Le directeur de Google Belgique et Luxembourg tente de dissiper les peurs autour de la digitalisation de la société dans un livre. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/archives)

Le directeur de Google Belgique et Luxembourg tente de dissiper les peurs autour de la digitalisation de la société dans un livre. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne/archives)

Thierry Geerts, directeur général de Google Belgique et Luxembourg, a publié le livre «Homo digitalis» dans lequel il tente de surmonter les peurs autour de la digitalisation.

Sur la couverture du livre, on peut lire «Comment la digitalisation nous rend plus humains». Pourtant, l’intelligence artificielle supprime des emplois, tout comme les machines. Le digital isole parfois les plus jeunes. Donc comment la digitalisation peut-elle nous rendre plus humains?

Thierry Geerts. – «Le but du livre est de montrer que la digitalisation peut rendre le monde plus humain. Pour cela, il faut prendre les rênes des technologies. Si vous utilisez votre téléphone en permanence et que vous ne parlez plus à votre famille, évidemment, cela ne va pas vous rendre plus humain. Par contre, il y a de nombreux exemples qui montrent que le digital peut rendre plus humain. Depuis le début de la pandémie, je peux travailler à distance. Cela m’a permis de gagner deux heures que je passais auparavant dans ma voiture. Cela m’a permis de soigner ma santé en dormant une demi-heure de plus tous les jours, d’être une heure de plus à la maison avec ma famille et de faire quelques formations pour mon développement personnel.

Pour autant, la technologie reste quelque chose qui fait peur. L’intelligence artificielle et le digital remplacent l’humain dans certains métiers…

«Prenons l’exemple du cancer du sein. Avec la mammographie traditionnelle, un tiers des diagnostics sont faux ou le radiologue passe à côté des toutes petites tumeurs. Avec l’intelligence artificielle, on arrive à une exactitude de 98% des diagnostics. Est-ce que cela remplace le travail du radiologue, la réponse est non. Il devra toujours être là pour prendre la radio. C’est le cas dans tous les métiers. Prenons un comptable qui encode des factures tous les jours. Ce n’est pas très agréable et il peut y avoir des erreurs. L’intelligence artificielle peut faire cette partie à la place du comptable, qui lui peut se concentrer sur son vrai travail de comptabilité. Dans le contexte pandémique, la vidéo a fait que nous sommes restés en relation avec nos proches, même les plus éloignés. Cela dit, cela me manque tout autant que vous d’aller au restaurant avec mes amis. La technologie est un moyen et non un but en soi. Le moyen doit être sous contrôle de l’être humain. Et pour cela, on ne doit pas en avoir peur. Car, avec la peur, on devient généralement mauvais dans la gestion des risques.

Il est tout à fait humain aujourd’hui d’avoir peur de la digitalisation.
Thierry Geerts

Thierry GeertsdirecteurGoogle Belgique et Luxembourg

Effectivement, il y a de belles histoires grâce au digital, mais il reste pourtant une réelle peur envers le digital, la gestion des données, etc.

«C’est tout à fait humain d’avoir peur. Au début, on a eu peur de l’électricité ou encore du chemin de fer. Donc il est tout à fait humain aujourd’hui d’avoir peur de la digitalisation, de l’intelligence artificielle et de l’impact des réseaux sociaux. C’est normal. Maintenant, on a vu dans le passé que la seule façon d’avancer en tant qu’humanité est de maîtriser ce genre de choses. On a maîtrisé l’électricité. Aujourd’hui, si on ne met pas le petit cache en plastique sur la prise, l’électricité reste dangereuse, mais on sait ce qu’il faut faire. La digitalisation, c’est la même chose. Pour revenir à l’utilisation des données, on oublie de dire aux consommateurs et citoyens qu’ils sont bien protégés en Europe au niveau de ces données. Le problème, c’est que la loi RGPD est imprononçable. Aucun citoyen n’est capable d’énoncer la loi. Pourtant, elle est excellente, et les données sont hyper protégées et l’on ne peut pas faire ce que l’on veut avec les données de quelqu’un. J’ai écrit ce livre justement, car on n’arrête pas de faire peur aux gens, de dire que c’est dangereux, etc. Alors que ça coûte 4 milliards d’euros d’amende si on utilise mal les données d’une personne. Dans le cas de Google, on a été transparent, et un utilisateur peut aller dans l’onglet «Mon compte» pour aller voir ce que Google utilise comme données, et l’utilisateur peut décider d’enlever, par exemple, la géolocalisation. Il y a plus d’un milliard de personnes qui l’ont utilisé, on ne l’a pas caché dans un endroit compliqué et inaccessible.

Dans ce livre, vous parlez de la neutralité du digital. Pourtant, les entreprises digitales ne sont pas neutres. Qu’avez-vous voulu dire par là?

«La technologie en tant que telle est neutre. Les applications qui sont conçues par les entreprises et les organisations ne sont pas neutres. Elles ont une responsabilité. Clairement, Google n’est pas neutre dans ses produits, mais l’on a la responsabilité que les applications soient inclusives, qu’elles soient produites pour des hommes et des femmes, accessibles à des personnes moins valides, que les produits ne contiennent pas de contenus agressifs, etc. Quand vous utilisez un produit de Google, ce dernier est responsable du produit. Donc je n’enlève pas la responsabilité de Google. Il y a une responsabilité de l’individu, de l’entreprise et du gouvernement. Pour autant, le digital reste neutre. Prenons l’exemple de la visioconférence. On peut faire du Google bashing en utilisant Meet, et la vidéo ne va pas s’arrêter. La vidéo, la technologie sont totalement neutres par rapport à ce que l’on raconte. Je ne dis pas que les applications sont neutres, mais la technologie est bien neutre, et c’est ce que j’explique dans le livre. Pour reprendre l’exemple de l’électricité, elle est neutre, mais ce que l’on en fait, c’est autre chose.

On est favorable à une révision des impôts en général.
Thierry Geerts

Thierry GeertsdirecteurGoogle Belgique et Luxembourg

Dernière les données et la digitalisation, il y a les data centers, qui sont l’aspect physique du digital. Google envisage d’en implanter un à Bissen au Luxembourg. Où en est le projet?

«La réponse est relativement simple. On est heureux de la façon dont le projet progresse. Il y a des procédures à suivre et on est en train de les passer étape par étape. Il y a des dialogues qui se mettent en place. Il y a un certain nombre de processus à suivre, et c’est ça la démocratie. Je ne peux rien dire de plus.

La taxation du numérique est également un sujet qui préoccupe plusieurs pays. Est-ce que Google est favorable à une nouvelle taxation sur ses activités?

«On est favorable à une révision des impôts en général. On travaille avec l’OCDE pour réviser le système des impôts. Mais je crois que viser le numérique est un mauvais débat. On entend ce message de volonté de taxer le numérique, car c’est quelque chose de mauvais et donc qu’il faut taxer. Alors que ce n’est pas du tout le cas et qu’au contraire, il faut que de plus en plus de sociétés, notamment au Luxembourg, développent des projets digitaux. Au lieu de vouloir taxer le digital et donc les entreprises, nous sommes plutôt favorables à une rénovation du système de taxation internationale parce qu’il y a des défauts par rapport à des sociétés internationales qui peuvent payer plus ou moins d’impôts. On le dit et on le répète, on est en faveur de payer des impôts en Europe.

Vous êtes le directeur de Google Belgique et Luxembourg. Quel regard portez-vous sur le Grand-Duché?

«Le Luxembourg fait partie de ces neuf pays avancés avec des gouvernements très portés sur le digital. D’ailleurs, le Premier ministre est en charge de la digitalisation, ce qui est un avantage contrairement à d’autres pays, qui nomment un ministre pour s’en occuper, alors que la digitalisation est partout. Je crois que l’on aurait intérêt à faire fonctionner ces neuf pays ensemble pour que l’Europe comprenne mieux cette dynamique du digital, car l’Europe n’a pas cette vitesse dont disposent ces petits pays en question, alors qu’elle a toujours été au premier plan des révolutions technologiques. Ce sont des pays comme le Luxembourg, la Belgique et les pays scandinaves qui vont pouvoir imposer cette façon de penser à l’Europe, pour que ce soit une régulation et une structure positives et constructives par rapport à ces changements de société. Par contre, ce qui est un peu inquiétant au Luxembourg, c’est que les PME luxembourgeoises semblent avoir du mal à prendre le train de la digitalisation, alors que les grandes entreprises ont opéré un énorme virage digital. Mais, dans les PME, il y a encore beaucoup de conservatisme.

Référence du livre: Thierry Geerts, «Homo digitalis – Comment la digitalisation nous rend plus humains». Aux Éditions Racine.