Le salon de la maison de Victor Horta est un parfait exemple d’Art nouveau. (Photo: Paperjam)

Le salon de la maison de Victor Horta est un parfait exemple d’Art nouveau. (Photo: Paperjam)

Bruxelles, ce n’est pas que la Grand-Place, le Manneken Pis et le cornet de frites. C’est aussi la ville berceau de l’Art nouveau, avec de magnifiques découvertes architecturales à faire. Paperjam a eu l’occasion de visiter quelques lieux emblématiques. Rapport de voyage.

Au tournant du 20e siècle, un style nouveau émerge à Bruxelles, alors superpuissance en Europe grâce à l’industrialisation: l’Art nouveau, pensé comme un art total, est en rupture avec l’éclectisme ou le classicisme en vogue à l’époque. Ce courant stylistique populaire entre 1890 et 1915 est marqué par de multiples caractéristiques: l’utilisation de courbes et de motifs inspirés de la nature (végétaux, animaux), un travail de ferronnerie en façade, l’introduction de bow-windows et d’éléments colorés en façade. C’est un art du progrès, où le fer n’est plus caché. Au-delà des façades, dont le style est en totale rupture avec les immeubles voisins contemporains, l’architecture de l’Art nouveau apporte aussi une nouvelle distribution intérieure avec une plus grande fluidité de circulation, de hautes et larges fenêtres et des ouvertures zénithales permettant d’apporter de la lumière naturelle au cœur des logis. Par ailleurs, des inspirations exotiques, dont l’art japonais, ouvrent les horizons et témoignent des goûts personnels des commanditaires pour cet art.

Le musée Horta, l’incontournable

L’Art nouveau est présent partout à Bruxelles et il suffit de se promener dans les rues de la capitale belge pour en découvrir de fantastiques exemples de façades. Les quartiers de Saint-Gilles, Ixelles et autour de l’avenue Louise en sont particulièrement riches.

Le protagoniste le plus célèbre de ce mouvement est Victor Horta. Sa maison personnelle et son atelier adjacent sont devenus aujourd’hui un espace muséal ouvert au public (attention: uniquement sur réservation pour des questions de conservation). Entre 1898 et 1901, Victor Horta construit sa maison et son atelier sur deux parcelles adjacentes. Après avoir subi plusieurs modifications, l’intérieur a été restauré et remeublé comme à l’époque. On y découvre une grande quantité d’éléments dessinés par Horta, que ce soit le plan et la façade des maisons bien entendu, mais aussi les meubles, les luminaires…

Parmi les éléments remarquables, notons l’ingénieux système des six portes du hall qui permet de moduler l’espace en fonction des besoins, l’utilisation du verre américain Tiffany de la double porte précédant l’escalier principal, le travail d’adaptation sur mesure du radiateur industriel dans la cage d’escalier, le meuble multifonctionnel de la salle à manger ou encore le détail des poignées de porte toutes individualisées.

La maison Hannon de nouveau accessible

À quelques mètres de là, la maison Hannon a rouvert ses portes en 2023 après une première campagne de restauration qui se poursuit encore par phasage jusqu’en 2030. Elle a été construite entre 1902 et 1904 par l’architecte Jules Brunfaut pour Édouard Hannon et son épouse Marie Debard, alors que le couple a une cinquantaine d’années. Édouard Hannon a alors une belle carrière d’ingénieur pour Solvey derrière lui, puisqu’il a permis à cette grande entreprise belge qui produisait de la soude de se développer dans le monde.

Ici, la personnalité du commanditaire se lit à travers toute la maison de manière subtile. À plusieurs reprises, un hommage est rendu au temps suspendu et à l’heure dorée, moment apprécié des photographes, un art que pratiquait avec talent Édouard Hannon. Son goût personnel pour la Grèce antique influence aussi fortement la décoration intérieure. Les motifs helléniques se retrouvent à plusieurs endroits de la maison, tout comme l’utilisation des symboles ésotériques, répondant au nombre d’or ou à la suite de Fibonacci.

Par ailleurs, le couple avait vécu à Nancy et ils ont eu alors l’occasion de fréquenter le cercle des artistes locaux: Émile Gallé (qui dessine un grand nombre de meubles de la maison), Jacques Majorelle… ce qui fait que cette maison est aussi au croisement de l’Art nouveau belge et de l’Art nouveau français.

Mais le clou de la visite est certainement l’impressionnante fresque monumentale de Paul Baudoüin (disciple de Puvis de Chavanne) qui se déploie sur toute la hauteur de l’escalier en spirale, dévoilant un paysage arcadien où se tient un couple de bergers représentant les Hannon, face aux allégories féminines. Édouard Hannon, également amateur de poésie, déclamait volontiers des vers sur le palier prévu à cet effet dans l’escalier, surmonté par la muse de la poésie qui lance des pétales de fleurs sur l’orateur…

Actuellement, l’exposition temporaire «Art(s) nouveau(x) belge(s)» est présentée dans les espaces du premier étage encore non restaurés, faisant découvrir le travail d’autres grands maîtres de l’Art nouveau: Van de Velde, Serrurier-Bovy, Hankar…

Cette maison témoigne aussi du sort qu’ont subi malheureusement de nombreux bâtiments Art nouveau à Bruxelles, détruits ou pas entretenus, puisqu’après avoir été occupée par la fille du couple, la maison est laissée à l’abandon puis squattée. Son classement en 1976 la détourne de justesse de la destruction. La propriété passe alors dans les mains de la Commune de Saint-Gilles. Entre 1988 et 2014, l’Espace Photographique Contretype s’y installe, avant qu’il ne soit décidé que la maison serait désormais considérée comme lieu patrimonial, restaurée et réservée à la visite du public.

Un peu d’Art déco à la maison Van Buuren

En poursuivant vers le parc Brugmann, on tombe sur la maison du couple David et Alice Van Buuren. Achevée en 1928, cette demeure s’apparente à l’extérieur au style de l’École d’Amsterdam. À l’intérieur, c’est l’Art déco qui prédomine.

Le couple Van Buuren disposait d’importants moyens financiers et fréquentait les personnalités les plus importantes de leur époque. Lors de leur exil aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, ils sont amis des Rockefeller, Roosevelt, de Walt Disney… En Europe, ils fréquentent les têtes couronnées, les politiques et les artistes, intellectuels et universitaires.

L’intérieur est encore entièrement meublé et les nombreuses œuvres d’art du couple sont toujours là. Il est ainsi fascinant de parcourir ces espaces qu’on sent encore animés par l’amour que le couple se portait et qui résonnent encore des discussions menées avec les personnalités qui les ont traversés. Soulignons la qualité des aménagements intérieurs, dont les magnifiques tapis des espaces de réception.

Le jardin mérite aussi qu’on y passe du temps. Plusieurs styles s’y côtoient: jardin à la française, à l’anglaise, ou encore un labyrinthe agrémenté de sculptures. La maison et le jardin se complètent mutuellement dans une harmonie remarquable.

La villa Empain sauvée grâce au mécénat

De l’autre côté du bois de la Cambre, la villa Empain est un trésor de l’art décoratif. Construite en 1930 par l’architecte Michel Polak pour Louis Empain, second fils du baron Édouard Empain, richissime homme d’affaires qui avait fait fortune dans les chemins de fer (on lui doit aussi la construction du métro parisien), elle a été ressuscitée grâce au mécénat de la famille Boghossian.

Avant cela, la villa a été donnée par Louis Empain à l’État belge en 1937, avec pour objectif de la transformer en musée des arts décoratifs. Malheureusement, la guerre met à mal ce projet et la villa est réquisitionnée par l’armée allemande. Elle sert ensuite à l’ambassade d’URSS, puis est vendue en 1973 à Harry Tcherkezian. Ce dernier loue la villa à RTL qui l’occupe jusqu’au début des années 1990 sans l’endommager. Suite au départ de RTL, la villa est malheureusement laissée sans affectation, progressivement abandonnée et vandalisée.

Elle est heureusement rachetée en 2006 par la Fondation Boghossian qui entreprend un chantier exemplaire de restauration, achevé en 2010, et salué en 2011 par le prix Europa Nostra de la Commission européenne.

Depuis lors, la villa sert à promouvoir le dialogue entre l’Orient et l’Occident (la famille Boghossian est originaire du Liban) à travers l’accueil d’expositions thématiques, et accueille des artistes en résidence. Son architecture et ses aménagements témoignent d’un extrême raffinement (cornières en laiton dorées à la feuille d’or, granit poli en façade, marbres et bois exotiques à l’intérieur…).

Jusqu’au 8 septembre, il est possible de découvrir une exposition consacrée au travail de Josef et Anni Albers.

Banad, un festival pour découvrir des lieux privés

En plus de ces lieux ouverts toute l’année au public, il est possible de participer au  qui se déroule tous les ans au mois de mars. Organisé par Explore.Brussels, ce festival dédié à l’Art nouveau et à l’Art déco permet d’entrer dans des lieux exceptionnels, dont plusieurs habituellement fermés au public, car il s’agit d’espaces privés. Au cours de ce festival, les publics sont invités à prendre part à des visites guidées pour découvrir vingt lieux «essentiels», dix lieux qui sont ouverts pour la première fois au public et dix autres lieux qui ont déjà été ouverts lors d’une édition précédente, mais qu’il est possible de (re)découvrir. «Nous nous attachons également à travailler les transversales et à mettre en valeur des thématiques fonctionnelles, comme les lieux liés au divertissement ou à l’enseignement par exemple», explique Amaury De Smet, directeur programmation d’Explore.Brussels. La prochaine édition se déroulera du 15 au 30 mars 2025 (programme annoncé en janvier, réservation à partir de février).

, rue Américaine 27, 1060 Brussels

, avenue de la Jonction 1, 1060 Bruxelles

, Avenue Léo Errera 41, 1180 Bruxelles

, avenue Franklin Roosevelt 67, 1050 Bruxelles

, du 15 au 30 mars 2025

Conseil 1: Visit Brussels propose qui permet de découvrir trois lieux Art nouveau au choix parmi 8 incontournables.

Conseil 2: Et pour prolonger l’expérience Art nouveau et Art déco à Bruxelles, il est aussi possible de se rendre à l’hôtel , et de manger au  ou au .

Comment y aller: Des trains relient directement Bruxelles et Luxembourg plusieurs fois par jour (environ 3h15); en voiture (environ 2h30)

Où dormir: ,

Où manger: , ,