Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière, et Julien Licheron, chercheur au Liser. (Photo: Maison Moderne)

Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière, et Julien Licheron, chercheur au Liser. (Photo: Maison Moderne)

Le spectre d’une bulle immobilière prend de l’ampleur alors que les prix des maisons grimpent dans des proportions rarement atteintes. Faut-il craindre un dégonflement soudain? C’est la question à laquelle répondent Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière, et Julien Licheron, chercheur au Liser.

«Pas de bulle à l’horizon» selon Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière

«Quantifier le potentiel d’une bulle est un exercice périlleux. Essai d’un tableau de bord:

Évolution des prix: Oui, l’évolution des prix a été constante, voire exceptionnelle, et mérite l’attention. L’évolution des prix s’explique cependant toujours par les fondamentaux économiques.

Aspect spéculatif des opérations immobilières: Au Luxembourg, l’acquéreur est résidentiel et je continue à croire que le phénomène des ‘grands investisseurs étrangers’ est marginal. Le Luxembourg a, avec 70% de propriétaires-occu­pants, un des taux les plus élevés d’Europe.

Évolution du pouvoir d’achat: Les dépenses liées au logement restent acceptables pour les tranches de revenus supérieurs. Si l’on considère que les acquéreurs relèvent de toute façon principalement de cette tranche – ceci étant un simple constat, nullement un jugement de valeur –, le prix d’acquisition du logement n’a pas d’impact hors norme sur leur pouvoir d’achat.

Évolution des taux d’intérêt: Effectivement, la politique de taux bas incite les acteurs économiques à investir dans la pierre – investissement qui a fait ses preuves au cours des dernières décennies. Les taux d’intérêt bas soutiennent la capacité d’emprunt. Le crédit à taux fixe limite le risque d’une hausse des taux, hausse de toute façon improbable à moyen terme.

Évolution du parc immobilier: Le parc immobilier luxembourgeois s’adresse tradition­nellement à la demande nationale, contrairement à d’autres pays, où l’offre est plus spéculative. La croissance démo­graphique exceptionnelle du pays fait que la demande de logements – à la location ou à la vente – reste soutenue.

Politique de l’offre: Le problème principal du Luxem­bourg se situe au niveau de l’incapacité de l’offre à répondre à la demande. Les gouvernements successifs ont mis en place un cadre procédural extrêmement lourd, qui réduit la capacité d’adaptation. Donc, pas de bulle à l’horizon – ce qui ne veut pas dire que l’on peut vendre tout et n’importe quoi à n’importe quel prix.

Tout va bien au Luxembourg? Non, certainement pas. Les revenus faibles sont de plus en plus sous la pression du coût du logement, et ce sont eux les laissés-pour-compte de la politique du logement.»

«Rester vigilant dans les prochains mois» selon Julien Licheron, chercheur au Liser

«Les prix des logements ont augmenté très régulièrement entre le début de l’année 2010 (qui faisait suite à une légère baisse des prix en 2008/2009, en conséquence de la crise économique et financière) et le milieu de l’année 2018: l’indice des prix des logements fourni par le Statec indiquait une hausse des prix comprise en moyenne entre + 4,5% et + 5% par année sur cette période.

C’est évidemment une hausse forte, qui renforce la difficulté d’accès à un logement pour un nombre croissant de ménages. Mais une telle augmentation des prix peut toutefois être rapprochée de celle relevée dans de nombreuses aires urbaines en croissance démographique, en Allemagne, en Autriche ou en Suède par exemple.

Surtout, l’augmentation des prix observée au Luxem­­bourg s’expliquait, à mon sens, essentiellement par le décalage entre la demande et l’offre de logements: la demande potentielle a encore été estimée par le Statec à environ 6.200 à 8.000 logements par an entre 2018 et 2030, alimentée par la croissance démogra­phique (supérieure à + 2% par an en moyenne depuis 2010).

Seulement 2.900 logements par an ont été produits entre 2010 et 2016. Le nombre d’autorisations de bâtir octroyées par les communes est certes en hausse depuis cette date, mais l’écart entre offre et demande de logements reste important.

Julien Licheronchercheur au Liser

L’offre de logements peine à suivre cette demande, puisque seulement 2.900 logements par an ont été produits entre 2010 et 2016. Le nombre d’autorisations de bâtir octroyées par les communes est certes en hausse depuis cette date, mais l’écart entre offre et demande de logements reste important, et c’est pré­cisément ce décalage qui génère la hausse des prix de l’immobilier résidentiel.

Toutefois, il faut remarquer que la hausse des prix relevée sur les douze derniers mois (+ 11,4% entre le 2e trimestre 2018 et le 2e trimestre 2019) a été très nettement supérieure à la croissance tendancielle relevée auparavant. Les fondamentaux de l’économie n’ont pourtant pas radicalement changé. Il est donc difficile d’expliquer une telle hausse, même si la demande en matière de logements a pu être alimentée par plusieurs événements conjoncturels (tels que le Brexit ou la mesure fiscale concernant l’imposition des plus-­values immobilières, qui a expiré à la fin de l’année 2018).

Ces éléments pris isolément ne me paraissent pas de nature à alimenter une flambée des prix, mais ils ont pu se conjuguer en 2018-2019. Voilà pourquoi il importe de rester vigilant dans les prochains mois et d’analyser avec précision les évolutions à venir.»