Raphaël Gallardo, économiste en chef chez Carmignac annonce un bouleversement en profondeur de l’ordre mondial construit par les Américains après 1945, qui justifie une transformation profonde des stratégies d’investissement. (Photo: Carmignac)

Raphaël Gallardo, économiste en chef chez Carmignac annonce un bouleversement en profondeur de l’ordre mondial construit par les Américains après 1945, qui justifie une transformation profonde des stratégies d’investissement. (Photo: Carmignac)

Pour 2023, outre l’inflation, le thème majeur des marchés sera la désynchronisation qui se poursuit entre les trois plus grands blocs économiques: les États-Unis, la zone euro et la Chine. Un nouvel ordre mondial qui ouvre justifie une transformation profonde des stratégies d’investissement.

L’Amérique sera une fois de plus au centre de toutes les attentions. Mais plus pour les défis que son économie devra relever que pour ses perspectives purement financières.

Selon Raphaël Gallardo, économiste en chef chez Carmignac, «la probabilité élevée d’une inflation fluctuante, mais durable, s’inscrit dans un bouleversement en profondeur de l’ordre mondial construit par les Américains après 1945 autour d’un système financier centré sur les États-Unis». Un système qui permettait à Washington de financer ses déficits issus de sa dépendance à l’égard des productions étrangères, de rester le consommateur en «dernier ressort» de l’économie mondiale, le gendarme du monde et le bouclier de l’Europe.

«Cet ordre mondial “américanocentré” semble se déliter rapidement aujourd’hui» avec l’émergence de la Chine ces dernières années et la «défection» récente de l’Arabie Saoudite, jusque-là alliée fidèle. Deux pays qui achetaient massivement de la dette américaine. «En outre, la guerre en Ukraine, par le renchérissement des prix de l’énergie qu’elle occasionne, pèse lourdement sur les finances des pays européens, mais aussi du Japon, qui perdent là leur capacité à acheter de la dette américaine».

Nous pensons que l’économie américaine entrera en récession à la fin de cette année, mais avec un recul de l’activité beaucoup plus marqué et plus long que prévu par le consensus.
Raphaël Gallardo

Raphaël Gallardoéconomiste en chefCarmignac

Sur le plan intérieur, si le marché du travail reste dynamique – «il y a près de deux emplois disponibles pour chaque chômeur» –, il alimente l’inflation. Si la Fed continue à resserrer agressivement sa politique monétaire, «les États-Unis pourraient connaître une baisse de l’activité plus forte que prévu l’année prochaine.» «Nous ne croyons pas au scénario selon lequel les États-Unis connaîtront une récession faible et courte au début de l’année prochaine. Nous pensons que l’économie américaine entrera en récession à la fin de cette année, mais avec un recul de l’activité beaucoup plus marqué et plus long que prévu par le consensus.

Face à l’inflation, la Fed devra créer les conditions d’une vraie récession avec un taux de chômage bien au-dessus de 5%, contre 3,5% aujourd’hui, ce qui n’est pas envisagé actuellement par le consensus», poursuit Raphaël Gallardo.

Quasi stagflation en Europe

Du côté de l’Europe, les coûts énergétiques élevés devraient affecter les marges des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages, déclenchant ainsi une récession ce trimestre et le suivant. Une récession cependant modérée, car les stocks élevés de gaz devraient empêcher les pénuries d’énergie. «Toutefois, la reprise économique à partir du deuxième trimestre devrait être terne, les entreprises hésitant à embaucher et à investir en raison de l’incertitude persistante concernant l’approvisionnement en énergie et les coûts de financement. La faiblesse de la reprise et l’inflation liée à l’énergie continuant d’alimenter la structure des coûts, la Banque centrale européenne sera confrontée à un environnement quasi “stagflationniste”.

Le retour de l’activisme budgétaire pourrait également accroître la pression sur la BCE et entraîner un débat difficile sur la «dominance fiscale».»

En Chine enfin, l’économie dépend actuellement uniquement du secteur public, qui soutient la croissance grâce aux dépenses de projets d’infrastructure. Mais le secteur privé est en pleine récession. «Le système de santé chinois n’étant pas en mesure de résister à une vague massive de contaminations liée à un assouplissement de la politique zéro covid pendant l’hiver. Les autorités ont été contraintes de soutenir la croissance du PIB en adoptant un double pivot, monétaire et diplomatique. Elles ont accepté d’assouplir les conditions de liquidité et ont entamé une détente avec les États-Unis. Cela est de bon augure pour un retour progressif de la vitalité économique du pays.» 

Le nouvel équilibre qui se met en place conduit au repli sur soi économique, il sera inflationniste et favorisera les initiatives belliqueuses.
Raphaël Gallardo

Raphaël GallardoÉconomiste en chefCarmignac

«Le nouvel équilibre qui se met en place conduit au repli sur soi économique, il sera inflationniste et favorisera les initiatives belliqueuses. La perte d’efficacité économique prévisible, ajoutée aux considérations démographiques et aux nouvelles tendances sociétales, elles aussi inflationnistes, nous fait entrer de plain-pied dans un nouvel ordre économique mondial qui justifie une transformation profonde des stratégies d’investissement.

Cette transformation n’empêche cependant pas, selon nous, des réexpositions tactiques aux actifs risqués. Les obligations offrent désormais des rendements plus en phase avec le niveau attendu de l’inflation et les difficultés accrues de financement de la dette publique américaine. Leur rendement devrait pouvoir se stabiliser et favoriser la valorisation des actions.»

Un biais défensif pour les portefeuilles

À court terme, Carmignac entrevoit de «bonnes nouvelles». «De premières indications notables d’un apaisement futur apparaissent sur le front de la guerre en Ukraine, et la perspective d’un arrêt de la politique zéro covid chinoise, qui a contribué à un ralentissement très marqué de la croissance, se précise. Bien qu’inflationnistes dans un premier temps, ces deux éventualités devraient permettre à terme une baisse des prix de l’énergie et une fluidification des chaînes d’approvisionnement. Elles constitueront surtout un frein au ralentissement des économies américaines et européennes.

Dès lors, le retour du cycle économique crée l’oscillation de l’inflation qui semble repartie pour plusieurs trimestres de décrue capables de revaloriser les actifs financiers. Les valeurs de croissance, qui ont beaucoup souffert de la première vague inflationniste, pourraient en profiter initialement. Il conviendra alors d’en réduire le poids dans les portefeuilles pour amplifier celui des valeurs de l’’ancienne économie’ trop longtemps délaissée en Bourse. Les marchés d’actions devraient poursuivre le redressement tactique observé depuis ces dernières semaines tout en confirmant l’instauration d’une nouvelle hiérarchie dans les performances sectorielles.»

Pour ce qui est des stratégies d’investissements, «Le scénario typique de récession associé à l’environnement décrit ci-dessus plaide en faveur d’un portefeuille avec un biais défensif. Sur le front obligataire, nous privilégions les obligations à long terme d’émetteurs bien notés. En ce qui concerne les actions, nous favorisons les sociétés et les secteurs offrant la plus grande résilience et sur les marchés des changes, les devises qui ont tendance à bénéficier d’un statut de valeur refuge», détaille Kevin Thozet, membre du comité d’investissement.