Guy Wagner, chief economist de la Banque de Luxembourg (Photo: Banque de Luxembourg)

Guy Wagner, chief economist de la Banque de Luxembourg (Photo: Banque de Luxembourg)

La saison des résultats touche à sa fin. Les entreprises sont devenues très bonnes dans la gestion des attentes des investisseurs et dans la présentation de leurs résultats, notamment aux États-Unis, de sorte qu'il est aujourd'hui difficile de juger la qualité des résultats, voire de répondre à une question aussi simple que celle de savoir si les bénéfices ont en fait augmenté, diminué ou stagné. Le fait qu'une société annonce des résultats «supérieurs aux attentes» ne signifie en effet pas qu'elle annonce de bons résultats, respectivement des résultats en progression. Dans beaucoup de cas, ceci signifie uniquement que ses résultats étaient moins mauvais que prévu.

Comment se présente donc l'évolution des bénéfices des entreprises? (En monnaie locale pour les États-Unis, l'Europe et le Japon, en dollars pour les pays émergents, les bénéfices utilisés sont ceux des douze derniers mois.)

Quelques observations:

La seule région où les bénéfices sont nettement plus élevés qu'avant la crise sont les États-Unis. La progression des bénéfices aux États-Unis s'explique par un bon contrôle des coûts et par le rachat de titres et non pas par une forte progression des ventes. Il en résulte que les marges bénéficiaires des entreprises américaines sont aujourd'hui historiquement élevées;

Toutefois, même dans le cas des États-Unis, il n'y a actuellement plus de croissance des bénéfices. Par rapport au troisième trimestre 2014, les ventes et le bénéfice par action des sociétés du SP 500 sont en recul de 5%, respectivement de 1% (en partie à cause de l'appréciation du dollar);

La faiblesse des ventes ne devrait pas étonner. Elle est la conséquence directe d'une faible croissance économique nominale. Si les entreprises peuvent encore agir sur leurs coûts pour améliorer leur «bottom-line» (bénéfice), leur «top-line» (ventes) est directement lié à la croissance économique nominale. Ainsi, la progression de leur chiffre d'affaires (par action) est plus faible qu'avant la crise financière;

Pour les pays émergents, le recul des bénéfices sur les derniers trimestres s'explique en partie par la dépréciation de leurs monnaies par rapport au dollar. Il reste cependant que les indices boursiers de ces pays sont souvent dominés par des entreprises exportatrices qui à nouveau souffrent de la faible croissance dans les pays industrialisés;

L'évolution des bénéfices en Europe est particulièrement décevante et ne justifie pas la hausse des cours boursiers. Les bénéfices sont ainsi inférieurs à leur niveau d'il y a trois ans, alors que le marché est quelque 40% plus élevé;

On pourrait évidemment considérer que le verre est à moitié plein et que l'Europe est à la veille d'une reprise des bénéfices, reprise aidée par la dépréciation de l'euro. Toutefois, les résultats récemment annoncés sont peu encourageants à cet égard et les analystes ne prévoient en général plus de croissance des bénéfices pour l'année en cours, contrairement à il y a quelques semaines encore; 

Les bénéfices continuent par contre à augmenter au Japon. Le marché nippon est ainsi le seul à ne pas être devenu beaucoup plus cher sur les dernières années, la hausse des cours ne faisant que refléter celle des bénéfices. La pression accrue exercée par les investisseurs institutionnels locaux sur les entreprises pour améliorer leur rentabilité devrait favoriser une poursuite de cette tendance favorable sur les bénéfices.

En conclusion, nous avons assisté à une évolution assez divergente entre bénéfices et cours boursiers sur les dernières années, notamment en Europe. Autrement dit, la progression des cours s'explique en grande partie par une hausse des multiples de valorisation, par opposition à une hausse des bénéfices. Il se peut que ceci se justifie dans un environnement de taux bas et que dans un tel environnement, un investisseur ne devrait pas trop se laisser influencer par les fondamentaux.

Après tout, les cours boursiers sont censés refléter la valeur présente des bénéfices futurs des entreprises. Avec un taux d'actualisation proche de zéro, la valeur d'un actif à long terme tend théoriquement vers l'infini. Il reste cependant que ce découplage entre fondamentaux et cours est inquiétant.