Un tiers de la population résidente estime que sa santé mentale s’est dégradée. (Photo: Shutterstock)

Un tiers de la population résidente estime que sa santé mentale s’est dégradée. (Photo: Shutterstock)

La prise de conscience est en train de se faire: la crise du Covid-19 n’est pas qu’économique et sanitaire. Son impact psychologique sera majeur. Et durable.

Quand on évoque la santé mentale, de quoi parle-t-on, au juste? Pas de psychiatrie, mais de bien-être. La santé mentale, c’est la dimension de notre santé qui concerne notre ressenti. Dans quelle mesure s’est-elle dégradée ces derniers mois? Il n’y a pas encore d’études globales pouvant aider à quantifier cela. Juste des observations éparses et des recommandations aux gouvernements émanant d’organisations internationales comme l’Onu, l’OMS et l’UE pour qu’ils se penchent sur le sujet.

Par exemple, en France, on estimait qu’avant le deuxième confinement, un salarié sur deux était désormais en détresse psychologique. Et on constate une forte progression des arrêts maladie de longue durée et de ceux liés à des troubles psychosociaux. Les catégories les plus touchées sont les personnes en situation financière difficile, les jeunes âgés de 18 à 24 ans, et les personnes qui avaient déjà des antécédents psychologiques. L’augmentation des troubles dépressifs dans l’ensemble de la population est spectaculaire: de 10% en novembre, on est passé à 21% début décembre.

Au Luxembourg, le Statec s’est penché sur l’impact du confinement sur la santé mentale. Ses conclusions? Un tiers de la population déclare une dégradation de sa santé mentale. Les facteurs les plus importants associés à ce déclin sont la santé physique, le revenu et les caractéristiques de l’emploi.

La Chambre des salariés s’intéresse également à la question. Elle travaille actuellement sur l’édition 2020 de son enquête «Quality of Work Index 2020», qui paraîtra en janvier. Mais il en ressort déjà que «le sentiment de bien-être général diminue significativement. Le risque de dépression a notamment augmenté chez les femmes, les plus jeunes et les personnes isolées.»

Le choc du déconfinement

À la question de savoir s’il constate, comme cela se fait dans d’autres pays, une dégradation de la santé mentale de la population depuis le premier confinement, Fränz D’Onghia, chargé de direction du centre d’information et de prévention D’Ligue et docteur en psychologie, ne peut que donner son ressenti. Et son ressenti, c’est que le premier confinement a eu un «effet protecteur»: «Les gens étaient inquiets, mais il n’ y a pas eu de hausse du nombre d’appels que nous avons reçus par rapport à la période d’avant-confinement.»

Ce qui était visible aussi avec le nombre d’interventions pour des suicides, qui a été inférieur au deuxième trimestre 2020 par rapport à ce qu’il était au premier trimestre. «Je pense que se retrouver tous dans la même situation, tous isolés chez soi, tous à faire plus attention à l’un, à l’autre, le fait aussi d’être dans la détresse tous ensemble, c’est plus facile à vivre que quand certains vont super bien et d’autres vont super mal», explique-t-il.

Les problèmes, c’est au moment du déconfinement, qu’ils sont apparus. «Dès la parenthèse fermée, les gens se sont rendu compte que les choses n’allaient pas reprendre comme avant. Ils ont vu que leurs conditions de travail se sont un peu dégradées et que leurs conditions de vie de manière générale avaient changé. C’est plutôt difficile à vivre pour certains.» Le déconfinement a également été synonyme de relâchement. Le nombre de cas de violences et de maladies vénériennes a d’ailleurs bondi, selon des observations en provenance du secteur hospitalier.

Plus la pandémie va durer, plus le stress sera élevé. Cela peut amener des souffrances psychologiques, voire des maladies mentales.

Fränz D’Onghiachargé de direction du centre d’information et de prévention D’Ligue

Depuis le mois de mai, Fränz D’Onghia constate une augmentation du nombre de gens qui disent ne pas aller bien. Sans qu’il puisse déterminer s’il y a un lien direct avec le confinement. «Généralement, le confinement est toujours un facteur de stress. Plus la pandémie va durer, plus le stress sera élevé. Cela peut amener des souffrances psychologiques, voire des maladies mentales.»

Anne-Claire Delval, consultante sur Deep.lu, fait des constats similaires. «Les gens qui étaient fragiles le sont plus. Et ceux qui ne se sentaient pas vraiment fragiles basculent.»

Un basculement progressif. Il y a d’abord eu le choc du confinement. Une stupéfaction qui a conduit à une réorganisation professionnelle et personnelle. C’était une situation de stress qui a induit une réaction immédiate. «Un phénomène normal, pourrait-on dire.»

Les choses se sont dégradées avec le déconfinement, car «ce n’était pas la fin, mais une éclaircie dans la tempête». L’illisibilité des politiques de sortie de crise et de distanciation sociale, le sentiment de ne pas avoir été récompensé pour les efforts fournis: autant d’éléments qui créent de l’incertitude et de l’insécurité. Pour Anne-Claire Delval, les gens doivent faire désormais face à une totale perte de contrôle.

Les jeunes sont les plus touchés

Ce qui l’inquiète le plus, c’est la dégradation de la situation des jeunes. Pour elle, la catégorie la plus touchée. Ce que confirme le Statec: les jeunes s’en sortent moins bien que les plus âgés. Parmi les 18-44 ans, environ 37% ont déclaré que leur santé mentale s’était détériorée. Ce chiffre diminue pour chaque groupe d’âge. Parmi le groupe des 65 ans et plus, seuls 22% ont vu leur santé mentale se détériorer. «Alors que la révolte est dans leur nature, ils semblent anéantis face à un avenir dans lequel ils ne peuvent plus se projeter.»

Tant Fränz D’Onghia qu’Anne-Claire Delval voient un aspect positif de la crise: celui de mettre une problématique peu visible sur le devant de la scène. «Les gens ont maintenant le courage de dire qu’ils ne vont pas bien. J’ai beaucoup de gens qui viennent me voir. Je ne suis pas sûr qu’ils l’auraient fait s’il n’y avait pas eu la pandémie.» Et le chargé de direction du centre d’information et de prévention D’Ligue d’espérer que cela changera la manière dont les gens vivent leur détresse psychologique.

Le projecteur est également pointé sur le manque de moyens des services de santé mentale. Des services qui ne reçoivent en moyenne qu’une enveloppe de 2% des budgets nationaux, selon l’OMS. Et qui ont été débordés par la crise, qui a entraîné des perturbations ou une interruption des services de santé mentale essentiels dans 93% des pays, alors que la demande de soins augmente, toujours selon l’OMS.

Si des chiffres spécifiquement luxembourgeois font défaut, Anne-Claire Delval confirme que cela se passe bien ainsi sur le terrain: «À moyen terme, si on veut continuer d’exister en tant qu’être humain face au développement de l’intelligence artificielle, ce secteur doit devenir prioritaire. Le bien-être émotionnel, c’est ce qui fera la différence demain.»