Le timing ne doit rien au hasard. Mercredi, la Commission européenne présente une nouvelle stratégie pour réorienter au moins une partie des 10.000 milliards d’euros d’épargne des Européens qui «dorment» sur des comptes bancaires européens. Ce jeudi, dans une tribune au Financial Times, le Premier ministre, (CSV), explique qu’en tant que «place de choix pour les marchés de capitaux européens, le Luxembourg souhaite être à l’avant-garde de ce projet commun».
Une argumentation en trois points. D’abord, «nous devons mieux exploiter les cadres et l’expertise existants. Des améliorations ambitieuses des produits de retraite et du cadre de titrisation peuvent faire une différence décisive», dit le chef du gouvernement, aligné avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Ensuite, cela se complique un peu. «Favoriser l’éducation financière et créer des labels pour des produits à long terme facilement compréhensibles aidera les citoyens à transformer leur épargne en argent productif. Ce serait une situation gagnant-gagnant: créer davantage de richesse pour les citoyens, leur permettre de financer leurs propres projets ou de créer leur propre entreprise, tout en offrant aux entreprises des financements pour leur développement», écrit Luc Frieden. C’est vrai. Mais les gouvernements européens, qui ont souvent beaucoup plus dépensé que ce qu’ils avaient à leur disposition, malgré 46 années de croissance sur les 50 dernières années, sont-ils mal éduqués quand ils sont parvenus, souvent à la sueur de leur front, à mettre de côté ces 10.000 milliards d’euros? Lesquels ne représentent d’ailleurs que 70% de l’épargne, 4.286 milliards d’euros étant déjà sur les marchés de capitaux pour financer les développements économiques.
Dans la stratégie de la Commission européenne, il y a des phrases qui «grattent» si jamais quelqu’un s’y arrêtait deux secondes. Comme le «si les Européens alignaient leurs pratiques d’épargne et d’investissement sur celles des Américains, 8.000 milliards d’euros seraient directement disponibles, soit 350 milliards par an», selon une étude de la Banque centrale européenne. Pas sûr que le modèle social associé à cette stratégie soit bien conforme au modèle social européen. Déficit américain excessif et nouveau budget généralement voté après d’âpres négociations entre les deux camps les plus importants, absence de filet de sécurité sociale et recrudescence de la pauvreté et de l’inclusion… Il y aurait beaucoup à dire.
Plaidoyer pour un réseau d’excellence en matière de surveillance
Le troisième argument est le véritable nœud de son argumentaire: le Premier ministre plaide pour «un réseau de centres d'excellence en matière de surveillance (…) qui s’appuie sur l’expertise des autorités nationales et évite toute bureaucratie inutile». Autrement dit, plutôt à Luxembourg qu’à Dublin, Paris ou Francfort.
«Pour qu’un investissement se concrétise, il faut d’abord une opportunité commerciale, trop souvent étouffée par des réglementations onéreuses», complète enfin le Premier ministre, qui insiste sur la simplification réglementaire, avec «un exemple directement lié aux marchés de capitaux. Deux textes, la directive sur les marchés d’instruments financiers (Mifid II) et son règlement d’application, ont donné lieu à plus de 80 règlements délégués et 100 textes de droit souple. Cela ne représente qu’une fraction de l’ensemble des directives et règlements qui freinent les marchés de capitaux, précisément au moment où ils doivent contribuer à nos immenses besoins de financement, notamment pour la sécurité de l’Europe.»
Reste quand même une question également à prendre en compte: ces milliards d’euros sur des comptes bancaires rémunérés ont dopé la compétitivité des banques européennes, comme en témoigne le bond de l’indice Euro Stoxx Banks, qui compile les performances des 22 plus grandes banques cotées de la zone euro, lequel a gagné près de 35%, alors que dans le même temps, l’indice KBW des banques américaines a perdu plus de 5%. Cette année, les grandes banques européennes devraient verser 123 milliards d’euros à leurs actionnaires, selon des analyses similaires, soit plus que le record déjà établi l’an dernier.
L’épargne populaire est un moyen simple et jusqu’ici efficace pour que les banques se financent à moindres coûts. Si une partie trop importante était réaffectée à des produits financiers, les banques devraient trouver d’autres solutions – de marché – plus chères. Et devraient se remettre à calculer si c’est bien prudent d’accorder des crédits, aux particuliers ou aux entreprises. Au risque que l’économie tousse. La stratégie de l’Union européenne devra donc aussi rassurer sur la capacité des banques à se refinancer et sur l’attractivité de ces nouveaux produits financiers, pour qu’elles puissent aussi les packager elles-mêmes.