La politique européenne finira par être totalement illisible si ce n’est pas déjà le cas, mais le compromis est un élément clé de l’ADN européen. Nouvel exemple: en même temps que l’UE freine des quatre fers sur la durabilité et les engagements sociétaux sous la pression des entreprises asphyxiées par la bureaucratie, elle devrait accélérer sur la lutte contre le contournement des mécanismes d’ajustement carbone aux frontières, qui coûte cher à notre champion national, ArcelorMittal, a dit le ministre de l’Économie, Lex Delles, lors du conseil Compétitivité auquel il a participé mercredi à Bruxelles, selon le communiqué de presse du gouvernement.
«Nous devons trouver des moyens plus simples et proportionnés pour atteindre nos objectifs politiques comme la décarbonation d’industrie et le respect des droits humains. Il ne s’agit pas de diluer ou de remettre en cause les objectifs, mais de permettre à nos entreprises de se focaliser sur l’essentiel en minimisant les paperasses», a lâché le ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme.
Le chef du gouvernement, Luc Frieden (CSV), ne s’est jamais caché de vouloir remettre le mot «compétitivité» à la une de l’ordre du jour de la politique européenne, pour assurer croissance et maintien du modèle social luxembourgeois. En janvier, aux vœux de la Fedil, le Premier ministre avait lui-même annoncé un gel de la transposition de la directive CSRD, histoire de répondre aux attentes des entreprises, pourtant assez peu concernées par les dispositions tandis que celles qui le sont étaient plutôt en bonne voie de répondre aux exigences du texte.
Soutien luxembourgeois à l’omnibus
«Nos entreprises ont besoin d’agir dans un environnement clair et simple, qui ne ressemble pas à un millefeuille de règles nationales divergentes. Il est temps d’utiliser pleinement la force du marché intérieur», a dit le ministre alors que les récents rapports Draghi ou Letta soulignent justement comment le marché intérieur… n’est pas si fort et qu’il faudrait travailler à sérieusement accélérer l’intégration.
Le ministre a souligné sans surprise le soutien du Luxembourg pour le paquet de mesures «omnibus» mis en avant par la Commission européenne, qui vise à simplifier les charges administratives et réglementaires prévues par plusieurs directives européennes, dont la directive «devoir de vigilance» et la directive sur les informations en matière de durabilité.
La situation actuelle de tarifs douaniers de part et d’autre de l’Atlantique est «regrettable» selon le ministre. Dans ce contexte, Lex Delles s‘est exprimé en faveur d’un soutien accru pour le secteur de la sidérurgie, déjà confronté à des surcapacités sur le marché mondial et une concurrence ardue: «Il est urgent d’agir contre le contournement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Attendre jusqu’en 2026 est trop risqué.»
Aligné sur Lakshmi Mittal et Eurofer
Derrière la phrase en apparence énigmatique se cache la reprise, à l’identique, de la position de Lakshmi Mittal, exprimée en fin d’année. «Il y a sept ans», disait le président exécutif d’ArcelorMittal début décembre, «j’ai plaidé en faveur de l’introduction d’une taxe carbone aux frontières, afin de garantir des conditions de concurrence équitables entre les producteurs industriels européens, qui supportent les coûts de la décarbonation, et les importations moins chères, qui n’en supportent pas les coûts. On pourrait donc penser que je suis satisfait qu’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ait été adopté par l’UE et soit actuellement en phase de test, sa mise en œuvre complète devant débuter en janvier 2026.»
Avant d’expliquer que «le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ne doit pas autoriser les importations d’acier en provenance de pays qui contournent les mesures de protection du climat en vendant en Europe à partir de quelques installations ‘propres’ tout en vendant leur acier à plus fortes émissions sur les marchés intérieurs et hors UE.»
En réalité, l’Union européenne prévoyait déjà au printemps 2023, il y a près de deux ans, d’«évaluer le risque d’un tel contournement dans tous les secteurs auxquels s’applique le présent règlement». Le règlement disait aussi: «La Commission européenne devrait surveiller les pratiques de contournement du présent règlement et y remédier, y compris dans les cas où les exploitants pourraient modifier légèrement leurs marchandises sans en altérer les caractéristiques essentielles, ou scinder artificiellement les envois, afin d’échapper aux obligations prévues par le présent règlement. Il convient également d’effectuer un suivi des situations dans lesquelles des marchandises seraient expédiées vers une région ou un pays tiers avant leur importation sur le marché de l’Union, dans le but d’échapper aux obligations prévues par le présent règlement, ou des situations dans lesquelles des exploitants situés dans des pays tiers exporteraient leurs produits à plus faible intensité d’émissions de gaz à effet de serre vers l’Union et réserveraient leurs produits à plus forte intensité d’émissions de gaz à effet de serre pour d’autres marchés, ou encore de la réorganisation, par les exportateurs ou les producteurs, de la configuration de leurs ventes ou de leur production ou de leurs circuits de vente et de production, ou de tout autre type de doubles pratiques de production ou de vente, mises en place dans le but de se soustraire aux obligations au titre du présent règlement.»
Selon l’Association européenne de l’acier, le prix du carbone dans l’UE a atteint environ 80 euros la tonne, tandis que plus de 25 millions de tonnes d’acier, soit environ 20% de la production européenne, sont importées chaque année de pays tiers sans aucun coût carbone.