Francelle Cane et Marija Marić, les commissaires de l’exposition pour le pavillon luxembourgeois à la Biennale de Venise 2023. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Francelle Cane et Marija Marić, les commissaires de l’exposition pour le pavillon luxembourgeois à la Biennale de Venise 2023. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Francelle Cane et Marija Marić sont les commissaires de la prochaine exposition «Down to Earth» pour le pavillon luxembourgeois à la Biennale de Venise en 2023. Elles expliquent leur approche de cette exposition et son développement à venir.

Quels sont vos parcours respectifs et comment vous êtes-vous rencontrées?

Marija Marić. – «Je suis architecte et chercheuse. Je travaille comme post-doc et chercheur associé pour le Master en Architecture à l’Université du Luxembourg. Je viens de Serbie et ces dix dernières années j’ai vécu dans différentes villes en Europe: Vienne, Zurich, Frankfort et en avril 2021 je suis arrivée au Luxembourg pour travailler à l’Université. C’est là que j’ai rencontré Francelle qui est aussi impliqué dans le master en Architecture, et on a travaillé sur différents projets ensemble, dont la Biennale de Venise et une plateforme émergente appelée . Mon travail est centré sur la question de l’architecture, de l’immobilier et des ressources. Mon doctorat observe le rôle de l’immobilier comme stratégie média dans la production des villes et des infrastructures urbaines. Je partage cet intérêt pour le langage et la fiction avec Francelle.


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Francelle Cane. – «En ce qui me concerne, je suis aussi architecte et je viens de France. J’ai étudié à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles et à la TU à Berlin. Puis j’ai déménagé à Bruxelles où j’ai pris part à la préfiguration de Canal Centre Pompidou avec le CIVA. Cela a été pour moi la première occasion d’être en contact avec le métier de commissaire d’exposition, mais aussi du travail de publication. J’ai réalisé que c’était une approche de l’architecture que je voulais développer plus profondément. Et c’est ainsi que j’ai intégré Bozar en tant que commissaire indépendant, mais travaillant principalement pour cette institution.

Maintenant je fais mon doctorat à l’Université du Luxembourg. Ce qui nous a amené à collaborer est aussi le fait que Marija a cette connivence avec la recherche académique et que de mon côté j’ai cette expérience de la recherche pour l’exposition, ce qui n’est pas tout à fait la même chose et qui se complète bien pour les besoins d’une exposition à la Biennale de Venise.

Marija Marić, lors de l’interview. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Marija Marić, lors de l’interview. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Vous êtes donc toutes les deux plus attirées par une approche de recherche sur l’architecture que par la pure pratique.

M.M. – «Nous voyons toutes les deux notre pratique à la croisée de la recherche et de l’architecture. C’est une vision très large des manières de faire l’architecture. Francelle est chercheuse et commissaire, et ma pratique n’est pas limitée au domaine académique. Nous sommes toujours à la recherche des frictions et connexions entre la recherche et la pratique.

Nous cherchons aussi à impliquer le public de différentes manières. Je n’ai que peu d’expérience en pratique curatoriale, mais je peux dire que la façon dont Francelle et moi abordons la manière de faire les expositions est semblable. C’est-à-dire que nous ne considérons pas l’exposition uniquement comme une représentation de formes, mais aussi comme un outil pour le partage de savoir, un espace à occuper par différents dispositifs, pensées, informations, questions… Cette approche représente notre manière de faire de la recherche, dans toutes les différentes formes d’expression possible. L’exposition est une de ces formes d’expression.

Comment vous êtes-vous emparé du sujet général de la biennale, dont le commissariat général a été confié à Lesley Lokko et qui a choisi comme thème «Laboratory of the Future»?

M.M. – «Pour être tout à fait franche avec vous, quand nous avons imaginé le projet pour le pavillon luxembourgeois afin de répondre à l’appel à projets, le thème de la Biennale n’était pas encore dévoilé. C’est une situation qui arrive pour plusieurs pavillons nationaux de la Biennale, pas seulement pour le pavillon luxembourgeois, car ce sujet général arrive très tard dans le processus de la Biennale. Nous avons eu en fait beaucoup de chance que notre sujet corresponde aussi bien au sujet choisi par Lokko.

Pouvez-vous nous en dire plus alors sur votre projet «Down to Earth» qui sera présenté dans le pavillon luxembourgeois?

M.M. – «Nous travaillons sur la question des ressources de l’espace (Space mining). Nous voulons traiter ce sujet de manière à la fois tangible et intangible. C’est pourquoi nous avons choisi de parler de la lune, car on introduit d’une certaine manière une fiction dans nos imaginaires, étant donné que ce n’est pas un site sur lequel on peut se rendre facilement. Nous considérons les ressources comme les bases, les fondations qui peuvent nous mener vers l’architecture et les éléments tangibles. Luxembourg est un acteur important dans ce domaine de l’exploitation et de l’utilisation des ressources de l’espace. Nous avons le plus gros investissement per capita dans ce domaine et l’industrie de recherche dans ce domaine est aussi très puissante.

Luxembourg est donc un acteur économique qui compte dans cette industrie, mais en même temps le sujet est partagé par beaucoup d’autres acteurs et dépasse les frontières. Pour nous, ce sujet est un point d’entrée intéressant qui est à la fois un point de discussion spécifique à Luxembourg, mais qui reste universel et partagé par plusieurs pays et qui peut donc intéresser le public très divers qui fréquente la Biennale. Le dernier point qui nous a fait choisir ce sujet est qu’il retient beaucoup l’attention des médias, tout particulièrement en ce moment. On a pu assister à une sorte d’explosion de cette thématique. Nous sommes persuadées que c’est le bon moment d’approcher ce sujet de manière plus complexe, de le regarder de manière critique pour mieux comprendre ce que cela signifie pour l’espace et la terre, mais aussi au-delà.

Francelle Cane, lors de l’interview. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Francelle Cane, lors de l’interview. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Savez-vous déjà quelle forme cela va prendre dans l’exposition?

M.M. – «Pour être franche, pas encore, et nos idées continuent d’évoluer et nous sommes actuellement dans une phase de recherche très intense.

F.C. – «Nous allons aussi à Venise ces prochains jours justement pour voir le lieu et concevoir plus précisément la forme de la présentation.

Qui sont les personnes avec qui vous vous entretenez actuellement?

F.C.: «Nous rencontrons les acteurs importants du Space mining au Luxembourg ainsi que les personnes impliquées dans le Space ressources utilisation.

M.M. – «En parallèle, nous essayons également de nous entretenir avec des acteurs importants ailleurs qu’au Luxembourg, car pour parler du Space Mining, il faut que nous ayons une idée précise de ce qu’est la discussion à l’échelle globale, et pas seulement locale. Notre scénario idéal serait de donner la parole à différentes personnalités aux horizons géopolitiques variés, qui pourraient venir de Chine, d’Afrique, d’Inde… Cela pour ne pas travailler qu’avec des personnes liées à l’Europe de l’Ouest. Nous veillons aussi à ne pas avoir qu’un discours institutionnel, mais aussi à donner la parole aux chercheurs, artistes ou différentes communautés qui sont organisées autour de ce sujet. Notre objectif est de souligner la complexité de ce sujet en donnant la place à ces différentes narrations et voix.

Nous voulons proposer notre exposition comme un outil de réflexion.
Marija Marić

Marija Marićcurator

 Est-ce que vous n’allez que retransmettre ces paroles, ou est-ce que vous allez aussi travailler avec d’autres types de matériels?

F.C. – «À Venise, le public est très large et nous sommes bien conscientes que nous ne sommes qu’un pavillon parmi beaucoup d’autres. Ce sont des éléments que nous devons bien entendu aussi prendre en compte. Il ne faut pas surcharger les expositions. Par ailleurs, nous prenons aussi en considération le fait que l’exposition doit revenir au Luxembourg pour y être présentée et doit donc aussi interpeler le public luxembourgeois. Quand on regarde ces deux facettes, nous devons vraiment développer une exposition qui s’adresse à l’audience la plus large possible.»

M.M. – «Dans nos recherches, nous voulons aller aussi loin que possible. Nous recherchons des photographies, des archives, des histoires, des interviews… Nous recherchons la vue la plus large possible, en partant d’un point de départ local et de l’ouvrir le plus loin possible. Notre rôle en tant que commissaire sera de trouver le bon moyen de traduire et transmettre toutes ces recherches et ces informations complexes et diverses en un dispositif digeste, sans tomber dans un travers simpliste.

Nous voulons proposer notre exposition comme un outil de réflexion. Les personnes qui viendront voir notre exposition pourront y rester 10 minutes ou deux heures, mais à chaque fois, elles trouveront les informations nécessaires pour leur compréhension du sujet et de notre approche. Notre challenge curatorial tient dans ce juste équilibre. Et bien entendu, nous ne devons pas perdre de vue le calendrier, puisque l’ouverture est prévue pour mai. Nous devons être tout à fait réalistes par rapport à ce que nous pouvons mettre en place.

Pouvez-vous compter sur l’apport scientifique des différents départements de l’Université du Luxembourg?

M.M. – «Nous sommes en effet en contact avec différents départements de l’Uni. Notre département travaille au quotidien déjà dans cet esprit de collaboration, donc cela est assez facile et intuitif pour nous. Nous avons cette interdisciplinarité déjà intégrée dans notre environnement immédiat. L’Université du Luxembourg a aussi un programme de Space research. Nous avons donc déjà contacté plusieurs de ces acteurs importants et nous sommes en attente de nos entretiens et échanges avec eux. Nous sommes très impatientes de pouvoir parler plus précisément avec eux et de parler de leur expertise, et qu’ils partagent aussi avec nous leurs histoires et leurs visions du passé, présent et futur de ce sujet.»

«Down to Earth» à la , du 20 mai au 26 novembre 2023