Même s’il faudra un certain temps pour que la fréquence des vols à destination et en provenance de la Chine retrouve le niveau d’avant la pandémie, de nombreuses familles peuvent désormais se réunir après trois ans de séparation. Bien que cela n’ait pas été le cas pour elle, Chloé Reuter se souvient qu’en février 2020, elle et sa famille étaient «enfermées pendant sept mois, vivant avec dix valises», et qu’essayer d’obtenir des visas à jour s’était avéré un défi.
La fondatrice de Gusto Collective, société de brand tech travaillant avec une série de marques de luxe en Asie, partage son temps entre Shanghai et l’Europe. Elle retournera dans la plus grande ville de Chine en février et, même si elle manquera de peu les célébrations du Nouvel An chinois, elle se dit soulagée de ne pas avoir à se mettre en quarantaine.
D’un point de vue commercial, elle estime que «les années 2020 et 2021 ont été très positives pour nous, car la frontière était fermée. Vous aviez tous ces gens qui avaient de l’argent à dépenser et qui ont décidé de le dépenser dans le luxe en Chine, au lieu de voyager historiquement en dehors de la Chine et d’acheter des articles de luxe quand ils étaient en Europe ou aux États-Unis».
En février 2021, les voyages aériens à l’intérieur du pays avaient également rebondi à des niveaux proches de ceux d’avant la pandémie, les habitants en profitant pour se rendre dans la large gamme de paysages que le pays a à offrir: des terrasses et montagnes accidentées du Yunnan aux plages de Hainan.
Mais, comme l’explique Chloé Reuter, 2022 fut une autre histoire: la variante omicron était arrivée. Au printemps, «Shanghai a effectivement été confinée pendant 70 jours, et les gens n’ont pas pu sortir de chez eux. Et cela ne vous met pas d’excellente humeur pour acheter ce sac à main Dior», explique-t-elle.
L’économie en a effectivement pris un coup. Dans sa publication de décembre 2022, la Banque mondiale a déclaré: «Malgré le soutien politique, la croissance du PIB réel devrait ralentir à 2,7% en 2022, avant de remonter à 4,3% en 2023 dans un contexte de réouverture de l’économie.»
L’essor des marques de luxe (innovantes)
Chloé Reuter, qui vit en Asie depuis 1993 et parle couramment le mandarin, anticipe également un rebond. Et elle ne s’attend pas à ce que la consommation de produits de luxe revienne au niveau d’avant la pandémie: «Je pense que les gens sont aujourd’hui très ouverts à l’achat de produits de luxe. L’offre, en termes d’innovation dans la vente au détail, d’expériences et de marques, est absolument de classe mondiale en Chine.»
Les marques de luxe ont été incroyablement innovantes en Chine – et plus encore que dans le reste du monde…
Il y a dix ans à peine, les consommateurs chinois se rendaient à Paris, à Londres ou dans d’autres capitales de la mode parce que certaines marques n’étaient pas disponibles dans leur pays, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Non seulement il existe des marques de luxe locales, qui ont rapidement évolué au cours des cinq à dix dernières années, mais «les marques de luxe ont été incroyablement innovantes en Chine – et plus que dans le reste du monde – parce qu’elles ont dû adopter les applications des médias sociaux chinois qui sont complètement uniques et exigent des types de contenu différents. Elles ont adopté des outils comme le streaming en direct, les méta-humains, les influenceurs virtuels, la réalité augmentée.»
Des marques comme Louis Vuitton, Dior, Chanel, etc., ont pris note du besoin d’innovation. Louis Vuitton, par exemple, a présenté sa collection printemps-été 2022 à Shanghai, le long des quais de la rivière Huangpu, avec 19 looks exclusifs et trois sacs spécifiquement destinés à la Chine. L’évènement en direct, orné de lustres chics, a également été diffusé en livestreaming sur six plateformes, obtenant des centaines de millions de vues en quelques heures seulement.
En 2021, la Maison Chaumet (également propriété de LVMH) a également présenté ses diadèmes par le biais d’installations interactives et de projets holographiques, tandis qu’un showroom WeChat donnait aux visiteurs la possibilité de personnaliser leur propre expérience.
Bottega Veneta a également gagné ses lettres de noblesse sur le plan culturel: elle a investi la Grande Muraille de Chine pour le nouvel an lunaire en 2022 avec une installation numérique et cette année, elle a prévu d’autres initiatives phygitales. C’est-à-dire des installations qui proposent un point de vente physique, mais qui inclue tout un parcours digital en termes d’expérience client.
Un positionnement luxueux
Selon Chloé Reuter, l’écosystème numérique unique de la Chine a contribué à préparer le terrain pour que le luxe connaisse une nouvelle croissance en 2023. «Grâce au grand pare-feu chinois, on a pu créer des applications de médias sociaux locales, incroyablement intelligentes et différentes, totalement intégrées et transparentes», explique-t-elle. Et alors qu’en Occident, le livestreaming n’était peut-être pas associé au luxe auparavant – puisque «vous ne vous adresseriez pas vraiment à Dior pour une expérience de livestreaming – le Covid a forcé les marques à prendre des risques et à commencer à explorer certaines de ces plateformes et techniques d’innovation parce qu’elles ne pouvaient pas garder les magasins ouverts en 2020».
Qui plus est, selon un rapport de McKinsey sur la consommation en Chine en 2023, l’une des principales tendances qui remodèlera le marché de la nation est la montée continue de la classe moyenne. Comme le soulignent les auteurs, «de plus en plus, ces ménages [de la classe moyenne] rejoignent les rangs de la catégorie des revenus moyens supérieurs et élevés, avec des revenus annuels supérieurs à 160.000¥ (environ 22.000€, ndlr). Au cours des trois prochaines années, la Chine devrait compter 71 millions de ménages à revenus moyens supérieurs et à revenus élevés supplémentaires.»
Pour Chloé Reuter, cela représente «tous les éléments nécessaires pour que les marques de luxe continuent à prospérer», ce qui, bien sûr, est une bonne chose pour sa propre entreprise. Elle travaille en effet avec un certain nombre de grands magasins occidentaux pour les aider à mieux comprendre ce que font les Chinois et comment ils pourraient s’en inspirer. «Je pense que c’est devenu un défi maintenant pour les marques occidentales qui, dans le passé, n’ont jamais pensé qu’elles étaient en concurrence avec les marques chinoises.»
Cet article a été rédigé par en anglais, traduit et édité par Paperjam en français.