONU en 2020. Le recommander et ne pas le suivre, un sens certain de la Real Politik.
Mais il faut aussi noter que M. Asselborn avait fait un pas en avant en juillet 2022 avec la signature, par une cinquantaine d’entreprises et d’organisations, d’un pacte national Entreprises et droits de l’Homme. Une initiative née un an plus tôt, dont on n’a plus entendu parler, ne serait-ce que dans les rapports que les entreprises signataires étaient censées publier chaque année.
Ce qui est dommage, c’est que le Luxembourg a aussi tout à gagner à être aux avant-postes, note l’OCDE: non seulement les entreprises sont mieux préparées à une législation qui va arriver au niveau européen, mais elles sont plus durables, elles n’ont pas besoin de consacrer argent ni énergie à des mesures de compensation, cela leur donne une meilleure image en interne et en externe, ce qui a une incidence sur l’attraction des talents et l’augmentation de la productivité.