Si la crise met en danger de nombreuses entreprises et leur fait craindre la faillite, d’autres se créent, apportant une lueur d’espoir. Comme Comtesse du Barry, une épicerie fine française installée depuis le 15 mai dans la ville haute à Luxembourg.
Elle ouvre avec… 9 produits sur 300
«Je me suis pris la crise à une semaine de l’ouverture du magasin», témoigne Estelle Rauscher, porteuse du projet et gérante de la concession. L’ouverture prévue le 25 mars a dû être décalée. Pendant ce temps-là, impossible de s’appuyer sur la livraison puisque le magasin ne recevait aucun produit de la part de ses fournisseurs français. Avec un loyer dû et sans aide du gouvernement, la boutique étant considérée comme commerce alimentaire. Sans compter les investissements effectués pour les travaux, non communiqués.
Pas question de baisser les bras pour autant: «Quand vous êtes entrepreneur, vous êtes courageux et audacieux», lance fièrement Estelle Rauscher. Même après le confinement, elle n’ouvre qu’avec neuf produits. Avec son équipe de deux salariées, elles ont tout donné pour que les clients entrent dans leur magasin.
Quelques semaines plus tard, celui-ci dispose enfin d’une gamme complète d’environ 300 produits «100% français», du foie gras aux madeleines et calissons. Sa gérante, qui aura 52 ans à la fin du mois, a même mis en place un service de restauration sur place. Elle en tire un bilan positif: «Les gens sont contents.»
Quand vous êtes entrepreneur, vous êtes courageux et audacieux.
«Bien sûr, je ne m’attendais pas à des miracles», admet-elle. La responsable a diminué d’environ 40% ses prévisions en termes de chiffre d’affaires. «Je suis dans les objectifs du second business plan», déclare-t-elle. Le but, «que la société tienne et qu’on monte progressivement en puissance».
La néo-entrepreneuse, qui a passé près de vingt ans comme salariée dans le commerce, ne manque pas de projets pour la suite. Elle réfléchit déjà à l’ouverture d’un second point de vente «peut-être sous forme de pop-up store», à la Cloche d’Or ou au Kirchberg, et développe son site internet afin de proposer les commandes en ligne d’ici la fin de l’année. Un moyen de se prémunir en cas de second lockdown…
Des projets marketing reportés
«Ce n’est pas vraiment le scénario que j’avais en tête», rit, de son côté, Marie-Caroline Dumas. Elle a immatriculé son agence de communication Madi&co début mars, une semaine avant le confinement. «C’est un projet que j’avais déjà depuis fin 2019, je ne me suis pas imaginée l’arrêter», dit-elle.
Les débuts ont été un peu plus compliqués que prévu. «Ce n’était pas une période facile, mes contacts devaient d’abord gérer la crise chez eux», raconte la CEO de 34 ans, qui a longtemps travaillé dans le marketing. Le premier projet, sur lequel elle comptait se concentrer durant ses premiers mois, a été reporté. «Heureusement, j’ai la chance de pouvoir travailler à distance et d’échanger avec mes prospects par visio», relativise-t-elle.
Marie-Caroline Dumas en a profité pour continuer à se former et échanger avec d’autres entrepreneurs. «Le support de l’asbl Nyuko (qui épaule les entrepreneurs qui se lancent au Luxembourg) m’a aidée à garder le cap sans me décourager.»
Aujourd’hui, elle assure que son activité a démarré. «Être une petite entreprise est un avantage en période de crise, cela permet d’être plus flexible.» L’entrepreneuse compte cinq clients (associations, industriels, administrations…) avec des projets qui s’étalent après la rentrée. «Je vois la lumière au bout du tunnel», souffle-t-elle. «Niveau chiffre d’affaires, je suis assez contente, parce que je suis à peu près dans mes objectifs et je vis de mon activité.» Plus qu’à diversifier le portefeuille de clients, afin d’atteindre, elle l’espère, +20% en 2021.
Démonstrations à l’arrêt
Jorge de Oliveira avait déjà fait le grand saut avant le Covid-19, mais il a profité de cette période pour concrétiser son projet. «C’est pendant les crises qu’il faut innover», clame-t-il.
L’homme de 43 ans a quitté son poste dans le domaine de l’énergie fin 2018 pour se consacrer à son entreprise de bâtiment intelligent: Smart Cube. La première année lui a surtout servi à se faire connaître auprès des clients. C’est en mars 2020 qu’il met en ligne sa plate-forme Cube 4 Services, pour laquelle il a investi 200.000 euros. «S’il y a une panne dans votre maison, elle vous informe via une application. Elle vous demande si vous voulez vous en occuper vous-même et dans le cas contraire, elle contacte un artisan», précise son fondateur.
Une idée innovante pour «apporter une valeur ajoutée au bâtiment intelligent», explique-t-il. Cela fonctionne aussi bien pour une fuite que pour une panne de chauffage ou une intrusion. Dans une maison déjà smart ou classique, qu’il faudra alors «digitaliser». L’abonnement coûte entre 19 et 39 euros par mois selon les fonctionnalités demandées.
Le Covid-19 a mis en pause la phase des démonstrations. Elles n’ont pu commencer que fin juin, parfois même en visio. L’entrepreneur n’a encore vendu aucun abonnement mais ne se décourage pas. «Il faut prendre le temps d’expliquer aux gens ce qu’il est possible de faire, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Depuis le début, je savais que je n’allais pas vendre tout de suite.» Il s’attend à ce que la plate-forme lui rapporte 4 millions d’euros en 2025. Il affirme avoir déjà reçu des clients intéressés. Pour l’instant, il s’appuie surtout sur des projets de bâtiments intelligents qui lui permettent de dégager le chiffre d’affaires – non communiqué – qu’il espérait et qu’il veut tripler en 2021.
Mars 2020 marque aussi l’accord donné à son prêt bancaire, qui lui permettra d’embaucher ses premiers salariés à partir de septembre et d’investir pour la suite.
Ces trois jeunes entreprises ne sont pas les seules à avoir bravé le Covid-19. Nyuko a reçu 230 demandes d’entrepreneurs souhaitant se lancer entre mars et mi-août 2020, contre 302 sur la même période l’année précédente.