L’annonce par Donald Trump de nouveaux droits de douane marque un tournant dans les relations commerciales transatlantiques. En instaurant un tarif de 20% sur les importations en provenance de l’Union européenne, le président américain ravive les tensions protectionnistes. Entre inquiétudes économiques et incertitudes géopolitiques, les répercussions de cette décision s’annoncent mondiales. Le directeur général de la Chambre de commerce du Luxembourg livre son analyse.
Comment accueillez-vous les annonces de Donald Trump, d’abord sur la forme et le message envoyé?
Carlo Thelen. – «Globalement, ce n’était pas une grande surprise parce qu’il avait déjà annoncé cela et pendant son premier mandat, il avait déjà adopté une logique plutôt tournée vers le protectionnisme que vers le libre-échange auquel nous avons toujours été habitués avec les Américains. Mais selon moi, hier (jeudi 3 avril, ndlr) était vraiment une journée noire pour le commerce mondial. De par son envergure, l’annonce est même historique. C’est une rupture par rapport aux principes que les Américains ont toujours défendus, à savoir le libre-échange et le multilatéralisme. Ils sont quand même les initiateurs du Plan Marshall, du General Agreement on Tarriffs and Trade (GATT), de l’OMC. Tout cela a toujours été soutenu par Washington comme une opportunité de croissance, de richesse, de création d’emplois pour faire avancer la mondialisation, la globalisation et le multilatéralisme. En ce sens, il s’agit vraiment d’une rupture brutale, un choc historique. D’autant que cela intervient au pire moment, parce que nous sommes sortis du Covid, nous avons toujours une guerre en Europe, des chaînes d’approvisionnement qui ont été interrompues, une inflation massive. Tout cela, nous aurions pu le combattre. Nous avions l’espoir avant l’élection de Trump de sortir de tout cela par l’approfondissement de nos partenariats, de nouveaux échanges. Il y avait l’espoir d’une nouvelle croissance économique. Et tout cela est maintenant bouleversé.
Qui va subir les plus gros impacts?
«Les Américains d’abord. Certains experts estiment qu’il y a 35% de chances que les États-Unis entrent en récession. Ils n’auront que très peu moyen de combattre cela, car les taux d’intérêt ne pourront pas être baissés et l’inflation va inéluctablement augmenter. Ils doivent importer énormément de choses pour pouvoir produire chez eux. Donc finalement, c’est le consommateur américain, les entreprises et les investisseurs qui vont surtout en pâtir. L’impact sera global. J’appelle cela une situation loose-loose car tout le monde va perdre dans la guerre commerciale.
Et en Europe?
«On voit déjà comment réagissent les marchés depuis ces annonces. Le marché américain s’effondre et le dollar américain devient plus faible. Les bourses européennes se tiennent tout de même bien depuis l’élection de Trump. Mais il est clair que nous allons ressentir les impacts, ne serait-ce déjà parce que les États-Unis sont le premier partenaire commercial de l’UE. Au niveau de l’Europe, on exporte plus de 500 milliards de biens aux États-Unis et on importe pour 350 milliards d’euros de biens venant des États-Unis en tant qu’Européens. Donc il est clair qu’il y aura des impacts. Mais ces tarifs vont entrer en vigueur très vite, demain, et donc il n’y a pas de possibilité pour se préparer. Cela va impacter les chaînes d’approvisionnement, les douanes. Il n’y a pas de prévisibilité et les entreprises n’auront surement pas d’autres moyens que de répercuter ces tarifs sur le consommateur final.
Pensez-vous que cela va pousser certaines entreprises européennes à s’installer aux États-Unis?
«Je ne sais pas si Trump pense cela, mais ce n’est pas possible. Face à des décisions tellement erratiques et irrationnelles, il y a peu de chances qu’un investisseur prenne la décision de délocaliser. Délocaliser une fabrique prend des mois et des mois, et rien ne nous dit que les choses ne vont pas encore changer d’ici là. Donc je ne crois pas qu’il y aura de grands changements à ce niveau-là.
Mais, ce qui me tracasse personnellement un peu plus, c’est l’imprévisibilité pour les marchés et le système financier, et l’impact que cela peut avoir.
En Europe, quels seront les secteurs qui vont être les plus marqués?
«En Europe nous avons l’industrie automobile, les vins notamment français. Il faut maintenant voir quelle sera la réponse européenne. Je crois que l’arsenal est préparé et que la stratégie de l’UE d’attendre un peu est la bonne. Beaucoup de secteurs sont déjà préparés, comme l’aluminium ou l’acier. Mais l’UE essaie toujours de négocier, tant que cela est encore possible. Il faudra répondre de manière proportionnée et ciblée et montrer que l’Europe voit toujours en l’Amérique un partenaire important.
Au Luxembourg, qui dispose d’une économie tournée vers le monde, comment appréhender ces impacts?
«Le Luxembourg importe beaucoup de choses pour créer de la valeur ajoutée sur les biens et services importés et pour les revendre par après. C’est ainsi que fonctionne le système de l’économie luxembourgeoise. Nous plaidons toujours pour le libre-échange et pour l’élimination des barrières et c'est pour ça que nous sommes complètement en faveur du multilatéralisme, du libre-échange et de l’ouverture à une globalisation saine avec des règles commerciales claires pour tout le monde.
En 2024, nous avons exporté 440 millions d’euros de biens vers les États-Unis, dont une bonne partie d’aluminium et d’acier. Ceux-ci sont déjà impactés par les tarifs de 25% mais cela reste sous contrôle, car ce sont des biens à haute valeur ajoutée dont les États-Unis ont besoin, même si leurs prix augmentent.
Nous avons énormément d’équipementiers automobiles au Luxembourg, on ne trouve presque plus de voitures dans le monde qui n’ont pas au moins une pièce fabriquée au Luxembourg. Il va falloir voir comment les constructeurs automobiles à qui nos équipementiers fournissent des biens réagissent. Cela peut être un impact plus grand.
Certaines de nos exportations concernent des produits ou services à haute valeur ajoutée. Ce sont des biens très spéciaux, notamment des pièces dans l’industrie, dont les Américains ont vraiment besoin et je pense qu’ils continueront à les acheter même s’ils deviennent plus chers.
Comment la place financière pourrait-elle vivre ce changement?
«Le Luxembourg est une grande place financière internationale qui n’aime pas la volatilité et une Amérique qui entre en récession aurait des impacts plus grands sur l’industrie des fonds d’investissement. Sur ce point, nous sommes deuxièmes au niveau mondial, donc nous espérons qu’il n’y aura pas trop de tumultes et de turbulences au niveau des marchés financiers. Pour l’heure nous n’avons pas vraiment d’indication, mais il est clair que les marchés financiers deviennent de plus en plus nerveux et turbulents, les effets pour notre Place seront négatifs.
Comment l’Europe peut-elle se positionner dans ce rapport de force?
«Je pense que si les Européens doivent répondre de manière ciblée, il n’y aura pas vraiment de négociations possibles, alors on pourrait vite entrer dans un engrenage avec des tarifs, des contre-tarifs, des augmentations… Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous restons un peu optimistes et nous gardons de l’espoir. Puis au niveau des importations mondiales, les États-Unis constituent seulement 13% de toutes les importations. Donc il reste toujours 87% qui vont ailleurs. Je pense qu’il est important que l’Europe continue à se chercher d’autres partenaires, ce qu’elle fait déjà, et le Luxembourg aussi.
Et à la Chambre de commerce, quelle est votre position?
«Nous organisons beaucoup de missions économiques partout dans le monde. Il y a le Mercosur, une mission au Brésil, nous allons au Japon, on a des contacts au Canada, nous avons de bons contacts en Asie en général. Donc il existe d’autres opportunités bien que l’Amérique reste un partenaire majeur. Nous avons même des missions prévues en octobre aux États-Unis et nous ne voulons pas couper les ponts, car nous ne sommes pas contre les Américains.
Croyez-vous que Donald Trump soit capable d’aller encore plus loin ou peut-on craindre un effet domino avec une remise en question de certains autres accords commerciaux ou sectoriels?
«Difficile à dire. Il pourrait très bien revenir sur ces annonces la semaine prochaine. C’est un contexte complètement erratique et volatil. Mais nous espérons que la raison revienne! Parce que je pense que quand les Américains vont se rendre compte que c’est complètement contre-productif et que ce sont eux qui vont souffrir les premiers, peut-être qu’il y aura un changement. Les marchés réagissent plus vite, le dollar s’affaiblit. Mais il est très difficile de se projeter et de faire des pronostics.
La députée Corinne Cahen (DP) pense qu’il ne faut pas paniquer. Êtes-vous d’accord avec cela?
«Oui, oui. C’est aussi mon discours. Il ne faut pas paniquer bien que nous soyons face à un sujet sérieux et grave. Tout cela va faire perdre beaucoup d’argent à beaucoup de monde alors que nous en avons besoin pour investir dans l’intelligence artificielle, dans la défense, dans les écoles, dans les infrastructures, etc. Mais en tous cas, en Europe, je dirais qu’il faut rester calme, se préparer, envisager différentes mesures graduées en réponse.»