Désirée Nosbusch: «C’est un truc positif au Luxembourg: tu es observée, mais on te laisse faire. Cela n’a pas toujours été le cas.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Désirée Nosbusch: «C’est un truc positif au Luxembourg: tu es observée, mais on te laisse faire. Cela n’a pas toujours été le cas.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Figure incontournable de la scène luxem­bourgeoise, Désirée Nosbusch connaît une seconde carrière depuis son carton dans la série à succès Bad Banks. Elle y incarne une banquière implacable, plus vraie que nature selon les profes­sionnels du secteur. Entretien confession.

Retrouvez  la première partie de cette interview.

Bad Banks fait la part belle aux personnages féminins. Est-ce pour vous une série féministe?

Désirée Nosbusch. – «Oui. Car je pense que si elle avait été réalisée il y a 10 ans, les rôles que nous interprétons avec Paula auraient été confiés à des hommes. C’est sûr. Mais surtout, ces deux rôles ne correspondent pas à des femmes parfaites. Ce sont deux personnages complexes, pas toujours beaux, ni plaisants, mais loin des stéréotypes dans lesquels on enferme trop souvent les femmes.

Vous êtes revenue vivre au Luxembourg après presque trois décennies à l’étranger. Quel effet cela fait-il?

«Ça fait un sacré effet... [rires] Je suis d’abord revenue pour des raisons familiales et être auprès de ma maman. Mais j’ai aussi la grande chance de jouer des rôles qu’on ne m’aurait jamais confiés ailleurs. Je pense à mon travail aux Casemates dans 'Gift' en 2014, par exemple, ou jouer Mittal dans 'En Tiger am Rousegäertchen' deux ans plus tard. On me laisse encore grandir. C’est un truc positif au Luxembourg: tu es observée, mais on te laisse faire. Cela n’a pas toujours été le cas. On m’a forcée à quitter l’école à Esch avant mon bac, alors que j’y étais bien. On m’a dit que ça créait trop de troubles. J’avais 16 ans. Ça m’est toujours resté là.

Avez-vous trouvé le pays changé?

«Sur le plan culturel, complètement! Pour le théâtre, par exemple, on a aujourd’hui l’embarras du choix. On ne sait plus où aller le soir tellement il y a de choses intéressantes. Le cinéma aussi a évolué, même si nous sommes désormais arrivés à un palier qui doit nous amener à réfléchir pour savoir où l’on veut aller. Il faut le reconnaître, ça coince un peu: on est trop grand pour être petit, mais trop petit pour être grand.

J’éprouve une grande gratitude à l’égard de mon pays. Nous avons de la chance ici. Les gens vivent mieux qu’ailleurs.
Désirée Nosbusch

Désirée Nosbuschactrice

Veut-on vraiment s’affirmer dans les coproductions internationales comme le font très bien beaucoup de mes collègues? Ou devons-nous nous concentrer sur le film luxembourgeois? Et dans ce cas, comment évoluer et s’ouvrir pour faire franchir la frontière? Un 'Superjhemp', c’est génial, mais ça ne passe pas à Trèves ou à ­Thion­ville...

Je suis d’accord pour soutenir les talents nationaux, j’en profite moi-même. Mais il faut regarder ça de près, car cela représente beaucoup d’argent pour un marché petit. Nous avons la chance d’avoir des techniciens géniaux par exemple, mais il y a des secteurs où nous ne sommes pas au niveau des autres pays.

Par exemple?

«Je pense à l’écriture... un domaine où nous avons une grande marge de progression. Je ne vais pas me faire que des amis, mais il n’y a pas cinq personnes au Luxembourg qui écrivent des scénarios à la hauteur de ceux que l’on trouve à l’étranger.

Et du point de vue de la vie quotidienne, le pays est-il différent?

«On est calmes ici. Je peux vivre une vie très normale, et c’est très sympa. Qu’on soit connu ou non, tout le monde se croise au supermarché, on échange des avis sur le Kachkéis, c’est super [rires]. Mais c’est aussi une façade, car derrière, les gens parlent beaucoup! Je dis ça, mais j’éprouve une grande gratitude à l’égard de mon pays. Nous avons de la chance ici. Les gens vivent mieux qu’ailleurs.

Désirée Nosbusch: «Quand j’étais enfant, on ne se posait jamais la question de savoir qui venait d’où. On faisait toujours tout ensemble.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Désirée Nosbusch: «Quand j’étais enfant, on ne se posait jamais la question de savoir qui venait d’où. On faisait toujours tout ensemble.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Je me demande juste comment nous nous comporterions si l’économie ne tournait plus aussi bien. Serions-nous aussi accueillants que par le passé? Serions-nous aussi Européens? Quand j’étais enfant, on ne se posait jamais la question de savoir qui venait d’où. On faisait toujours tout ensemble.

Aujourd’hui, les gens parlent davantage le luxembourgeois. C’est un signe de repli, selon vous?

«Chez moi, on parlait italien, luxembourgeois et un mauvais français, mais on se comprenait. Sur un sujet comme celui de la langue, on crée des oppositions entre les uns et les autres dès lors qu’on impose des règles. Nous sommes un petit pays qui a toujours bénéficié des gens qui partent et qui viennent. Notre économie ne serait pas la même sans les étrangers.

Si on les accueille bien, si on les traite bien, ils feront eux-mêmes la démarche de s’intéresser à notre culture. Il faut leur donner l’envie de faire partie de cette communauté. Je ne pense pas qu’on y arrivera en érigeant des barrières.

Ma mère me disait à l’époque que je ne pourrais jamais y arriver parce que je n’étais pas née aux États-Unis... [rires]
Désirée Nosbusch

Désirée Nosbuschactrice

Vous avez reçu un Grimme-Preis en Allemagne pour votre prestation dans Bad Banks. Qu’est-ce que cela représente pour vous?

«Ça me rend très heureuse. Je suis la première femme au Luxembourg à le remporter. Ça représente beaucoup parce qu’on m’a longtemps renvoyée à mon activité de présentatrice plutôt que de me reconnaître comme une comédienne. Or, j’ai toujours voulu l’être.

Mon oncle était le directeur du théâtre d’Esch. J’ai été baptisée dans la buvette du théâtre. Ma mère s’occupait des loges et du placement des spectateurs, mon père de la technique. Ma mère me disait à l’époque que je ne pourrais jamais y arriver parce que je n’étais pas née aux États-Unis... [rires]

Et votre décoration au palais grand-ducal, lors de la Fête nationale le 23 juin dernier?

«Ma première pensée a été pour mon père. Cela aurait représenté beaucoup pour lui. Il me disait toujours: 'Le jour viendra où ils verront au Luxembourg que tu sais faire quelque chose.' C’est beau d’être reconnu chez soi. Il y a quelques années, on me demandait encore quel était mon vrai métier... [rires] Je suis heureuse et reconnaissante. Et puis cela me rappelle aussi mon enfance.

Quand le Grand-Duc Jean venait à Esch au théâtre que dirigeait mon oncle à l’époque, j’avais l’honneur de remettre un bouquet à la Grande-Duchesse. Aujourd’hui, me voilà décorée. En quelque sorte, la boucle est bouclée...

La saison 2 de Bad Banks sortira l’an prochain. Quels sont vos autres projets?

«J’ai tourné deux épisodes d’une série policière pour la télévision allemande qui sera diffusée en octobre prochain. J’y joue le rôle d’un profiler. J’ai aussi participé à une super série de science-fiction qui s’appelle 'Spides', pour NBC. Je me réjouis de tous ces projets. Je me suis longtemps dit que je ne voulais pas réaliser un jour que je n’avais pas fait ce que je voulais faire. Aujourd’hui, si on me disait demain 'c’est fini', je sais que je n’aurais aucun regret!»