La course à pied est un domaine où l’on voit davantage de sponsorings dits «de spécialistes». (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne/Archives)

La course à pied est un domaine où l’on voit davantage de sponsorings dits «de spécialistes». (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne/Archives)

À quelques heures du départ de l’ING Night Marathon, plongée dans le monde du sponsoring qui entoure le running avec Gary Tribou, professeur en marketing du sport à l’Université de Strasbourg, auteur de plu­sieurs ouvrages de référence et consultant pour des marques de sport.

Pourquoi sponsoriser le running?

«La question du sponsoring dans le running est vraiment pertinente, dans la mesure où l’on y retrouve peu de sponsorings dit ‘classiques’, c’est-à-dire où l’on mise sur la visibilité liée à l’événement», lance Gary Tribou, professeur en marketing du sport à l’Université de ­Strasbourg. Ce phénomène s’explique par des audiences loin d’être comparables aux grands sports collectifs médiatisés. Et ce même si 300.000 personnes sont parfois massées le long du parcours.

De fait, la course à pied est un domaine où l’on voit davantage de sponsorings dits «de spécialistes». «Lorsqu’un équipementier comme Asics associe son nom au marathon de Paris, il le fait parce qu’il y trouve une rentabilité», illustre celui qui a été consultant pour des marques comme Adidas ou Puma. «Sa cible, ce sont les coureurs à pied. Ceux qui participent, évidemment. Mais il prend également le pari que le public sur le bord de la route est ­composé d’autres coureurs, qui sont donc des consommateurs potentiels.»

Mais, à côté de ces «spécialistes», des enseignes davantage généralistes se sont tout de même également tournées vers le running. Donnant même, pour certaines, leur nom à des épreuves, à l’image d’ING pour le marathon de Luxembourg, Schneider Electric pour celui de Paris ou encore TCS – une des plus grandes sociétés informatiques au monde – pour celui de New York. «En matière de sponsoring, la règle d’or est: on n’investit que là où on va retrouver sa cible de consommateurs.» Or, la course à pied draine une population qui s’est ­tellement élargie ces dernières années – en raison notamment d’une féminisation et d’une démocratisation accrues (en France, on l’évalue à 16 millions de personnes) – que beaucoup font le pari d’y retrouver leur cible. 

«Tout est une question d’impact: celui que ce sponsoring peut générer pour vous», explique Gary Tribou. Avant d’avancer un exemple: «Tout le monde a en tête cette grande marque de produits de charcuterie présente sur le Tour de France. Elle n’est pas ‘légitime’ dans un monde comme celui du vélo. Mais il se trouve qu’à la fin de chaque Tour, elle explose son chiffre d’affaires pendant 15 jours! Pour elle, il s’agit d’un simple calcul, afin de voir quel bénéfice financier elle en retire. Et le sponsoring, aujourd’hui, c’est de plus en plus ça: un simple calcul. Et de moins en moins un bénéfice symbolique lié à l’image. Cette dernière étant d’ailleurs souvent trop compliquée à calculer…»

Quels retours peut-on espérer?

«Si vous êtes une marque dite ‘spécialiste’, à l’image d’un équipementier, par exemple, dont les articles sont consommés par les coureurs, vous faites ce que l’on appelle de la ‘preuve-produit’», précise le professeur en marketing du sport. ­Comprenez que la présence de la marque en tant que sponsor suggère que ses produits sont performants, un message qui peut être amplifié par la participation d’ambassadeurs de celle-ci. «Pour de telles entreprises, l’indicateur de réussite de leur action est simple: il s’agira de la variation de leur chiffre d’affaires futur.»

Pour d’autres marques, les retours seront plutôt liés à l’image que renvoie le partenariat. «Chez certaines, on sera même dans du ‘­marketing de disculpation’», avance celui qui a été consultant pour de nombreuses entreprises, mais aussi pour la Fédération française de ­tennis. Il pointe ici des sociétés n’ayant aucun lien avec le running, mais qui s’y attachent, afin de nourrir leur image avec les valeurs d’un sport considéré comme sain, relativement épargné par les dérives du dopage, du racisme, etc. «Elles s’en servent pour laver leur image! On parle là d’entreprises pharmaceutiques, agro­alimentaires – celles accusées de favoriser l’obésité, telles que des marques de fast-food, des limonadiers, etc. – ou même d’acteurs du secteur financier ayant connu des soucis par le passé…»

Quels budgets sont dépensés?

«Les chiffres du sponsoring, c’est secret défense…», déclare en souriant l’auteur d’ouvrages de référence comme «Sponsoring sportif» ou «Les ­Marchés du sport». Néanmoins, selon lui, une simple règle de trois peut parfois suffire à imaginer l’échelle à laquelle on se trouve. «Vous prenez l’audience globale de la course à pied qui vous occupe et vous la comparez à celle d’un grand match de sport collectif, dont les montants sont, eux, connus. Le rapport des deux vous donnera une idée du ticket d’entrée…» L’audience étant ici calculée en fonction du nombre de participants, de spectateurs et de téléspectateurs. «À côté de ça, il y a aussi ­désormais la présence sur les réseaux sociaux. On a beaucoup de mal à l’évaluer, mais elle est aujourd’hui ­essentielle vu l’impact qu’elle ­possède notamment sur les moins de 35 ans.»

En moyenne, une entreprise dépense en sponsoring entre 2% et 10% de son budget commu­nication. «Il existe des exceptions, des entreprises qui montent à 25%, voire bien plus encore pour une société comme Red Bull», ­précise Gary Tribou. «L’image de l’événement entre ­aussi en ligne de compte au moment de déterminer son investissement.» Pouvoir associer son nom à celui d’un marathon comme celui de New York, par exemple, constitue, en effet, une vraie valeur ajoutée.

Le plogging, ce croisement entre jogging et écologie

Connaissez-vous le plogging, cette acti­vité d’origine suédoise mixant course à pied et écologie, dont le nom est né de la combinaison du verbe suédois «plocka upp» («ramasser») et du mot anglais «jogging» («course à pied»)?

Il s’agit d’une activité combinant donc running et ramassage de déchets, mise sur pied pour la première fois en 2016 par un certain Erik Ahlström, excédé par l’invasion du plastique dans la nature en Suède.

Six ans plus tard, cette discipline est pratiquée dans le monde entier, mais peine tout de même un peu à véritablement percer auprès du grand public. Comme c’est le cas au Luxembourg. «En janvier, nous avons voulu relancer l’organisation d’un plogging mensuel, mais cela n’a pas vraiment pris», explique Didier Picard, créateur de Pickitup (), une asbl pour la pré­servation de l’environnement qui organise ce type d’événement. «Par contre, en entreprise, cela a l’air de bien fonctionner. Nous orga­nisons des ploggings en guise de team buildings, et les retours sont positifs.»