Les économistes de la Chambre de commerce déplorent un manque de vision à long terme. (Photo: Paperjam)

Les économistes de la Chambre de commerce déplorent un manque de vision à long terme. (Photo: Paperjam)

L’organisation professionnelle estime que le projet gouvernemental de budget 2020 persévère dans les travers du court-termisme et ne s’attaque pas aux défis qui pèsent sur la société luxembourgeoise.

Déposé le 14 octobre à la Chambre des députés, le projet de budget 2020 poursuit sa tournée des commissions parlementaires et des chambres professionnelles. Après la Chambre des métiers la semaine dernière, de livrer son avis, ce jeudi.

«Ce projet de budget n’apporte aucune réponse au souci de durabilité et d’une croissance qualitative – il apporte en fait plus de questions que de réponses», introduit , directeur général de la Chambre de commerce. Si l’économie luxembourgeoise se porte bien, avec une croissance «solide» du PIB de 2,8% prévue pour 2020, la Chambre de commerce souligne qu’un déficit public de 1% est aussi anticipé «et le redressement du solde de l’Administration centrale après 2020 repose sur des prévisions relativement incertaines», avertit M. Thelen.

«L’évolution des recettes est très bonne, et l’on peut dire merci aux entreprises pour cela», poursuit-il, rappelant que ce sont elles qui apportent les revenus issus de la taxe d’abonnement, de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt sur la fortune, etc. Toutefois, l’incertitude entoure l’avenir de ces revenus – notamment l’IRC, dont la collecte record et difficilement explicable n’est pas censée se prolonger dans le temps – puisque ni l’impact de la réforme fiscale en gestation ni celui du pacte climat ne sont encore connus.

Les investissements n’ont rien d’exceptionnel.

Carlo Thelendirecteur généralChambre de commerce

Côté dépenses, la chambre professionnelle partage son vertige: c’est la première fois qu’un budget dépasse 20 milliards d’euros; les dépenses ont doublé depuis 2010 «alors que le PIB n’a augmenté que de 50%», voire triplé depuis 2000…

Pis encore, plus de 75% des dépenses de l’Administration centrale (État et assimilés) sont qualifiées de «rigides» – rémunération des fonctionnaires, transferts sociaux, etc. – et «laissent peu de place à l’action», explique Christel Chatelain, chef des affaires économiques à la Chambre de commerce. Autre écueil: ces dépenses progressent «deux fois plus vite» que celles de nos voisins – 6% en moyenne depuis 2000 contre 3%. Et la promesse d’une «maîtrise» ne s’est encore jamais concrétisée.

L’économiste pointe encore les investissements publics «records» affichés par le gouvernement – 3,2 milliards d’euros, certes, mais cela ne représente que 4,25% du PIB, soit à peine plus que la moyenne entre 2000 et 2018 (4,13%). «Cela n’a rien d’exceptionnel», souligne M. Thelen, puisque le Luxembourg ne fait pas mieux que la France ou l’Italie.

Il faudrait un budget structuré par objectifs, précisant les moyens alloués et fixant des indicateurs de performance, au lieu du recueil d’articles budgétaires.

Christel Chatelainchef des affaires économiquesChambre de commerce

La Chambre de commerce note les «bonnes intentions» du gouvernement, mais l’appelle à regarder la réalité en face. «De nouveaux fonds sont annoncés sans aucun détail sur leur composition et les montants alloués; certes, les actifs financiers grimpent à 48% du PIB, mais cette atomisation des avoirs pose la question de la transparence et de la gestion en bon père de famille», commente Mme Chatelain.

Autre intention louable: la «révolution de l’architecture budgétaire» promise par le ministre des Finances , tenant notamment à la présentation d’un budget pluriannuel. Les économistes de la Chambre de commerce préconisent l’abandon pur et simple de la comptabilité nationale pour les dépenses de l’Administration centrale au profit de celle utilisée au niveau européen. Et se désespèrent de voir que les dépenses ne sont toujours pas soumises à un plafond réel puisqu’«aucune mesure corrective n’est prévue en cas de dépassement». «Il faudrait un budget structuré par objectifs, précisant les moyens alloués et fixant des indicateurs de performance, au lieu du recueil d’articles budgétaires» actuel, poursuit Mme Chatelain.

Autant de remarques qui illustrent le principal reproche de la Chambre de commerce au gouvernement. «Notre société va affronter de grandes difficultés à long terme. Or, à court terme, elle va relativement bien – c’est d’ailleurs tout le problème», déplore M. Thelen. «Il faut une prise de conscience, sans verser dans la panique. Quelques ajustements sont nécessaires pour nous préparer au mieux.»

D’où l’aspiration de la Chambre de commerce à une croissance «soutenue et qualitative». Jugeant «irréaliste» l’idée de «stopper la croissance» ou de couper les flux frontaliers, tout en admettant que les emplois créés chaque année multiplient le nombre de voitures sur les routes, M. Thelen préconise de «réfléchir complètement autrement» en recherchant «l’efficience et la productivité à travers l’innovation et la digitalisation». Ce qui correspond d’ailleurs aux conclusions de l’étude Rifkin et au contenu de la 3e révolution industrielle dont le plan d’action est toujours en cours de mise en œuvre. «Nous devons investir dans les gens qui sont déjà là», et donc miser sur l’éducation, la formation initiale comme continue.