La petite navette blanche s’approche et s’arrête. Dans ses 5,5 mètres de longueur embarquent 11 passagers assis et quatre debout s’ils n’écartent pas trop les coudes. À l’intérieur de la Navya, une tablette tactile leur permet de décider où s’arrêter sur un parcours préenregistré. Comme dans un ascenseur.
À l’intérieur, il n’y a plus de chauffeur ou même d’opérateur. Sur ce parking intérieur de Sales-Lentz à Bascharage où 250 bus de 12 mètres rentrent au bercail tous les soirs entre huit heures et minuit, un par minute, un petit parcours offre un avant-goût de ce que sera la mobilité de demain.
D’après-demain plutôt.
Un projet de recherche de quatre ans
L’autonomie de niveau 5, la plus évoluée, «n’arrivera pas avant deux trois ans au mieux», prévient le directeur général du transport technique chez Sales-Lentz, Georges Hilbert. «Nous devons atteindre 100% de sécurité. Offrir la même sécurité que dans les bus traditionnels» alors que c’est un opérateur, dans un centre de contrôle, qui pourrait reprendre le contrôle de ce mini-minibus à tout instant.
Depuis mardi et jusqu’à jeudi soir, 37 experts de sept pays et seize sociétés, universités ou centres de recherche sont réunis au Luxembourg dans le cadre du . Après la première année de ce projet européen à la durée de vie de quatre ans, l’événement permet de revenir sur les avancées et de s’intéresser aux futurs développements.
Car il ne s’agit pas de mettre une navette à 300.000 euros sur les routes et d’attendre que les clients l’utilisent que ce soit à Genève, à Lyon, à Luxembourg ou à Copenhague.
Des questions sans réponse
Puisqu’il n’y a plus de chauffeur à l’intérieur, qui décide de ce qui se passe en cas de problème, un obstacle sur la route ou un véhicule qui fait le forcing dans un rond-point? Un enfant mineur peut-il embarquer? Une personne à mobilité réduite?
Et si cette navette qu’on peut appeler en cas de besoin était plus efficace que des bus qui passent toutes les trente minutes, est-ce que des gens ne déménageraient des cœurs de ville vers la périphérie ou la campagne? Et, dans le cadre du Luxembourg, une telle navette pourrait-elle franchir les frontières?
Est-ce qu’un client pourrait demander à quelqu’un de faire ses courses dans un supermarché, de les poser dans la navette et les récupérer trois arrêts plus loin? Qui va le nettoyer si un client qui a trop arrosé sa soirée s’oublie à l’intérieur?
Avant même d’imaginer un nouveau service dans des endroits à forte concentration ou au contraire qui manquent de solutions de mobilité de courte distance, ce groupe doit aussi s’occuper du côté le plus fastidieux: être conforme aux réglementations.
Par exemple, pas question de rouler sur une route, le Code de la route ne le permet pas et personne n’assure encore cette idée. Les navettes développées par Navya doivent être homologuées dans chaque État membre.
Essuie-glace et rétroviseurs inutiles
Au Luxembourg, raconte le directeur général du transport technique, il a fallu convaincre la SNCA que les essuie-glace n’avaient aucun intérêt puisqu’il n’y avait pas de chauffeur qui ait besoin de visibilité, ou de rétroviseur puisque même quand il y a un opérateur à bord, il a une vision à 360 degrés en se tournant dans cet engin entièrement vitré.
Après les premiers tests grandeur nature et donc pas complètement autonomes, au Pfaffenthal et à Contern, un deuxième trajet sera proposé dans les semaines qui viennent à Contern et deux autres, pour l’instant secrets, qui seront révélés par les communes intéressées.
La navette autonome cumule les avantages: elle peut rouler toute la nuit, en fonction de la demande, elle ne pollue pas, ne fait pas de bruit et dispose d’une autonomie d’environ huit heures en situation normale.
Sales-Lentz ne cache pas que l’idée que ses bus «normaux» soient dotés d’un certain niveau d’autonomie ne la dérangerait pas. «Après une difficile journée de travail, nos chauffeurs rentrent au dépôt. Imaginez que leur bus puisse aller au contrôle, puis au nettoyage et se garer de manière autonome. Cela fluidifierait ces opérations tout en évitant les incontournables 'griffes' entre deux bus», rêve M. Hilbert à voix haute.
Kilomètre heure par kilomètre heure
Le représentant de Navya, groupe lyonnais leader sur ce segment autrefois de niche, sait déjà que les prochaines étapes pourraient être dans des dépôts de géant d’e-commerce où une version «fret» de la navette porterait les colis lourds, ou dans les aéroports pour amener passagers et bagages vers leurs avions.
Un élément permet de comprendre comment le projet avance. La navette, équipée de radars et de capteurs, de caméras et de technologie en tout genre, avance à 20 km/h. L’étape suivante sera 25 km/h. Puis 30 km/h. Jusqu’à 40 km/h.
À chaque fois, les chercheurs étudient comment tous les paramètres évoluent et corrigent la programmation de ces engins qui pourraient être amortis en 4 à 5 ans contre 10 pour les bus classiques et 6 à 7 ans pour les bus électriques.
Avec ce projet, l’Europe harmonise un certain nombre de dispositifs (comme l’homologation), mais travaille à préserver les spécificités locales. À Copenhague, la concurrence vient du vélo, là où elle vient des voitures au Luxembourg. À Genève, la navette serait idéale pour le transport scolaire alors qu’un mineur ne peut pas monter seul en France.
Quand tout cela sera réglé restera une question sans véritable réponse: serez-vous prêt à monter dans un bus sans chauffeur?