Comment se traduit le mouvement de consolidation de l’activité de banque privée au Luxembourg?
. – «Le mouvement de consolidation constaté actuellement sur le marché de la banque privée en Europe n’est pas nouveau. Si l’on évoque l’activité au Luxembourg, on constate en effet que le nombre d’acteurs bancaires proposant des services de gestion de fortune tend à diminuer. Cependant, le volume d’actifs sous gestion continue, lui, d’augmenter, confirmant l’attrait de la place financière dans le domaine de la gestion de fortune. La sophistication des services proposés répond aux attentes d’une clientèle dont l’empreinte financière est plus importante et qui vient chercher au Luxembourg une expertise poussée.
Si l’on regarde les opérations de fusion et acquisition qui ont eu lieu ces dernières années, il est toutefois difficile de faire des généralités. On a notamment vu des acteurs nordiques quitter le Luxembourg pour se recentrer sur leur marché. D’autres institutions étrangères ont eu tendance à renforcer leurs activités localement, comme UBS, Julius Baer ou UBP. Tandis que certains, dans le cadre du Brexit, ont cherché à acquérir une structure à Luxembourg afin d’y implanter leur activité et la développer. Avec la fusion de Credit Suisse et UBS, nous observons une nouvelle forme de consolidation sur la Place, car les activités de banque privée au Luxembourg devraient logiquement être combinées.
Quels sont les principaux facteurs qui conduisent à des opérations de fusion et acquisition dans le domaine de la banque privée?
«Le principal facteur, en la matière, est certainement le coût réglementaire associé à la conduite d’une activité bancaire, qui a tendance à augmenter année après année. Les exigences en matière de lutte anti-blanchiment (AML), de protection des investisseurs (Mifid) ou celles relatives au niveau de capitalisation des acteurs ne font que croître. Tout cela entraîne des coûts fixes de plus en plus élevés. Cette tendance, malgré un principe de proportionnalité liée à la taille et à l’activité de chaque acteur, a un impact plus important chez les petits acteurs. Pour justifier de tels coûts, il faut donc atteindre une certaine taille critique.
D’autre part, d’un point de vue plus macroéconomique, en raison de l’environnement de taux d’intérêt bas dans lequel évoluaient les acteurs de la banque privée ces dernières années, le faible niveau de marge a aussi poussé les acteurs à chercher à réaliser des économies d’échelle. Évidemment, cela change actuellement avec l’augmentation des taux d’intérêt.
Y a-t-il des particularités luxembourgeoises si l’on évoque ce mouvement de consolidation du marché?
«Au Luxembourg, ce mouvement de consolidation a aussi été induit par une évolution des modèles d’affaires, suite à la modulation du secret bancaire. La clientèle et ses attentes ont changé. Pour rester pertinent sur le segment de la banque privée, il faut pouvoir apporter un niveau de sophistication, développer une offre à valeur ajoutée, ce qui implique des investissements parfois conséquents ou l’adoption de nouvelles plateformes. Tout cela ne se justifie que si l’on atteint une certaine taille critique.
Pour rester pertinent sur le segment de la banque privée, il faut développer une offre à valeur ajoutée, ce qui implique des investissements parfois conséquents ou l’adoption de nouvelles plateformes.
Ce mouvement de consolidation, déjà significatif ces dernières années, est-il appelé à se poursuivre?
«Oui. Même si, il faut le reconnaître, le nombre d’acteurs est déjà, à ce jour, limité. Toutefois, les banques privées qui souhaitent continuer à se développer cherchent à étendre le volume d’actifs sous gestion en saisissant les opportunités d’acquisition qui se présentent. Ce qui intéresse ces acteurs, à travers de telles opérations c’est avant tout les relations clients qu’ils peuvent aller chercher et les actifs qui sont associés à chacune d’elles. Plus qu’un transfert d’actions, ils visent avant tout l’acquisition de nouveaux actifs à gérer.
Autrement dit, ce que l’on valorise dans le cadre d’une opération de consolidation, ce sont avant tout le client et ses actifs?
«Oui, même s’il ne faut pas non plus faire de généralités, car chaque transaction a ses particularités. Ainsi, pour des acteurs qui n’ont pas encore de structure juridique avec une licence bancaire au Luxembourg ou qui sont avant tout des investisseurs financiers, l’acquisition d’une entité pleinement opérationnelle est essentielle.
À quels éléments faut-il être attentif pour les mener à bien?
«L’un des premiers enjeux est de déterminer la nature de la transaction. L’opération se traduit-elle par l’acquisition d’actions, auquel cas c’est toute la structure bancaire qui passe dans le giron de l’acquéreur, ou se limite-t-elle à un transfert d’actifs? Un autre aspect particulièrement critique a trait à la responsabilité vis-à-vis des risques du passé. À cet égard, si certains risques sont connus et font, le cas échéant, l’objet d’un litige en cours, d’autres pourraient survenir au-delà de la transaction. On peut évoquer le cas d’une promesse de rendement non tenue et qui peut donner lieu à une demande d’indemnité de la part d’un client. Il peut aussi s’agir de sanctions infligées par la CSSF pour des manquements qui ont parfois eu lieu il y a trois ou quatre ans. Dans le cadre d’acquisitions, il est important de tenir compte de ces risques.
Dans la mesure où c’est le portefeuille de clients qui est principalement valorisé dans le cadre de telles transactions, comment s’assurer que ceux-ci feront le choix de rester fidèles à l’acquéreur?
«C’est un autre enjeu dont il faut tenir compte. Dans le domaine de la banque privée, les clients fortunés sont avant tout attachés à la relation qu’ils entretiennent avec leur relationship manager. Dans le cadre de la négociation, il faut veiller à ce que les employés, du moins les personnes-clés, adhèrent au projet et disposent de perspectives attrayantes dans le nouvel environnement qui leur est proposé. Il faut s’assurer que les personnes restent.
Dans le domaine de la banque privée, les clients fortunés sont avant tout attachés à la relation qu’ils entretiennent avec leur relationship manager.
Qu’en est-il des aspects techniques?
«La migration des données ou l’intégration des systèmes d’information constituent à chaque fois un chantier particulièrement complexe qu’il ne faut pas sous-estimer. Les banques s’appuient sur des plateformes technologiques différentes. Si l’enjeu est d’accéder à des économies d’échelle, à travers une rationalisation des systèmes, il faut pouvoir évaluer les implications techniques d’un tel projet et les coûts associés. Enfin, il ne faut pas négliger le volet réglementaire lié à un projet de fusion ou d’acquisition.
Combien de temps faut-il pour mener de telles opérations?
«Il faut considérer plusieurs temps. D’abord, il y a celui de la réflexion dans le chef du cédant. Celui-ci peut s’étendre sur plusieurs semaines, plusieurs mois, voire plusieurs années. La décision de vendre une activité s’inscrit dans une vision stratégique globale, à long terme. Au-delà, il y a le temps du lancement de la transaction. Il s’agit alors de préparer le dossier, de rassembler les documents, de définir une stratégie de vente. Cette étape peut prendre plusieurs semaines.
Elle doit permettre d’entamer la discussion avec les potentielles parties intéressées. La négociation, à ce niveau, s’étend sur trois ou quatre mois avant de pouvoir signer un engagement. Enfin, il y a le temps de l’autorisation réglementaire, qui dure généralement environ 6 mois. De telles opérations, vous l’aurez compris, s’envisagent sur une période de 9 à 12 mois.
Si l’on regarde vers l’avenir, quelles tendances du marché pourraient avoir des impacts sur ce mouvement de consolidation?
«Le métier change, notamment avec l’intégration de la technologie au cœur de la relation client. Le modèle actuel de la banque privée pourrait évoluer, même si, à l’heure actuelle, les acteurs de ce segment ne semblent pas miser beaucoup sur les technologies de robo-advising ou encore sur l’intelligence artificielle. La relation humaine reste au cœur du modèle. C’est à ce niveau, dans la confiance que le client place dans sa banque, que la valeur du banquier demeure. Il reste cependant difficile de dire comment le numérique pourrait bousculer ces codes. L’automatisation pourrait notamment faciliter l’accès à des services de gestion de fortune, réduisant le spectre de ce qui relève effectivement de la banque privée. Le souhait des clients d’accéder à des actifs alternatifs, d’autre part, est une autre tendance-clé, dont il faut tenir compte. Au Luxembourg, où l’industrie des fonds développe une expertise poussée dans ce domaine, il est intéressant d’envisager le renforcement des synergies entre les gestionnaires d’actifs alternatifs et le monde de la banque privée.»
Moins de «petites» banques
Selon la dernière étude menée par KPMG à la demande du Private Banking Cluster de l’ABBL sur la performance des acteurs de la banque privée au Luxembourg, ce processus de consolidation a surtout concerné les petits acteurs – c’est-à-dire les banques dont les actifs sous gestion sont inférieurs à 5 milliards d’euros –, dont le nombre a plus que diminué de moitié depuis 2015, passant de 45 à 21, tandis que le nombre de banques moyennes et grandes est resté relativement stable ou a augmenté, probablement aussi parce que certaines d’entre elles ont acquis des entités plus petites.
Les raisons de ce mouvement? Selon l’étude, c’est une réponse à la hausse continue des coûts de fonctionnement d’une banque privée au cours des dernières années et aux défis auxquels les banques sont confrontées, plus onéreux que simplement exigeants: la pression réglementaire continue, la course à l’amélioration des systèmes informatiques existants pour les adapter à l’ère numérique, la guerre des talents sur un marché du travail extrêmement tendu, la concurrence introduite par de nouveaux entrants, peut-être plus agiles, dans le secteur bancaire et non bancaire – pour n’en citer que quelques-uns.
Cette interview a été rédigée pour le supplément de l’édition de parue le 29 mars 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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