Les stratégies de vaccination diffèrent d’un pays à l’autre. Par exemple, l’intervalle peut être plus ou moins long entre l’injection de la première et de la deuxième dose de vaccin. Mais quel est le bon choix? Selon le professeur Claude Muller, du Luxembourg Institute of Health (LIH), les campagnes de vaccination doivent avant tout s’adapter aux réalités de terrain, en permettant d’intervenir en priorité là où des cas de Covid-19 sont détectés. Alors que doivent ainsi être ciblées les maisons de soins où des personnes sont infectées. Ce qui, selon lui, n’est pas fait pour le moment.
La stratégie de vaccination varie d’un pays à l’autre, notamment au niveau de la durée de l’intervalle entre les deux doses. Qu’est-ce qui explique ces différents choix?
Claude Muller. – «Si on prend, par exemple, le vaccin Pfizer, selon les recommandations du laboratoire, il faut une deuxième dose trois semaines après la première, ce qui correspond à la durée utilisée lors de la troisième phase des études cliniques. Il s’agissait d’un choix relativement normal et attendu, basé sur d’autres vaccins et sur l’expérience immunologique.
Mais du point de vue immunologique, ce serait possible d’allonger l’intervalle jusqu’à six semaines, car il y a peu de raisons de croire que cet intervalle soit moins bien que celui de trois semaines.
Le Royaume-Uni a décidé un intervalle de trois mois. Cela ne risque-t-il pas de diminuer l’efficacité du vaccin?
«Sans données supplémentaires, trois mois me semblent peut-être un peu longs. Mais ce n’est pas une décision sans base scientifique. Et ce n’est pas étonnant: en immunologie, la réponse peut même être meilleure si on augmente l’intervalle.
Quels sont les avantages d’un tel choix?
«Cela rend la logistique plus facile à gérer, tout en donnant la possibilité de protéger plus de personnes plus rapidement, même si la protection reste moins bonne après la seule première dose. Cependant, pour le vaccin Pfizer, la protection est déjà très bonne deux semaines après la première dose.
Le Luxembourg reste sur un intervalle de trois semaines. Pour quelles raisons?
«Au Luxembourg, ce sont les juristes qui prennent une telle décision, à partir de la recommandation de la firme, qui est de 21 jours. En réalité, c’est aux immunologues ou aux vaccinologues de prendre une telle décision. Selon la situation épidémiologique sur le terrain, il est possible, et peut-être même indiqué, d’adapter la stratégie de vaccination.
Selon la situation épidémiologique sur le terrain, il est possible, et peut-être même indiqué, d’adapter la stratégie de vaccination.
Faut-il plus de flexibilité par rapport à de tels intervalles?
«Absolument. Le principe est qu’à l’intérieur des phases, il faut vacciner en priorité les personnes infectées et les cas contacts avant de les envoyer en isolation ou en quarantaine, et ceci sans suivre des schémas bureaucratiques selon l’alphabet ou d’autres indicateurs. La vaccination interventionnelle doit devenir l’outil favori en cas d’éruptions épidémiques dans les mois et années à venir.
Et, dans cette situation, si on veut éviter que le virus ne continue d’infecter d’autres personnes, la vaccination doit être effectuée avec une cadence rapide, 24h/24 et 7j/7. Au Luxembourg, une vaccination dure de 15 à 20 minutes, ce qui est trop long.
En ce moment, alors que nous sommes toujours dans la première phase de la campagne de vaccination, comment cela se matérialiserait-il?
«L’important est de vacciner prioritairement les maisons de soins qui sont infectées par le virus. Par exemple, la semaine dernière, sur les 54 maisons de soins, 14 ont signalé au moins un cas de Covid-19. Ce qu’il faut faire dans ce cas, c’est intervenir immédiatement pour vacciner tous les résidents et tout le personnel. Il est tout à fait raisonnable de s’attendre à un effet protecteur quelques jours après la première dose, même si cela ne reste efficace que contre des complications graves, qui nécessiteraient des soins intensifs.
L’important est de vacciner prioritairement les maisons de soins qui sont infectées par le virus.
Pourtant, à l’heure actuelle, alors même qu’il n’y a pas de problème avec la quantité de vaccins, ce n’est pas fait. Or, c’est inacceptable de ne pas prioriser les structures qui ont des cas de Covid-19.
Si on vaccine dans les maisons de soins avec les premières doses, cela peut mener à une situation où il y aura peut-être un intervalle plus grand entre les deux doses. Mais cela reste acceptable d’un point de vue santé publique, et cela est même indiqué. C’est un petit prix à payer pour protéger les résidents vulnérables des maisons de soins.
Certaines expériences préconiseraient l’utilisation de deux doses de vaccins différents. Cela vous paraît-il envisageable?
«Cela n’a rien d’extraordinaire. En tant qu’immunologue, je ne vois pas d’inconvénient à combiner différents vaccins. Que la première dose soit avec un produit et la dose suivante avec un autre est tout à fait possible, selon les nécessités du terrain.
Je ne vois pas d’inconvénient à combiner différents vaccins.
Si on réfléchit comme un juriste, on ne peut pas les combiner, car les études ont été faites à partir de produits qui ne l’ont pas été. Mais les firmes, elles, sont plus rapides et commencent déjà à combiner différents vaccins sur base de réflexions scientifiques. Et pour cause: on peut s’attendre à une réponse immunologique encore plus robuste avec des régimes ‘prime-boost’, comme le vaccin russe, qui contient ainsi deux vecteurs différents. C’est pourquoi, d’ailleurs, les firmes se mettent ensemble pour combiner leurs vaccins: AstraZeneca fait ainsi des études avec le vaccin russe Spoutnik.
Quelles sont les conséquences de l’arrivée de nouveaux variants du Covid-19 sur l’efficacité des vaccins?
«Les trois vaccins que nous avons actuellement – Pfizer-BioNTech, Moderna et AstraZeneca – fonctionnent contre le variant britannique. De manière générale, la protection existe encore contre le variant sud-africain, quoiqu’à un niveau réduit. Et pour le variant brésilien, c’est peut-être encore plus problématique, car il semble encore moins bien neutralisé par les vaccins.
Il y aura d’autres variants, et certains contre lesquels les vaccins actuels ne fonctionneront plus.
Faut-il s’en inquiéter?
«Chaque virus a sa propre cadence de mutation. Et les virus à ARN, comme le Covid-19, sont plus propices à en acquérir. Il y aura d’autres variants, et aussi certains contre lesquels les vaccins actuels ne fonctionneront plus.
Mais les vaccins à ARN messager (ARNm) sont très flexibles, et peuvent être adaptés en quelques semaines. Reste la nécessité de les produire en quantité. Je suis certain qu’on aura à l’avenir un cocktail de vaccins qui pourra contenir plusieurs, ou même une multitude d’ARNm dirigés contre différents variants.
Cela donne l’impression que ce virus est amené à rester…
«Du moment qu’on a un niveau de vaccination élevé, fonctionnant contre les variants qui circulent à proximité, alors, la vie sera normale. Sachant que cela sera susceptible de changer dès le moment où il y aura des variants contre lesquels le vaccin ne protègera plus. Mais, même dans ce cas-là, on peut tout de même s’attendre à ce que les vaccins offrent une protection partielle, ce qui permettra de diminuer le nombre de cas graves.
Mais oui, le Covid-19 va nous occuper encore longtemps. Ce qui n’est pas nouveau: c’est le cas avec le VIH, la grippe saisonnière, les virus H5N1, 2, 3, et 8, qui sont hautement pathogènes et circulent partout...»