Si les négociations se poursuivent (difficilement) afin de régler les dernières modalités du divorce entre le Royaume-Uni et l’UE, la CJUE semblait avoir tourné la page avec le départ des juges britanniques de la Cour et du Tribunal de l’UE le 31 janvier, à l’heure de l’entrée en vigueur du Brexit.
C’était sans compter sur la ténacité de l’un de ses membres les plus expérimentés et respectés: Eleanor Sharpston, arrivée au Kirchberg en 2006 et par ailleurs dotée de la double nationalité anglo-luxembourgeoise. Elle est l’un des 11 avocats généraux chargés de livrer aux juges des conclusions exposant l’État de droit et une piste d’interprétation du droit de l’UE dans les affaires toisées par la Cour de justice.
Car si les premières projections concernant le Brexit laissaient entrevoir la disparition des juges britanniques des deux juridictions, l’avocat général britannique semblait devoir échapper à la règle puisqu’elle n’a pas le même statut que les juges. Ce que le président du Tribunal de l’UE, , .
Les États membres licencient un membre de la Cour en violation directe du droit primaire.
Entre-temps, la politique a pris le dessus. Deux jours avant le Brexit, les États membres ont décidé de révoquer le mandat de Mme Sharpston, et le président de la Cour, , s’est exécuté en déclarant le 31 janvier la vacance de son poste et en demandant aux États membres de nommer son successeur.
L’épisode suscite l’émoi de l’autre côté de la Manche – –, mais pas seulement. «Les États membres licencient un membre de la Cour en violation directe du droit primaire», s’insurge le Pr Dimitry Kochenov, titulaire de la chaire de droit constitutionnel européen à l’université de Groningen, . «C’est un scénario totalement inacceptable dans une Union fondée sur l’État de droit.»
Et l’avocat général britannique ne se laisse pas faire. Après avoir introduit un recours en avril contre la déclaration de vacance de son poste par M. Lenaerts et contre la décision des États membres de mettre fin à son mandat, elle a tenté à maintes reprises de trouver un compromis, afin de pouvoir au moins achever son mandat arrivant à terme en octobre 2021. Las, aucune de ses propositions n’a reçu la moindre réponse des États membres. Jusqu’à cette annonce, le 2 septembre, de la nomination du Grec Athanasios Rantos à son poste.
Il s’agit d’une question de principe constitutionnelle sur l’indépendance de la justice et l’État de droit.
Une décision que Mme Sharpston attaque en référé devant le Tribunal de l’UE. Dans leur ordonnance de référé sur référé, le juge Anthony Michael Collins a estimé recevable sa demande de suspension le samedi 5 septembre, soit deux jours avant la prise de fonctions de M. Rantos, .
Mme Sharpston dénonce «une interférence injustifiée et injustifiable avec l’autonomie et l’indépendance de la Cour de justice telles que prévues par les traités établissant l’UE», ainsi qu’une «interprétation erronée de l’article 50 du traité instituant l’UE», reprend l’ordonnance que Paperjam a pu consulter. «Il s’agit d’une question de principe constitutionnelle sur l’indépendance de la justice et l’État de droit», indique Mme Sharpston à The Critic.
Ces éléments «soulèvent des problèmes juridiques complexes qui requièrent au minimum une argumentation détaillée et exhaustive devant le juge», considèrent les deux juges. Lesquels ont accepté de suspendre les effets de la décision de nomination de l’avocat général grec, afin d’éviter la cacophonie d’une entrée en fonction finalement jugée illégale, estimant que «la mise en cause de la composition de la Cour de justice» aurait l’effet d’affecter «la validité de ses arrêts».
Première victoire d’étape pour Mme Sharpston. Le Conseil a jusqu’au 11 septembre pour soumettre ses observations, indiquent ses défendeurs, Sir Nicholas Forwood et James Flynn.