On entend souvent que la fiscalité freine le développement du télétravail. Certes, les frontaliers qui dépassent un certain nombre de jours travaillés prestés depuis leur domicile (19 pour l’Allemagne, 24 pour la Belgique et 29 en France) doivent payer des impôts sur leur revenu dans leur pays de résidence pour la totalité des jours qui y sont travaillés. Mais est-ce vraiment désavantageux?
En réalité, pas tellement et pas systématiquement, selon les simulations d’OmniTrust. Nous avons demandé à la société fiduciaire luxembourgeoise de calculer le salaire perçu par un frontalier lorsqu’il dépasse ou non le quota de jours impartis. À l’aide de ses confrères, membres du groupe Kreston dans les pays voisins, OmniTrust démontre que télétravailler au-delà des limites peut en fait parfois… en valoir la peine, notamment pour les Français ayant un salaire élevé.
Jusqu’à 1.000 euros de gain pour les Français en télétravail
Ainsi, un célibataire frontalier qui touche 25.704 euros brut par an percevra un salaire net de 25.208 euros s’il ne dépasse pas le quota.
En revanche, il ne recevra plus que 23.115 euros en France après 30 jours de télétravail, 22.936 en Belgique avec 25 jours travaillés depuis chez lui, et 23.176 en Allemagne au bout de 20 jours.
Le célibataire qui gagne 150.000 euros brut par an touche seulement 89.408 euros net au Luxembourg, contre 90.416 s’il a dépassé le quota de jours imposé côté français. L’Allemand dépassant le seuil des jours télétravaillés perçoit, quant à lui, 89.383 euros, soit presque autant qu’au Luxembourg. La différence est plus importante pour le célibataire belge, qui n’aura droit qu’à 87.544 euros net dans son pays de résidence.
Les Français mariés gagnent aussi souvent à télétravailler, du moins à partir d’un certain salaire. Dans ce scénario, le brut de 60.000 euros se transforme en un net de 49.232 euros au Luxembourg et de 49.387 avec 30 jours imposés en France. Celui qui perçoit 150.000 euros brut gagne 998 euros à travailler depuis chez lui 30 jours par an.
Les Allemands et les Belges mariés qui touchent 30.845 euros brut gagnent davantage en télétravaillant plus que prévu (111 euros pour les Belges et 400 euros pour les Allemands). Mais ils y perdent lorsqu’ils gagnent plus. Par exemple, les 100.000 euros brut deviennent 74.153 euros net au Luxembourg, contre 71.797 pour les Belges qui dépassent leur quota et 73.637 euros pour les Allemands.
«Il est important de bien noter que ce sont des simulations avec un scénario précis et que la situation personnelle de chacun joue sur le salaire net des personnes», rappelle Aurore Calvi, managing director d’OmniTrust.
Elle a considéré, dans ses simulations, que le célibataire avait un prêt immobilier, une prime d’assurance et une épargne pension complémentaire. La personne mariée a, quant à elle, un enfant, un conjoint avec un salaire annuel de 31.000 euros, un prêt immobilier, une prime d’assurance et une épargne pension complémentaire.
Une limite due à la sécurité sociale
Mais attention aussi à la sécurité sociale. Une règle européenne s’applique: le travailleur qui effectue plus de 25% de son activité (une soixantaine de jours en général) depuis chez lui devra s’affilier à la sécurité sociale de son pays de résidence, ce qui risque d’être alors «moins intéressant», d’après Aurore Calvi.
Cette dernière note que les cotisations salariales sont de plus ou moins 12% au Luxembourg alors qu’elles s’élèvent à environ 20% en France, 13% en Belgique et 20% en Allemagne. Les patrons y perdraient encore plus, puisqu’ils paient environ 12% de cotisations au Luxembourg au lieu de 40% en France, 30% en Belgique et 21% en Allemagne. En ne dépassant pas un à deux jours de télétravail par semaine, on reste normalement en dessous de ce taux.
Si le télétravail se généralise après avoir explosé lors de la phase de confinement – où 55% des salariés ont bien vécu l’expérience, selon le Statec – l’économie luxembourgeoise n’en sortirait donc pas forcément gagnante. Sarah Mellouet, économiste à la Fondation Idea, calcule que si la moitié des travailleurs ne mangeaient pas au restaurant un midi par semaine pendant un an, le manque à gagner s’élèverait globalement à 90 millions d’euros pour les restaurateurs. Et c’est sans compter l’impact dans le commerce, l’immobilier de bureaux ou encore les recettes fiscales perdues par l’État si les frontaliers dépassent leur quota.