«C’est moi, l’historique!» Ce matin-là, alors que Cegecom prépare son 25e anniversaire, Didier Wasilewski déroule ses 25 ans passés chez Cegecom. La création en 1999, l’alliance avec les Allemands VSE et SRLB pour former le groupe Artelis avec un actionnaire allemand et un actionnaire luxembourgeois. Les lettres de noblesse acquise avec force travail pour réaliser 80% de l’activité en dehors du groupe. Le Luxembourg très réactif sur le B2B et l’Allemagne sur le B2C, avec un partage intelligent des ressources et des bonnes idées, confie-t-il, intarissable.
«Aujourd’hui, grâce à notre maison mère», dit celui qui a pris sa retraite le 1er mai, direction le sud et son légendaire soleil, «nous produisons jusqu’à 220.000 clients privés en marque blanche de fibre optique en Allemagne. À Luxembourg, ce marché n’existe plus.»
C’est parce que les Allemands sont en retard, ou à cause de la concurrence?
Didier Wasilewski. – «Exactement, ils sont en retard. À Luxembourg, depuis dix ans, on a adapté notre stratégie quand le gouvernement a décidé de déployer massivement la fibre. Au départ, on était opérateur d’infrastructure, on posait la fibre. Puis, avec ce changement, on est devenu opérateur de services. Aujourd’hui, sous l’impulsion de Serge Eiffes, on devient un ICT provider. Avoir la fibre et internet, ce sont les commodités, les bases. C’est ce qu’on disait déjà en 2019. Aujourd’hui, il nous faut une vraie panoplie de services.
Aujourd’hui, on voit des fonds d’infrastructure essayer de rassembler différents opérateurs complémentaires sur plusieurs marchés, un peu comme ce que vous avez fait avec Artelis. Est-ce que le modèle germano-luxembourgeois serait duplicable en Belgique, en France ou dans la Grande Région?
D. W. – «Théoriquement oui, mais on ne le voit pas pour nous aujourd’hui, en raison de notre ADN. On est perçus comme un opérateur indépendant, luxembourgeois, avec une forte orientation vers l’Allemagne. Dès les années 2000, on a installé une première ligne jusqu’à Francfort, aujourd’hui totalement redondante, et on est bien positionnés sur ce marché. On a essayé la France, notamment quand la Moselle a ouvert son réseau. On y a fait une tentative, mais elle n’a pas été concluante. Le mille-feuille administratif a compliqué les choses. On espérait que la loi Télécom faciliterait les choses, mais on est même entrés en conflit avec le régulateur français. Artelis s’était pourtant bien déclaré comme opérateur en France. Mais techniquement, l’offre était trop complexe à cette époque pour espérer une extension.
La Grande Région ne constitue pas un accélérateur ni une vraie avancée.
Est-ce que Francfort-Luxembourg-Paris, ça aurait pu être une stratégie intéressante?
D. W. – «C’est justement un des regrets d’Artelis, créé pour être un opérateur transfrontalier. Mais ce transfrontalier s’est arrêté à l’administratif. On a été bloqué par les régulations spécifiques à chaque pays.
Et en 25 ans, vous n’avez pas vu de progrès?
D. W. – «Absolument pas. La Grande Région, sur le papier, oui. Mais en pratique, elle n’a pas avancé. On l’a bien vu pendant la période Covid: les frontières se sont refermées en 15 jours. Aujourd’hui encore, côté allemand, vous avez la police tous les jours à la frontière. En dehors de quelques initiatives politiques, sur le plan business – notre cœur de métier –, la Grande Région ne constitue pas un accélérateur ni une vraie avancée.
Et aujourd’hui concrètement, vous en êtes où? Chiffre d’affaires, nombre de clients?
D. W. – «Artelis–CGCOM, c’est un peu plus de 70 millions d’euros de chiffre d’affaires, une rentabilité positive depuis la création, 240 collaborateurs, et une croissance annuelle du chiffre d’affaires entre 5 et 10%. Artelis est clairement en croissance et considéré comme un des fleurons du groupe E.ON – VSE dans ses activités.
Et vos clients, qui sont-ils?
D. W. – «Essentiellement une clientèle B2B. Au Luxembourg, nos clients sont issus de l’industrie, du secteur bancaire, de l’assurance, mais aussi de notre cœur de cible: les PME. Pas de résidentiel ici. C’est une activité très saine, construite avec nos clients. On s’est différencié de l’opérateur historique, et cela nous a permis d’avoir un très faible taux de churn. Nos clients ont tous la même problématique: comment croître sans prendre trop de risques. C’est cette approche qui nous a permis de bâtir une relation durable.
Et la partie Artelis?
D. W. – «Oui, c’est la spécificité luxembourgeoise. En Allemagne, c’est différent: nous opérons beaucoup en white label. Depuis la Sarre, on fournit des services sur des réseaux tiers à travers tout le pays. Nos clients sont souvent des acteurs du monde de l’énergie, des Stadtwerke, des régies locales, des réseaux communaux, parfois même des villes de bonne taille. On injecte internet, téléphonie, parfois télévision. Ils nous mettent leur infrastructure à disposition, on la loue, et ils utilisent nos plateformes et nos processus. C’est ça aussi le savoir-faire d’Artelis: produire pour les autres. C’est un vrai noyau que nous avons construit depuis 25 ans.
Et demain alors, M. Eiffes?
Serge Eiffes. – «Le grand changement, c’est le passage au rôle d’ICT provider. On redéfinit actuellement notre portefeuille, pour le Luxembourg et pour l’Allemagne. L’idée est d’utiliser le Luxembourg comme terrain d’expérimentation pour ensuite répliquer les succès à plus grande échelle. On discute aussi de partenariats, car on ne peut pas recruter immédiatement tous les spécialistes en cybersécurité, en IA, etc.
Nous ne voulons pas mettre en place des solutions que nous ne maîtrisons pas.
À quoi cela pourrait-il ressembler, notamment pour les PME luxembourgeoises qui, souvent, n’y connaissent rien?
S. E. – «On veut jouer un rôle de conseil pour les PME, tout en leur offrant des services. NIS 2 va arriver. Pour nous, cela représente un potentiel de nouveaux clients. Mais beaucoup de ces entreprises ne sont pas prêtes, elles n’ont pas les qualifications nécessaires, et il est encore difficile d’éduquer le marché. Le ministère de l’Économie est de bonne volonté, il cherche des moyens d’aider, mais ce n’est pas encore clair. Il n’y a pas de solution clé en main: ‘Voici un package, allez voir tel ou tel consultant.’ Nous, on veut bien jouer ce rôle: éduquer, accompagner, proposer des solutions. Certains acteurs ont la couche de services, mais ils n’ont pas notre socle d’infrastructure. Ensemble, on peut offrir aux clients ce que les gros groupes proposent déjà. Une de nos grandes forces, c’est notre origine dans le monde de l’énergie. En Allemagne, ce qu’on appelle le ‘critique’, c’est notre quotidien. À Luxembourg, on est reconnu comme opérateur essentiel. Nous appliquons les directives très exigeantes de notre maison mère, et cela nous positionne bien.
Par exemple, nous sommes certifiés ISO 27001. Nous sommes audités chaque année. Ce niveau d’exigence, on l’applique à nous-mêmes avant de le proposer au marché. Une PME qui ne connaît rien à NIS ou NIS 2 va bientôt être concernée, et nous pourrons l’accompagner efficacement. Cela fait déjà 10 ans que nous vivons avec ces standards. La transposition de NIS 2 au Luxembourg aurait dû être effective en octobre dernier, elle est en cours. Le jour où une PME apprendra qu’elle doit se conformer à NIS 2, elle ne saura pas ce que cela implique. Nous, on le sait déjà. Et notre accompagnement sera celui d’experts, pas de consultants juniors qui coûtent cher pour peu de résultats. On apportera une réponse pragmatique, adaptée au marché, parce qu’elle l’est déjà pour nous-mêmes. Nous pourrons aller directement chez le client, comprendre ses besoins, et lui proposer une solution standard adaptée. Des ‘building blocks’ personnalisables. C’est peut-être notre plus grande force: ce petit bateau rapide qui évolue entre les grands navires, plus lents à manœuvrer.
L’évolution technologique vous inquiète-t-elle? Ça va très vite, les technologies s’additionnent, les effets sont positifs mais aussi potentiellement très négatifs… J’imagine que vous devez vous y préparer très tôt.
S. E. – «Je vois plutôt tout cela comme une opportunité. Ces technologies sont là, elles arrivent, et elles peuvent nous faciliter la vie.
D. W. – «Et puis la course à la technologie, c’est notre cœur de métier. C’est ce qui nous fait vivre. On est une société de services, basée sur le récurrent. Il y a 25 ans, on parlait de connectivité à 256Kbps. Aujourd’hui, on parle de 100Gbps. Est-ce un effort gigantesque? Non. C’est le même métier: réseau, supervision, relation client. Seule la technologie change, pas la relation.
S. E. – «Ce qui change, c’est la vitesse d’évolution. Les cycles sont plus courts.
Et les grands groupes, comme Google ou Microsoft, ont les moyens d’imposer leurs technologies au marché…
S. E. – «Oui, mais il ne faut pas oublier que les fournisseurs de plateformes intègrent aujourd’hui dans leurs solutions des couches de sécurité, de détection, de conformité. Cela simplifie aussi notre travail vis-à-vis des clients. Nos techniciens les utilisent déjà. C’est une nouvelle normalité. Nous nous positionnons comme un fournisseur de confiance, dans un ‘trustable country’. Nous ne voulons pas mettre en place des solutions que nous ne maîtrisons pas. Nous sommes plus exigeants pour nos clients que pour nous-mêmes. Notre métier a évolué: aujourd’hui, un contrat commercial c’est deux pages, mais il est accompagné de 20 pages d’annexes liées au RGPD. La compliance est devenue essentielle.
Un cloud privé, c’est plus cher, plus complexe à maintenir, non?
S. E. – «Pas forcément. Regardez le cloud public de Microsoft: leurs tarifs augmentent de 5% tous les six mois. À terme, un cloud privé avec un prix stable peut revenir moins cher.
Et vous avez déjà votre infrastructure cloud?
S. E. – «Oui. Nous avons notre propre data center en Allemagne, et au Luxembourg, nous avons acquis des capacités chez LuxConnect. Nous proposons ainsi une solution complète, sous notre contrôle.
Le marché est-il assez grand pour tout le monde? Ou Post est-il un peu trop dominant?
S. E. – «Post a clairement une position dominante, surtout en B2B: ils ont environ 80% de parts de marché, ce qui est énorme. Dans aucun autre pays de l’UE on ne voit cela.»