Erwan Loquet, Head of Tax chez BDO Crédit: BDO, montage photo Maison Moderne

Erwan Loquet, Head of Tax chez BDO Crédit: BDO, montage photo Maison Moderne

Au 1er janvier 2021, les effets du Brexit seront effectifs du point de vue fiscal. Tous les opérateurs économiques doivent s’y préparer: les grandes entreprises, tout comme les TPE/PME. Tout un chacun sera impacté par cette nouvelle frontière fiscale. C’est ce dont nous parle Erwan Loquet, Head of Tax chez BDO.

Avant d’aller plus loin, peut-on faire le point sur le Brexit?

«Le Brexit est une décision d’abord politique, dont les conséquences économiques pratiques sont nombreuses. Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni a définitivement quitté le cercle des États membres de l’Union européenne. Or, depuis le 1er janvier 1978, date d’entrée en vigueur de la 6e directive TVA, nous partagions avec nos partenaires britanniques un système de TVA commun, qui harmonise les échanges de biens et de services en matière de TVA. Avec la fin de la période dite ‘de transition’, au 31 décembre 2020, les entreprises luxembourgeoises et britanniques vont faire face à de profonds bouleversements. Ces changements affectent aussi bien le traitement fiscal des transactions, la façon dont elles sont taxées, mais encore les reportings TVA dans les pays concernés, les relations avec les administrations fiscales, les systèmes comptables ou même plus prosaïquement le libellé des factures émises par les opérateurs.

Qu’est-ce que ça change pour les échanges commerciaux en général?

«Cette décision nous ramène à une période que nous avons oubliée: celle où, à la frontière des pays, des douaniers pouvaient interrompre le passage de telle personne ou de tel bien. Avec le Brexit, une frontière fiscale réapparaît entre nos deux pays, et les opérations qui se traitaient jusqu’à présent relativement simplement comme des livraisons intracommunautaires ou des acquisitions intracommunautaires, avec essentiellement des obligations de reporting mais pas de préfinancement de TVA, deviennent des importations ou des exportations.

Le Brexit nous ramène à une situation que nous avons oubliée, celle où, à la frontière des pays européens, des douaniers pouvaient interrompre le passage de telle personne ou de tel bien.
Erwan Loquet

Erwan LoquetHead of TaxBDO

Quelles sont les conséquences pour les entreprises?

«Une entreprise britannique qui vendait jusqu’alors à ses clients luxembourgeois, sans que cela ne déclenche d’enregistrement ou de préfinancement au Luxembourg, devra demain, si elle prend la qualité d’importateur, s’identifier à la TVA luxembourgeoise, y déclarer une importation suivie d’une vente interne avec facturation de la TVA de notre pays. Inversement, les entreprises luxembourgeoises réalisant des ventes de biens à destination de partenaires britanniques deviennent exportatrices en 2021, avec les formalités douanières nouvelles qui en découlent, voire des démarches spécifiques à réaliser en Grande-Bretagne.

En faisant l’acquisition de biens en Grande-Bretagne, avec expédition directe vers le Luxembourg, une entreprise luxembourgeoise réalisera une importation. Faisant partie des pays européens qui n’exigent pas le paiement de la TVA à l’importation lors du passage en douane, à l’entrée des marchandises, pour autant que l’importateur soit identifié à la TVA, le Luxembourg procure un certain avantage en termes de préfinancement. Mais si la même marchandise parvient au Luxembourg via un port belge ou néerlandais (premier point d’entrée dans l’Union), l’entreprise devra se préoccuper des formalités douanières à l’importation comme elle le ferait avec un vendeur chinois ou américain.

Autre point d’attention, en 2021 entre également en vigueur un nouveau régime de TVA pour ce que l’on nomme les «ventes à distances» et qui, dans la pratique, couvre le commerce électronique de biens. Le nouveau régime devrait permettre aux vendeurs en ligne de facturer et percevoir la TVA du lieu de résidence de leurs clients. Cette TVA sera ensuite déclarée et versée globalement à l’État membre d’identification du vendeur, via un guichet unique, le One-Stop Shop. Le régime implique, pour les opérateurs établis dans les États tiers (donc le Royaume-Uni), de désigner un intermédiaire garant de la bonne application de ces règles.

Et les particuliers?

«Pour les particuliers également, le Brexit ne sera pas sans conséquence: acheter un bien à Londres et le ramener à son domicile en Europe va constituer techniquement une importation (une importation ne dépend pas de la personne qui la réalise, elle se définit par le simple franchissement des frontières extérieures de l’Union européenne). Un de mes amis, amateur de voitures anciennes britanniques, ne pourra plus les acheter hors taxes auprès de collectionneurs privés, il devra s’acquitter de la TVA, même sur un véhicule de 20 ans d’âge, à leur entrée au Luxembourg.

Évidemment, si l’on ‘importe’ un tee-shirt de Londres, en cadeau pour son neveu, cela devrait relever d’un régime de franchise, lié au prix du bien en question, par exemple.

Le Brexit pourrait créer un avantage TVA pour les acteurs du secteur financier établis au sein de l’Union en leur permettant d’augmenter leur droit à déduction de la TVA.
Erwan Loquet

Erwan LoquetHead of TaxBDO

Pour le Luxembourg, très présent dans les services financiers, quelles sont les conséquences?

«À la suite du Brexit, les entreprises de l’UE (dont le Luxembourg) qui fournissent des services financiers ou d'assurance à des clients basés au Royaume-Uni conserveront l'exonération de TVA pour leurs prestations, mais gagneront le droit de récupérer la TVA sur les coûts associés à ces prestations. En effet, les règles de TVA actuellement en vigueur au sein de l’Union permettent que des prestations de nature financière ou d’assurance (telles que des paiements, l’octroi de crédit ou de garanties, les transactions sur titres) réalisées avec des clients établis en dehors de l’Union ouvrent droit à la déduction de la TVA en amont subie en relation avec ces opérations. Le Brexit pourrait donc créer un avantage TVA pour les acteurs du secteur financier établis au sein de l’Union en leur permettant d’augmenter leur droit à déduction de la TVA. Pour les banques privées luxembourgeoises, les contrats de gestion de leur clientèle britannique pourraient également être impactés.

De manière générale, pour ce qui concerne les prestations de services entre le Royaume-Uni et le Luxembourg, le Brexit contraint les entreprises à revoir leurs reportings TVA, les mentions sur factures, voire, dans les cas extrêmes, le traitement complet de leurs transactions.

Qu’en est-il du remboursement de la TVA?

«La TVA acquittée en Grande-Bretagne par une entreprise luxembourgeoise ne pourra plus faire l’objet d’un remboursement via le portail luxembourgeois. Pour ce qui est de la TVA acquittée en 2020, nos entreprises pourront néanmoins faire usage de ce portail jusqu’au 31 mars 2021. Pour la TVA acquittée en 2021, les demandes devront être adressées aux autorités fiscales britanniques, selon des modalités qui ne sont pas encore déterminées aujourd’hui.

Comment BDO peut-il accompagner ses clients durant ce changement?

«Nos consultants sont spécialisés dans le conseil et l’accompagnement des entreprises dans leur transition vers ces processus complexes. Nous avons des équipes dédiées au UK et au Luxembourg qui sont en mesure d’apporter des réponses claires et fiables aux entreprises, aussi bien en matière de traitement de leurs opérations que de leur reporting dans les différentes déclarations fiscales.

Pour qu’une entreprise passe avec succès «l’épreuve du Brexit», elle doit avoir cartographié ses activités (achats et ventes), avoir compris à quel endroit de la chaîne de valeur elle sera impactée et de quelle façon elle le sera. Les changements dont nous avons parlé impliquent de nouveaux paramétrages dans les systèmes informatiques de l’entreprise pour que celle-ci soit en mesure d’opérer normalement à partir de 2021, sans que des retraitements manuels ne soient nécessaires. On peut s’attendre à quelques frictions durant les premiers trimestres de 2021, compte tenu notamment du nombre d’opérateurs peu ou mal préparés de chaque côté de cette nouvelle frontière.»