C’est le texte le plus attendu de l’année, celui qui permet de mettre en musique la politique gouvernementale : le ainsi que la programmation pluriannuelle 2025-2028 viennent d’être déposés. Après le «budget de transition» de 2024, préparé par l’ancienne équipe gouvernementale et « ajusté » par la nouvelle au mois de mars, le document présenté le 9 octobre 2024 par le ministre des Finances constitue cette fois la traduction pleine et entière des orientations de la coalition CSV-DP. La Chambre de commerce aura l’occasion d’analyser en détail ces documents dans les prochaines semaines. Mais, étant donné l’importance du moment, voici quelques réflexions à chaud.
Au printemps, à l’occasion de la présentation du budget 2024, nous insistions sur la nécessité de reconstituer des marges budgétaires pour remettre le pays en capacité d’affronter les crises futures. Depuis, l’actualité n’a fait que confirmer cet impératif, tant les risques, menaces et incertitudes se sont multipliés. Au niveau géopolitique, d’abord, avec la persistance de la guerre entre la Russie et l’Ukraine ainsi qu’entre Israël et le Hamas, et la menace de contagion régionale. Au niveau commercial, ensuite, avec le grand retour du protectionnisme qui remet en cause les modèles de croissance que nous croyions éternels. Au niveau climatique, avec la multiplication des catastrophes naturelles à travers le monde. Au niveau sociétal, avec une polarisation grandissante qui génère aussi d’autres risques, d’ordre politique. Au niveau économique, enfin. À l’échelle européenne, la publication du rapport Draghi, il y a quelques semaines, nous a rappelé, si cela était nécessaire, la menace existentielle qui pèse sur l’Europe si celle-ci ne parvient pas à retrouver le chemin de la compétitivité.
Au Luxembourg, nous ne vivons pas à l’abri de tous ces risques. Dans une économie très ouverte comme la nôtre, chaque secousse ailleurs dans le monde produit ici des vibrations plus ou moins importantes. Il est donc absolument primordial de renforcer notre résilience. Et les orientations budgétaires sont notre boussole pour reprendre les termes utilisés par le ministre des Finances.
Une dette enfin contenue
Ce qui fait la force de notre pays, ce qui séduit les investisseurs, c’est sa stabilité politique et financière. Le Luxembourg appartient toujours au cercle de plus en plus fermé des pays notés AAA par les différentes agences. Ces dernières années, pour soutenir les ménages et les entreprises dans les crises, le pays a eu massivement recours à l’endettement. C’est ainsi que la dette publique est passée de 7,8 % du PIB en 2004 à 27,5 % en 2024. À la lecture du projet de budget, on constate avec satisfaction que le gouvernement a prévu une stabilisation de cette dette en 2025 et anticipe même une légère diminution à partir de 2026. Une perspective optimiste, mais réaliste si l’évolution des recettes restait plus dynamique que celle des dépenses. En ce cas, l’effet-ciseaux bien connu au cours des dernières années, avec une progression plus rapide des dépenses que des recettes, s’inverserait.
Pour le budget de l’Administration centrale, en 2025, les recettes sont en effet attendues en progression de 5,2% quand l’augmentation des dépenses serait contenue à 4,5%. Certes, le nouveau gouvernement peut compter sur l’extinction progressive des différents régimes d’aides mis en place en période de forte inflation. Mais on sait que politiquement, il est toujours plus difficile de refermer le robinet que de l’ouvrir. En ce sens, il faut saluer ici le sens des responsabilités dont fait preuve le gouvernement.
La maîtrise des dépenses passe notamment par une attention portée aux coûts rigides de l’État, en particulier sur la masse salariale de l’Administration centrale. Le nombre d’ETP (équivalent temps plein) dans la fonction publique de l’État central a progressé de 46% entre 2015 et 2023, alors que la croissance démographique était limitée à 16,5% et la croissance du PIB à 18%. Pour 2025, le gouvernement a fixé le Numerus clausus à 1.350 ETP, contre 1.500 en 2024. C’est un premier pas en vue d’une meilleure maîtrise des dépenses de personnel, il faut le consolider et le faire suivre par des importants investissements dans la digitalisation et la simplification de l’Administration. Des évolutions et mesures concrètes que les ménages et les entreprises attendent depuis longtemps.
La maîtrise des dépenses courantes est d’autant plus indispensable que la situation géopolitique contraint le Luxembourg à produire un effort sans précédent en matière de dépenses militaires. En 2025, 792 millions d’euros seront ainsi investis dans notre défense, soit 94 millions de plus que cette année. L’engagement du gouvernement à changer la trajectoire de l’effort de défense pour atteindre 2% du RNB dès 2030 va représenter un surcoût de 27,1 millions d’euros en 2025, 18,6 millions en 2026, 74,7 millions en 2027 et 69,5 millions en 2028. Cet effort, indispensable pour garantir notre sécurité, doit nous obliger à élaborer une véritable stratégie économique pour maximiser le retour sur investissements, en faisant bénéficier de notre effort de défense les entreprises locales dans les domaines industriels, de la cyber-sécurité, de l’intelligence artificielle, des technologies d’information et de communication, des technologies de la défense, de la gestion et du stockage des données, de la finance, etc.
Réussir le virage de l’IA
Mieux maîtriser les dépenses courantes, c’est aussi se donner davantage de moyens pour investir. Au budget 2025, les investissements sont en progression de 4,7%. Une orientation vertueuse tant les transformations économiques de notre époque, notamment la transition environnementale et la transition digitale, nécessitent des investissements massifs. Il nous faudra surveiller de près les moyens qui seront débloqués pour permettre à nos entreprises de réussir ces transitions.
L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans la création de valeur constitue pour le Luxembourg un enjeu majeur. Alors que notre productivité stagne depuis des années, l’IA doit nous permettre de franchir enfin un nouveau palier productif et ainsi conserver l’avantage compétitif que nous avons su bâtir au cours des décennies passées, et qui constitue le socle de notre modèle social.
Une nouvelle approche fiscale
Ce budget traduit également un changement de paradigme concernant les recettes. Les mesures de réduction d’impôt décidées par le gouvernement ont un coût en termes de déchet fiscal : 225 millions d’euros pour l’adaptation du barème d’imposition de 2,5 tranches indiciaires supplémentaires, 55 millions pour la révision de la classe 1a ou encore 56 millions pour la baisse d’un point de l’impôt sur le revenu des collectivités, afin de ramener l’impôt des entreprises à un niveau plus proche de la moyenne des pays de l’OCDE. Cette timide baisse du taux de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) est nécessaire pour stimuler l’attractivité du pays et restaurer sa compétitivité. Malgré ces diminutions des taux d’impôt, selon les prévisions budgétaires, le produit des impôts directs devrait progresser de 3,3% en 2025 et le produit des impôts indirects de 7,6%, grâce notamment au dynamisme de la TVA, laquelle va bénéficier de cette politique stimulant la demande.
Ainsi, le solde de l’Administration centrale devrait être contenu à -1,29 milliard en 2025 alors qu’il était anticipé à -1,81 milliard au moment du vote du budget 2024. Selon la nouvelle trajectoire budgétaire, il devrait repasser sous la barre symbolique du milliard de déficit dès 2027 pour atterrir à -667 millions en 2028.
Pensions : agir dès maintenant
Si le solde de l’Administration centrale s’améliore, celui de la sécurité sociale continue de se dégrader dangereusement sous l’effet des évolutions démographiques. De 937 millions d’euros en 2024, il va passer à 657 millions en 2025 puis 487 millions en 2026. Sans réforme, il sera même négatif (-15 millions d’euros) dès 2028. Si l’emploi devait être moins dynamique qu’anticipé (-0,5 % de croissance par rapport au scénario retenu), le solde serait même dans le rouge dès 2027. Alors que le gouvernement ouvre la grande concertation sur l’avenir du système des pensions, ces constats doivent nous amener à aborder le sujet avec courage et réalisme. Une réforme de notre système de pension est indispensable pour assurer la pérennité de nos équilibres budgétaires.
Certains voudront encore repousser l’échéance, affirmant que le système peut encore tenir en l’état, que les prévisions sont systématiquement pessimistes. Face à la multiplication des risques évoquée plus haut, je crois pour ma part qu’il faut faire exactement le contraire. Pour réformer notre système de pensions, comme en matière de gestion budgétaire en général, inspirons-nous du poète portugais Fernando Pessoa qui nous a enseigné ceci: «Espérer le meilleur et se préparer au pire, c’est la règle.»
Cela doit être notre cap; il ne faut pas en dévier. Il serait fort imprudent de donner un coup de barre à bâbord par électoralisme ou à tribord par facilité!
est directeur général de la et nous publions son post, disponible sur avec son accord.