Avec la fermeture de la branche retail d’ING au Luxembourg, Spuerkeess se trouve à un tournant stratégique important. La banque universelle détenue par l’État cherche à attirer ces nouveaux clients et à les intégrer rapidement, tout en préservant la qualité de son service. Un défi de taille, mais aussi une chance de renforcer sa position sur le marché, comme l’explique le responsable de la banque de détail de Spuerkeess, Charles Pletsch.
Avez-vous déjà une idée du nombre de clients d’ING qui ont choisi de rejoindre Spuerkeess?
Charles Pletsch. – «Pour l’instant, nous n’avons pas de chiffres concrets. La situation est encore en développement et il y a ce que l’on appelle un ‘effet pipeline’. On parle de centaines de nouveaux clients, ce qui représente un volume de travail considérable. Nous nous efforçons d’optimiser nos services pour réduire le temps d’attente à l’ouverture de nouveaux comptes. Il est crucial que l’expérience globale de nos nouveaux clients soit positive dès le début.
Combien de nouveaux clients Spuerkeess est-elle en mesure d’onboarder en une journée?
«La vitesse de croisière actuelle est de 180 clients par jour en moyenne. Au pic des demandes, nous étions à plus de 200 clients par jour.
L’arrivée de ces clients nécessite-t-elle le recrutement de nouveau personnel chez Spuerkeess?
«Bien que récente, la décision d’ING entraîne une hausse de notre clientèle et il est essentiel de garantir la disponibilité immédiate de nos services à travers tous les canaux de communication. Nous anticipions déjà le recrutement de plusieurs dizaines de chargés de clientèle avant cette annonce. Nous devrons probablement revoir l’objectif à la hausse pour répondre à la demande.
Envisagez-vous de recruter parmi le personnel d’ING?
«Nous sommes à la recherche de conseillers expérimentés. Le personnel d’ING offre effectivement une opportunité de renforcer notre effectif avec des compétences déjà rodées au secteur.
Il existe une clientèle d’expatriés que toutes les banques aimeraient attirer.
La décision d’ING a été annoncée de manière assez soudaine et sans préavis. Cela vous a-t-il surpris?
«Oui. Nous sommes tous deux membres de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) et il n’y a eu aucune discussion préalable à ce sujet dans ce cadre. Un avertissement aurait été approprié. Ce qui me choque, c’est bien sûr l’impact sur les clients, mais surtout sur les employés qui, après des années de dévouement à fidéliser la clientèle, se retrouvent face à un fait accompli. C’est une manière pour le moins inhabituelle de procéder.
Quelle est votre lecture des raisons qui ont conduit ING à se retirer du marché retail au Luxembourg?
«J’exprime ici une opinion personnelle, qui n’engage pas Spuerkeess. ING a laissé entendre qu’en dépit de tous ses efforts, elle n’avait pas atteint le seuil critique de clients nécessaire pour devenir rentable. Je pense aussi qu’elle allait au-devant d’importants investissements, notamment sur le plan informatique. Peut-être a-t-elle estimé que les coûts étaient trop élevés par rapport à sa part de marché au Luxembourg, qui est d’environ 5%.
Pensez-vous que d’autres banques pourraient également se retirer du marché pour des raisons similaires?
«Si la décision d’ING est particulièrement frappante, certaines banques suivent une voie similaire, bien que moins spectaculaire, en évinçant certains clients – par exemple ceux qui viennent en agence pour effectuer un virement physique. Cela dure depuis plusieurs années. Beaucoup de ces clients viennent ensuite chez Spuerkeess. Cela ne facilite pas notre travail, ni celui de Post, car nous avons une mission sociale. Nous devons générer un minimum de revenus sur les clients et certains d’entre eux ne sont pas rentables.
Si les clients d’ING ne sont pas nécessairement rentables, pourquoi les autres banques, y compris la vôtre, déploient-elles tant d’efforts marketing pour les attirer?
«Les clients d’ING sont intéressants. ING ciblait notamment les expatriés arrivant au Luxembourg, qui voyaient leur enseigne dès l’aéroport. Il existe donc une clientèle d’expatriés que toutes les banques aimeraient attirer. Bien que nous ayons une mission sociale, Spuerkeess est aussi une entreprise commerciale qui cherche à être profitable. C’est pourquoi nous continuons de lancer des campagnes marketing pour séduire ces clients et démontrer que nous sommes le meilleur choix.
Les revenus d’intérêts représentent environ 80% de nos revenus totaux.
La décision d’ING amène à se questionner sur la rentabilité globale des banques de détail. Cette rentabilité est-elle menacée, comme l’affirme l’ABBL?
«Ayant une expérience de plusieurs décennies dans le secteur bancaire, je suis frappé par la grande évolution de la réglementation. Les processus d’onboarding et de suivi des clients, avec les exigences du KYC (Know Your Customer) et du KYT (Know Your Transaction), sont devenus beaucoup plus contraignants et rigoureux. Une simple mise à jour d’une carte d’identité demande un effort disproportionné lorsque le client n’est pas réactif. En outre, la sécurité numérique, notamment la protection contre les attaques de phishing, représente également un coût important. Tous ces facteurs impactent la rentabilité de notre secteur.
Comment a évolué la marge d’intérêt de la banque de détail de Spuerkeess l’an dernier?
«Elle a augmenté de 59,4% sur l’année 2023, à 457,1 millions d’euros.
Dans quelle mesure cette hausse est-elle liée à vos activités commerciales, en particulier l’activité de crédits et de dépôts?
«La hausse de nos revenus d’intérêts est principalement due à l’évolution favorable des taux d’intérêt. Bien que nous ayons accordé moins de crédits immobiliers, notre volume de dépôts d’épargne reste élevé. Spuerkeess a la chance de disposer d’un passif plus important que l’actif: le volume des dépôts dépasse de quelques milliards celui des prêts. Cela signifie que nous n’avons pas besoin de nous refinancer sur le marché pour financer nos prêts, ce qui est un avantage considérable.
Auparavant, cette situation nous pénalisait quand nous subissions des taux négatifs sans les répercuter sur nos clients, entraînant des pertes sur les dépôts d’épargne. Actuellement, la situation est inversée. Pour vous donner une idée, nous appliquons un taux de 2,5% sur l’épargne et d’environ 4% sur les prêts hypothécaires. Avec davantage de dépôts que de crédits, nous générons naturellement davantage de revenus.
Quelle est votre dépendance vis-à-vis des revenus d’intérêts?
«Les revenus d’intérêts représentent environ 80% de nos revenus totaux, le reste provenant des commissions et des dividendes. Cette marge d’intérêt, qui est affectée par le niveau des taux d’intérêt, a été très faible pendant des années en raison des taux bas. Récemment, avec la remontée des taux, la situation s’est améliorée, particulièrement pour une banque comme la nôtre qui possède un volume élevé de dépôts d’épargne.
Mais contrairement à des pays comme la Belgique ou l’Allemagne, où les banques ont maintenu des taux bas pour préserver leur marge, Spuerkeess a pris l’initiative au Luxembourg de relever les taux sur l’épargne afin de rémunérer équitablement les dépôts de la clientèle. Nous estimons avoir joué un rôle exemplaire en tant que banque leader dans le retail et en tant que banque d’État.»