Me Lorraine Chéry, Avocat à la Cour, Senior Associate. (Photo: Castegnaro lus-Laboris)

Me Lorraine Chéry, Avocat à la Cour, Senior Associate. (Photo: Castegnaro lus-Laboris)

Le bonus annuel prévu par le contrat de travail, mais sans que ses modalités d’attribution n’aient été prédéterminées, est-il dû au salarié en cas de rupture de la période d’essai?

 Il est très fréquent que les parties à un contrat de travail prévoient, à côté de la rémunération mensuelle de base du salarié, le versement de diverses primes, bonus ou gratifications accessoires.

Garanties, discrétionnaires, conditionnées par la réalisation d’objectifs ou par un certain temps de présence dans l’entreprise, les modalités d’attribution de tels bonus sont multiples et sont librement fixées par les parties, généralement au sein du contrat de travail.

L’affaire en cause concernait un litige entre une salariée engagée en tant que «Chief Operating Officer» et son ancien employeur, au sujet notamment du paiement d’une prime annuelle prévue par le contrat de travail.

La clause du contrat de travail discutée était rédigée comme suit: «La rémunération fixe annuelle brute de la Salariée s’élève, à la date de signature des présentes, à […] Euros Brut […]. À cette rémunération, s’ajoutera une prime annuelle pouvant atteindre 60.000€ Brut, dont les modalités d’attribution seront fixées tous les ans

La salariée, dont le contrat avait été résilié pendant la période d’essai, estimait avoir droit au paiement de sa prime annuelle calculée au prorata de son temps de présence dans l’entreprise.

La demande de la salariée était basée sur l’article 1178 du Code civil, aux termes duquel «la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement». La salariée prétendait en effet avoir droit à sa prime annuelle en raison du fait que l’employeur avait failli à son obligation de fixer les modalités de calcul de cette dernière.

Cependant, à l’instar du Tribunal du travail, la Cour d’appel rejeta la demande de la salariée.

La Cour analysa tout d’abord la clause litigieuse et rappela le principe jurisprudentiel suivant lequel «les primes et gratifications constituent en principe une libéralité laissée à la discrétion de l’employeur, à moins qu’elles ne soient dues en vertu d’un engagement exprès, repris dans le contrat de travail ou dans une convention collective, ou que l’obligation de la payer résulte d’un usage constant».

Ainsi, par définition, tout bonus versé par l’employeur est discrétionnaire, sauf si son obligation de paiement résulte d’une disposition contractuelle/conventionnelle, ou d’un usage.

En l’espèce, la prime annuelle discutée tombait dans la seconde catégorie de bonus, car elle résultait d’un engagement exprès contractuel de l’employeur.

En effet, la Cour releva que le contrat de travail en cause «prévoit expressément le paiement d’une prime annuelle, sans aucune clause suspensive» et «indique […] sans aucune possibilité d’interprétation, que cette prime sera payée, suivant des modalités d’attribution fixées tous les ans».

Ayant caractérisé le caractère obligatoire de la prime, la Cour d’appel poursuivit son raisonnement en rappelant que les six premiers mois du contrat de travail de la salariée constituaient une période d’essai.

Or, selon la Cour, les modalités de calcul de la prime annuelle devaient être fixées à la fin de la période d’essai, c’est-à-dire au moment où les deux parties sont certaines de vouloir continuer leur collaboration.

La Cour souligna en effet que «la période d’essai a pour finalité de tester le salarié et vérifier s’il est apte à remplir la mission de base lui confiée par le contrat de travail, respectivement s’il s’intègre à l’équipe en place. Une fois cette période révolue, l’employeur peut récompenser son salarié, en fixant des objectifs dépassant le travail minimum auquel on peut normalement s’attendre.»

Dans cette affaire, l’employeur s’était séparé de la salariée au cours de la période d’essai de 6 mois et n’avait de ce fait jamais pu fixer les conditions d’attribution de la prime annuelle. La Cour rejeta ainsi la demande de la salariée.

Que retenir de cet arrêt?

- Les conditions d’attribution d’une prime annuelle garantie, qui ne sont pas prévues initialement dans le contrat, devraient en tout état de cause être fixées à l’issue de la période d’essai.

- Le salarié qui a vu son contrat prendre fin pendant la période d’essai, sans que les parties n’aient fixé les conditions d’attribution d’une prime annuelle, ne peut prétendre au paiement de cette dernière.

Cour d’appel, 28 mars 2019 n° CAL-2018-00140 du rôle