Anthony Villeneuve et Carlo Thelen parlent d’un budget de transition dans une relative incertitude (Photo: Guy Wolff/Maison moderne)

Anthony Villeneuve et Carlo Thelen parlent d’un budget de transition dans une relative incertitude (Photo: Guy Wolff/Maison moderne)

La Chambre de commerce s’est alarmée de la perte des marges de manœuvre budgétaires, lundi après-midi, au cours d’une conférence de presse. Elle appelle à une meilleure maîtrise des dépenses de l’État, à une stimulation de l’activité économique pour accroître les recettes, à une modernisation de l’assurance maladie et à une réforme des pensions.

«Un budget de transition dans une relative incertitude»: voilà comment la Chambre de commerce juge le projet de budget 2024 dans son avis. Et les incertitudes sont nombreuses, la principale étant la trajectoire de la croissance. Le directeur de la Chambre de commerce, , juge d’ailleurs la perspective d’une croissance de 2% «relativement optimiste».

Face à une croissance en berne, à des dépenses qui progressent plus vite que les recettes avec à la clé un accroissement de l’endettement «synonyme de perte de marges de manœuvre», il s’inquiète de la capacité de l’économie à financer les mesures nécessaires pour diversifier l’économie et faire ainsi face aux chocs futurs, à financer la double transition numérique et sociale et à financer le modèle social. Et donc de la pérennité du modèle luxembourgeois.

7 milliards d’euros de frais de personnel pour l’État

Face à l’effet ciseau d’une progression des recettes de 7,1% et d’une progression des dépenses de 7,6% – même si cette dernière a été moindre que pour le budget 2023, soit +11,5% – , la Chambre de commerce doute que le gouvernement reprenne la main sur l’évolution des dépenses en général et des dépenses de personnel en particulier. Et de se dire «interpellée» par le poste de dépenses «rémunération du personnel», qui va, en 2024, franchir le pas des 7 milliards d’euros – soit une progression de 10,2% par rapport à 2023 – pour atteindre 8,3 milliards en 2027, soit 8,54% du PIB.

«Au budget de 2015, les dépenses de personnel ne représentaient que 6,36% du PIB», rappelle Anthony Villeneuve, économiste maison pour qui «il ne pourra pas y avoir une maîtrise de la dépense publique sans maîtrise des charges de personnel». Pour lui, la solution passe par «une modernisation profonde de l’État, à travers notamment un effort important de digitalisation». «Les investissements dans la digitalisation promettent des gains de productivité et économique à moyen terme», détaille Anthony Villeneuve. Selon une étude de la Chambre de commerce, une digitalisation accrue permettrait de stabiliser le nombre de salariés du secteur public à environ 100.000 personnes à l’horizon 2030, «soit 30.000 de moins qu’à politique inchangée».

Une autre évolution de dépenses «non flexible» inquiète la Chambre de commerce: la progression des dépenses militaires qui, d’après les documents budgétaires, va progresser de 73,4% en cinq ans pour atteindre 994 millions en 2028. «La Chambre de commerce estime que la progression importante et inéluctable de l’effort de défense luxembourgeois doit s’accompagner d’une stratégie économique – sans doute une stratégie de niche – visant notamment à ce que le milliard de dépenses militaires qui sera bientôt investi chaque année produise des retombées, au moins partiellement, dans l’économie nationale. L’enjeu est bien de faire de cette dépense contrainte une source d’opportunité de développement économique», peut-on lire dans l’avis. La Chambre de commerce plaide pour la création d’un Defense Campus, «point de convergence de l’innovation et de l’investissement dans les nouvelles technologies de défense».

Des recettes trop volatiles

Sur le volet recettes, l’augmentation de 7,1% à 27,45 milliards «est soutenue en partie par les indexations qui ont gonflé les impôts sur les salaires», ainsi que par un accroissement des recettes provenant de l’impôt sur les sociétés et de la TVA. La Chambre de commerce invite le gouvernement à porter une attention particulière aux recettes non durables liées aux ventes de carburants et de tabac, qui sont susceptibles de diminuer à mesure que le pays avance vers l’électrification des véhicules. Celles-ci représenteront, en 2024, 7,39% du total des recettes de l’administration centrale.

Des dépenses qui augmentent plus vite que les recettes, c’est gage d’une augmentation de la dette. La dette en soi n’est pas jugée négative, «l’endettement pourrait être défendable s’il servait exclusivement à financer des investissements soutenant la compétitivité et l’attractivité du Luxembourg. Pourtant, en exceptant les mesures de soutien adoptées à la suite des différentes crises, il faut constater qu’il est aujourd’hui le résultat d’une augmentation rapide des dépenses courantes, notamment des plus rigides d’entre elles (frais de personnel, transferts sociaux, …).» Le seuil symbolique des 30% d’endettement par rapport au PIB pourrait être dépassé si la conjoncture se dégradait.

Des signaux positifs pour les entreprises

Ce budget répond-il aux inquiétudes des entreprises, des entreprises inquiètes pour la compétitivité du pays? C’est la question centrale pour la Chambre de commerce.

Les signaux envoyés sont «positifs», estime-t-elle, en mettant en avant ceux envoyés en matière de talents à travers les investissements dans l’éducation, la formation et la stimulation de l’attraction des talents en provenance de pays tiers. De même, en matière de fiscalité, l’ambition d’aligner progressivement le taux d’imposition vers la moyenne OCDE est saluée. Bémol: le soutien à la compétitivité-coûts pour laquelle une réforme de l’indexation aurait été jugée idéale.

Sur la question de la pérennité du modèle économique, la Chambre se dit surprise face à certaines coupes, comme la baisse des dépenses allouées au développement de la Place (14 millions en moins, soit une baisse de 62,3% des moyens) et la révision à la baisse des crédits alloués au Fonds de l’innovation. Elle se déclare cependant satisfaite des moyens alloués en matière de diversification, notamment dans les secteurs de la logistique, du spatial, de la santé et pour les zones d’activité économique.

Un système de pension publique n’a pas vocation à garantir des pensions aussi élevées comme on les connaît actuellement.
Carlo Thelen

Carlo Thelendirecteur généralChambre de commerce

Pour ce qui est de la pérennité du modèle social, face à des dépenses liées aux retraites destinées à doubler pour atteindre 18% du PIB en 2070, la Chambre de commerce salue la volonté du gouvernement «d’engager une réflexion sur la viabilité du système des retraites». Une réforme qui ne fasse pas «de l’augmentation des cotisations sociales un levier», insiste Anthony Villeneuve.

Carlo Thelen ne s’avance pas sur des mesures concrètes et renvoie à tout ce que la Chambre de commerce a déjà documenté. Comme la possibilité de faire évoluer progressivement la formule de calcul des pensions en préservant les pensions les plus modestes tout en ne réajustant que très graduellement celles qui sont plus élevées. Cette proposition doit permettre une économie de l’ordre de 4,4% du PIB d’ici à 2052 et prévenir tout déséquilibre futur du système, estiment les économistes de la Chambre de commerce. «Nous voulons que le débat s’ouvre. On sait très bien que le système actuel n’est pas soutenable. Il est urgent d’agir. Un système de pension publique n’a pas vocation à garantir des pensions aussi élevées comme on les connaît actuellement», reprend Carlo Thelen.

Et face à la progression des dépenses de l’assurance dépendance et de l’assurance maladie – assurance maladie «jugée structurellement déficitaire» –, la Chambre de commerce estime que «la modernisation du système de santé est désormais inévitable. La préservation de la qualité du système de santé ne peut qu’être garantie si son financement est assuré sur le long terme.»

Stimuler la relance

À travers la stimulation de la demande, le gouvernement a affirmé sa volonté d’agir sur le pouvoir d’achat et la consommation. «Un bon signal», pour la Chambre de commerce, qui se dit également satisfaite du niveau d’investissements publics programmés d’ici 2027, soit environ 4% du PIB par an, «un niveau proche de la moyenne historique». Elle plaide pour des investissements publics plus ciblés en faveur de la double transition digitale et durable. Et si elle salue les investissements dans la recherche et le déploiement de l’intelligence artificielle mentionnée dans le budget 2024, elle estime que «le texte manque d’ambition en matière d’investissements en faveur de la transition numérique». Pour ce qui est de la transition environnementale, elle salue l’évolution des dépenses d’investissements. La Chambre de commerce propose une «super déduction fiscale» pour les dépenses des entreprises et préconise de renforcer le prêt climatique pour la rénovation des entreprises et de rendre la taxe CO2 progressive «afin de renforcer son caractère incitatif».