Vous avez quitté le Luxembourg en 2013. À l’époque, qu’est-ce qui avait motivé ce choix?
«À l’âge de 16 ans, j’ai pris la décision de partir en Angleterre pour y passer un bac international. J’ai grandi à Luxembourg-ville, où j’étais à l’école primaire puis à l’Athénée, jusqu’à après la classe de quatrième. J’étais une enfant plutôt timide, avec peu de confiance en moi. À 16 ans, je ressentais le besoin de sortir de ma zone de confort. Pourquoi l’Angleterre? Bonne question. En vérité, j’ai choisi une école plutôt qu’un pays ou une ville. L’école se trouvait à Oxford, une charmante petite ville à une heure de Londres, et les études se déroulaient sur deux ans. Tout le monde démarrait et finissait le cycle en même temps, on y dormait tous. Les débuts sur place ont été difficiles : le système scolaire était très différent et je ne connaissais personne. Cependant, j’ai rapidement trouvé mes marques et je me suis épanouie dans ce nouvel environnement. Aujourd’hui, je suis convaincue que partir à l’étranger fut la meilleure décision de ma vie. J’ai, depuis, vécu dans sept pays.
Dans le détail?
«Après l’Angleterre, je suis partie en Espagne pour un bachelor de quatre années durant lesquelles j’ai vécu six mois en Chine et six autres mois en Allemagne, pour des stages à Francfort et à Munich. Par la suite, j’ai travaillé en Suisse et en Belgique, et je suis donc maintenant en France, depuis 2022.
Pourquoi ne pas être restée en Angleterre après le bac?
«J’ai postulé dans des universités en Angleterre, mais aussi à l’étranger. L’IE University que j’ai rejointe en Espagne se distinguait par le fait qu’elle s’organisait par classes d’une trentaine d’étudiants, comme au lycée. Je m’y suis rapidement sentie à l’aise, davantage que je ne l’aurais été dans un amphithéâtre à l’atmosphère plus impersonnelle. Il y avait des projets pratiques, on créait par exemple des business plans. Je baignais dans une ambiance de culture américaine ou de vie d’université américaine, mais en Espagne, avec les avantages de l’Espagne: il y fait beau, les gens sont accueillants, la nourriture est bonne, le coût de la vie abordable…
Sans ces expériences internationales, seriez-vous la même professionnellement parlant?
«Certainement pas. La première étape en Angleterre m’a donné beaucoup de confiance en moi. J’ai peu à peu quitté la timidité qui était la mienne pour gagner en indépendance. Mais il y a eu des moments difficiles. En Chine, par exemple, je suis arrivée sans avoir d’adresse où dormir. J’ai contacté une personne sur WeChat, elle m’a fait visiter différents logements, c’était une situation assez lunaire. Le grand bénéfice, c’est que depuis mes 16 ans, j’ai découvert beaucoup de cultures différentes.
Partir vous a fait gagner du temps ?
«Je le pense. Et il ne faut pas oublier que j’ai commencé à travailler très tôt dans mon domaine et que j’ai donc déjà pu gagner pas mal d’expérience. Je suis encore jeune, mais j’ai acquis de la maturité. Mes séjours à l’étranger m’ont ouvert l’esprit et permis d’acquérir des compétences relationnelles et de l’adaptabilité, qui sont des avantages.

Carla Dupont: «Je rentre avec du Baamkuch après chaque voyage au Luxembourg.» (Photo: Hervé Thouroude)
Dans votre souvenir, la décision de quitter le Luxembourg avait-elle été difficile à prendre ?
«À l’époque, et à l’âge que j’avais, ce n’était certainement pas une décision facile. Je n’ai néanmoins jamais regretté mon choix de partir, et je garde un lien fort avec le Luxembourg, aussi bien d’un point de vue personnel que professionnel. J’ai gardé un pied au Grand-Duché et je siège depuis trois ans au conseil d’administration de Converginvest Capital Partners, un AIFM investissant dans des fonds de private equity.
Comment votre choix a-t-il été accueilli dans votre entourage familial ?
«Mes parents m’ont toujours soutenue dans ce que je faisais. Leur seule crainte reposait sur le fait que je risquais de perdre un grand atout qu’offre l’éducation luxembourgeoise qui est la maîtrise de l’allemand et du français. En définitive, mes séjours dans les différents pays m’ont permis de maintenir, voire d’améliorer mon niveau.
Vos premiers postes étaient situés à Bruxelles et près de Zurich. Les atours de Paris ont-ils pesé dans votre choix de vous y installer ?
«Le job a davantage importé que la ville où vivre. C’était une opportunité, j’avais envie de rejoindre IK Partners et d’être là où les choses se passent dans le private equity. Paris représente l’écosystème parfait pour créer le réseau dont j’ai besoin pour mon job. Ici, je quitte le bureau et j’ai plein de banques, plein de fonds, juste à côté. Les charmes de la ville sont un «plus», mais ce n’est pas décisif.
Comment avez-vous réussi à vous intégrer et à vous faire une place en arrivant à Paris ?
«J’ai eu la chance d’avoir déjà quelques amis ici, ce qui m’a énormément aidée dans mon intégration. Passionnée de sport, j’ai trouvé que c’était un excellent moyen de rencontrer des gens et de tisser des liens. Grâce à ces activités, j’ai pu élargir mon cercle social, et même commencer à construire un petit réseau professionnel. Enfin, Paris étant une ville intrinsèquement captivante, des amis me rendent fréquemment visite, ce qui me permet de rester proche de mon entourage tout en m’intégrant pleinement ici.
Quels défis avez-vous rencontrés en tant que Luxembourgeoise à l’étranger ?
«En tant que Luxembourgeoise, le multilinguisme est clairement un atout, mais cela s’accompagne de son lot de défis. J’ai toujours essayé de parler les langues locales, mais j’ai toujours un léger accent, ce qui est inévitable, et je suis toujours obligée de parler une langue qui n’est pas ma langue maternelle, ce qui, face à des équipes de direction, pouvait être intimidant. Cependant, avec le temps, j’ai réalisé que mes interlocuteurs n’y prêtent pas tellement attention, ils ont plutôt tendance à apprécier l’effort fait de s’exprimer dans leur langue. Cette prise de conscience m’a permis de gagner en assurance. Mais ce fut sans aucun doute l’un des plus grands obstacles que j’ai dû surmonter au début.
Quelles différences culturelles entre votre pays d’accueil et le Luxembourg vous ont le plus marquée ?
«Soyons honnêtes, on est bien plus proches de la culture française qu’on ne veut parfois l’admettre. Mais il y a quand même des choses avec lesquelles il faut apprendre à composer, comme les fameuses grèves — un véritable sport national ici ! Après un temps d’adaptation, je crois même avoir développé un petit talent pour râler moi aussi !
J’ai peu à peu quitté la timidité qui était la mienne pour gagner en indépendance.
Quelles recommandations donneriez-vous à un Luxembourgeois qui souhaite s’expatrier ?
«Honnêtement, si tu es jeune, fonce, et passe quelques années hors du Luxembourg ! C’est une expérience incroyablement enrichissante qui te permettra d’élargir tes horizons et de grandir sur tous les plans : culture, expériences, rencontres, débrouillardise… L’avantage, c’est qu’on a toujours cette porte ouverte pour revenir au Luxembourg. Alors autant en profiter pour découvrir autre chose avant.
Même si vous n’êtes pas au bout du monde, quelles sont les facettes de votre pays natal qui vous manquent le plus au quotidien ?
«Il y a des choses qui me manquent, comme par exemple la facilité de la vie quotidienne au Luxembourg. Ça peut paraître anecdotique, mais connaître tout le monde, du médecin au coiffeur, est un vrai luxe. Pas besoin de chercher longtemps, tout est à portée de main et c’est rassurant.
Et quelles sont les traditions et habitudes luxembourgeoises que vous avez conservées à l’étranger ?
«Je rentre avec du Baamkuch après chaque voyage au Luxembourg.

Carla Dupont: «les gens ont une vision plutôt positive de nous, notamment en raison de notre état d’esprit ouvert et cosmopolite, de notre capacité à parler couramment trois ou quatre langues.» (Photo: Hervé Thouroude)
Comment décrivez-vous le Luxembourg à vos interlocuteurs étrangers ?
«Le Luxembourg est un petit pays dynamique où tout le monde se connaît d’une manière ou d’une autre. Bien que nous soyons un petit territoire, nous avons une grande diversité culturelle et linguistique et une réelle dynamique, notamment sur le plan économique.
Quel regard votre entourage parisien porte-t-il sur le pays ?
«Bien sûr, j’entends toujours les mêmes blagues sur la taille du pays et tous les stéréotypes qui vont avec. Mais dans l’ensemble, je pense que les gens ont une vision plutôt positive de nous, notamment en raison de notre état d’esprit ouvert et cosmopolite, de notre capacité à parler couramment trois ou quatre langues.
Je vous pose la question différemment: selon vous, quelles idées reçues sur le Luxembourg mériteraient d’être rectifiées ?
«L’un des stéréotypes qui méritent d’être corrigés, c’est l’idée que le Luxembourg est un véritable paradis fiscal. Le Luxembourg est un pays au cadre fiscal stable et attractif, certes, mais cela ne signifie pas que les habitants et entreprises échappent à l’impôt. En réalité, nous sommes un pays particulièrement favorable aux entreprises, ce qui a été l’un des moteurs clés de notre économie et qui devrait être perçu de manière positive, car peu de pays ont réussi à créer un environnement aussi propice aux affaires.
Dans quelle mesure vous sentez-vous une ambassadrice du Luxembourg ?
«J’adore mon pays et je suis fière d’être Luxembourgeoise. Notre capacité à créer un environnement aussi international et inclusif est assez unique. Comparé à d’autres pays, nous sommes moins chauvins, j’y reviens, et cela se reflète dans la diversité de notre population et de nos échanges.
Comment votre exil a-t-il fait évoluer votre approche de votre identité luxembourgeoise ?
«Mon expérience à l’étranger m’a fait réaliser à quel point notre identité luxembourgeoise est unique.
Quel est votre regard sur le Luxembourg depuis Paris ?
«Je pense que le Luxembourg a une grande opportunité à saisir, surtout dans un contexte où certains pays traversent des turbulences, comme le Brexit au Royaume-Uni ou l’instabilité politique actuelle en France. Le Luxembourg pourrait devenir un pôle encore plus attractif pour l’industrie financière et d’autres secteurs clés. En tirant parti de ces défis externes, nous pourrions attirer les talents nécessaires pour stimuler davantage la croissance et renforcer notre position en tant que centre financier international de choix. Notre stabilité politique et notre environnement favorable aux affaires sont des atouts majeurs pour attirer des investisseurs et des professionnels du monde entier.
Sept destinations en 12 ans, nous rappeliez-vous tout à l’heure. Si vous aviez une baguette magique, quel est le point de chute que vous aimeriez ajouter à votre «palmarès» ?
«J’ai toujours eu l’envie de partir aux États-Unis. Mais il y a eu le Covid, cela a compliqué les choses. Sans compter la situation politique sur place à présent, qui ne m’attire pas énormément. Si je pouvais télétravailler toute l’année, j’opterais pour l’Afrique du Sud ! Hélas, je ne crois pas que ce sera possible (sourire).
Pourriez-vous revenir vivre au Luxembourg dans le futur ?
«Il ne faut jamais dire jamais !»
Citoyenne du monde
À 29 ans, Carla Dupont opère depuis 2022 à Paris au sein du fonds d’investissement IK Partners, en tant qu’associate director dans l’équipe d’investissement. Elle siège par ailleurs au sein de trois entreprises en France et en Angleterre. Auparavant, la jeune femme passionnée d’Hyrox, cette discipline conjuguant course à pied et crossfit, avait travaillé pour le compte de Cobepa, à Bruxelles, et chez Partners Group, en Suisse, non loin de Zurich. Après un bac international à Oxford, elle avait poursuivi ses études à l’IE University, en Espagne, où elle a décroché un bachelor en administration des affaires.
«Les journées ne se ressemblent pas»
«Je me suis toujours intéressée au private equity parce qu’on y a une vision de A à Z sur un projet. On ne se consacre pas uniquement à la partie juridique ou financière, on a aussi accès à la partie stratégique et la partie relationnelle», explique Carla Dupont, en poste depuis 2022 chez IK Partners, dans le huitième arrondissement parisien. «Étant dans un fonds généraliste, j’aborde plein d’industries différentes, ce qui fait que même si le métier reste le même, mes journées, elles, ne se ressemblent jamais», se réjouit-elle.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 mars. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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