Depuis que le Luxembourg a mis en place tout ce qu’il était possible de mettre en place dans le cadre de la lutte anti-blanchiment, les collectionneurs ne se bousculent pas au Freeport pour y stocker leurs œuvres. Encore moins depuis les ennuis judiciaires d’Yves Bouvier. (Photo: Maison Moderne/archives)

Depuis que le Luxembourg a mis en place tout ce qu’il était possible de mettre en place dans le cadre de la lutte anti-blanchiment, les collectionneurs ne se bousculent pas au Freeport pour y stocker leurs œuvres. Encore moins depuis les ennuis judiciaires d’Yves Bouvier. (Photo: Maison Moderne/archives)

Mi-septembre, les dernières charges pesant sur Yves Bouvier, le principal artisan du Freeport à Luxembourg, ont été abandonnées par la justice suisse. Six ans après le début de la bataille judiciaire avec le milliardaire russe Dmitry Rybolovlev, son honneur est sauf, mais son nom entaché durablement.

«Il a détruit ma réputation, je détruirai sa fortune.» Six ans après sa phrase choc, en août 2015, dans le cadre de la bataille judiciaire qui l’oppose au milliardaire russe Dmitry Rybolovlev, Yves Bouvier pourrait désormais réclamer un milliard de dollars de dommages et intérêts à son accusateur et écrire sa propre version de l’histoire, quitte à faire pâlir les meilleurs scénaristes de Netflix ou d’Hollywood.

Car, mi-septembre, le procureur en chef du canton de Genève, Yves Bertossa, a classé sans suite la dernière procédure judiciaire encore pendante… décision contre laquelle le propriétaire de l’AS Monaco aurait directement introduit un recours… parce qu’il reste un volet, devant la Cour européenne des droits de l’Homme, sur la manière dont a été découvert le pot aux roses qui permet de blanchir M. Bouvier: le smartphone de l’avocate et amie intime du milliardaire, dans lequel un juge monégasque avait retrouvé 363 appels, 153 messages audio et plus de 20.000 SMS et iMessages qui expliquent comment le milliardaire a «corrompu» les enquêteurs monégasques pour «charger» le marchand d’art.

Le Russe avait découvert, dans le cadre de sa procédure de divorce, que les 2 milliards de dollars qu’il avait dépensés, en une douzaine d’années, dans l’achat de 38 tableaux de grands maîtres via le créateur des ports francs, représentaient un montant largement supérieur à la valeur des œuvres sur le marché. Circulez, il n’y a rien à voir, défendait le marchand d’art, qui admettait avoir empoché des commissions supérieures aux 2% réglementaires sans qu’il n’y ait quoi que ce soit à en redire.

Rebranding luxembourgeois

L’affaire laissera des séquelles probablement indélébiles sur le nom de M. Bouvier. Dès octobre 2017, face au risque de devoir se déclarer en faillite et de mettre 45 salariés au chômage, l’entrepreneur avait dû se résigner à vendre Natural Le Coultre, la maison que sa famille détenait depuis 1983, à André Chenue, dirigée par les Da Costa, permettant à cette dernière de se hisser au troisième rang mondial des opérateurs d’art.

Le 17 mai 2021, à Luxembourg, sa filiale luxembourgeoise Fine Art Logistics Natural Le Coultre a finalement elle aussi dû être rebaptisée. Détenue par la luxembourgeoise Eurocenter Investment, dont il est aussi l’unique bénéficiaire économique, Fortius continue d’engloutir doucement des millions d’euros. À Noël, chaque année depuis 2016, M. Bouvier a remis de 4,5 à 7,65 millions d’euros au pot – soit 30 millions d’euros, selon nos calculs – pour maintenir sa société à «flot», même endettée à hauteur d’un peu plus de 10 millions d’euros.

Fortius n’est plus une société qui œuvre sur le Freeport Luxembourg, mais du «Luxembourg High Security Hub», son nouveau branding, comme en a décidé une assemblée générale extraordinaire le 21 décembre 2020. La structure a deux sous-compartiments, Luxembourg High Security Hub Real Estate pour l’immobilier du port franc, et Luxembourg High Security Hub Management pour les prestations de services.

Des sociétés qui ont bien du mal à rembourser les dettes qu’elles ont contractées, au temps des jours heureux de 2011-2012 où le gouvernement de et donnait les premiers coups de pelle de cette infrastructure destinée à attirer les ultra-riches au Luxembourg.

Au deuxième semestre 2019, la BIL, Spuerkeess, la Banque de Luxembourg et Raiffeisen ont dû patienter… jusqu’au 6 février 2020 pour récupérer 1,42 million d’euros. Une goutte d’eau, mais cela traduit les limites du modèle d’affaires de l’endroit. Rebelote un an plus tard, où la traite de 1,389 million d’euros a dû faire l’objet d’un accord avec les quatre banques. Pour 2020, les gestionnaires du Freeport, pardon, du «Luxembourg High Security Hub», avaient prévu un plan d’affaires à 2,288 millions d’euros de recettes, mais le 30 juin, ils avaient déjà 3,396 millions d’euros d’impayés, dont 2,3 millions d’euros d’une société… appartenant au bénéficiaire économique, selon le rapport annuel de 2019 rendu assez tard pour que ce soit déjà mentionné.

41 constats de contrefaçon ou dual use

Le CEO du Hub, Philippe Dauvergne, ex-douanier français, n’avait pas encore répondu à nos sollicitations à l’heure où nous bouclions cet article, pas plus que M. Bouvier, joint par l’intermédiaire de son avocat, ni même le ministère des Finances, invité à expliquer un passage de son dernier rapport annuel. «Dans le cadre de la sécurité à la zone franche The Luxembourg Freeport, surveillance confiée à l’Administration des douanes et accises par règlement ministériel, 2.610 patrouilles de sécurité, tant du côté air-side que du côté land-side, ont été effectuées. 41 constats en matière de contrefaçon, dual use et autres ont pu être dressés en 2020 et transmis aux services concernés», disait le rapport.

En mars 2020, à 76 ans, , sorte de témoin de moralité appelé à la barre du navire qui tanguait, avait offert un tour exhaustif du Freeport à ses ex-pairs députés européens. , ils en ont gardé l’idée d’une exception mondiale de rigueur. Selon leur appréciation assez positive, les acteurs étaient tellement sous pression dans le cadre de la lutte anti-blanchiment, que nombre de leurs clients avaient préféré abandonner l’endroit dès 2015.

,  (CSV), d’en profiter pour faire du Luxembourg un «hub créatif et culturel» en Europe, l’ancien ministre et député européen avait suggéré à Yves Bouvier d’en faire un lieu de stockage des médicaments. Entre la pandémie mondiale, la volonté des Européens de retrouver leur souveraineté dans la production et la proximité d’un des plus gros affréteurs aériens au monde, Cargolux, l’idée n’est peut-être pas si saugrenue…

En attendant, Fortius a ouvert ses mètres de stockage aux artistes luxembourgeois touchés par les inondations d’août dernier. Depuis le 11 octobre, il héberge un des plans de l’Arc de triomphe empaqueté à Paris, le projet de Christo et Jeanne-Claude. Le plan, propriété de la fintech allemande Finexity, doit être tokénisé et vendu à des collectionneurs new age.