Serge Haag dénombre encore 38 lits de réanimation mobilisables pour des patients Covid-19. Le Chem a par ailleurs aménagé une unité pour les patients Covid-19 hospitalisés sans besoin d’assistance respiratoire dans son ancienne cantine. (Photo: Chem)

Serge Haag dénombre encore 38 lits de réanimation mobilisables pour des patients Covid-19. Le Chem a par ailleurs aménagé une unité pour les patients Covid-19 hospitalisés sans besoin d’assistance respiratoire dans son ancienne cantine. (Photo: Chem)

Les hôpitaux luxembourgeois se préparent au pic d’infections au Covid-19 prévu dans les prochains jours, sans le climat de panique qui règne dans certains pays européens. Entretien avec Serge Haag, directeur des soins du Centre hospitalier Émile Mayrisch.

Combien de patients Covid-19 comptez-vous actuellement?

Serge Haag. – «Nous avons aujourd’hui (mardi, ndlr) 14 patients en réanimation. Le Chem dispose de plusieurs services de réanimation. Nous avons encore 54 lits en stand-by en cas de pic de l’épidémie. S’y ajoutent 10 lits de soins intensifs pour les patients non Covid-19.

Sentez-vous ce pic arriver au regard des hospitalisations?

«Pas vraiment. Il faut savoir que, parmi nos 14 patients en réanimation, cinq sont venus de France: nous les prenons en charge en vertu d’un accord intergouvernemental. Il y a certes de plus en plus de personnes atteintes du Covid-19 au Luxembourg chaque jour, mais cela ne se passe pas comme dans d’autres pays, où le nombre est si important en très peu de temps que cela met le système de santé en difficulté.

L’épidémie se développe doucement au Luxembourg. Au niveau des hospitalisations – c’est-à-dire des patients atteints du Covid-19 (patients sous oxygénothérapie seule) –, 52 lits sont occupés, ce qui nous laisse une réserve de 84 lits. Cette latitude nous permet de réagir en cas de pic. 

Il faut toutefois souligner que les patients en réanimation devront rester environ trois semaines à l’hôpital une fois sortis des soins intensifs. C’est pour cela qu’il faut maintenir une réserve de lits dans les unités d’hospitalisation, qui vont se remplir au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie.

Nous avons un autre atout: un bon système de santé, bien doté en termes de personnels, d’équipements, d’infrastructures.

 Serge Haagdirecteur des soinsChem

Combien de temps restent en moyenne les patients atteints du Covid-19?

«C’est difficile à dire pour le moment. D’autant que nous transférons des patients au Centre de réhabilitation du château de Colpach parce qu’ils ne peuvent pas rester seuls chez eux, étant âgés, handicapés ou affectés par d’autres pathologies. Les patients en soins normaux restent en moyenne une dizaine de jours. À ce jour, 35 patients ont quitté l’hôpital – mais cela ne veut pas dire qu’ils sont guéris et qu’ils ne risquent plus d’infecter d’autres personnes. Ces patients sont suivis à domicile par l’Inspection sanitaire.

Si le pic ne se fait pas sentir, cela signifie-t-il que le Grand-Duché a réussi à lisser ce pic suffisamment pour qu’il reste surmontable par les établissements hospitaliers?

«Mon opinion est que le gouvernement a fait un travail remarquable. Il a été très vigilant, a bien observé ce qui se passait dans les pays limitrophes. Il a réagi très tôt – trop pour certains, qui s’étonnaient de voir des mesures d’isolement alors que la pandémie n’était pas avérée. Mais c’était exactement la bonne décision à prendre. La population aussi a, en général, bien suivi le message politique incitant à s’isoler, à rester à la maison, à ne pas se rassembler avec d’autres personnes. Cela nous a beaucoup aidés, dans les hôpitaux.

Et puis, nous avons un autre atout: un bon système de santé, bien doté en termes de personnels, d’équipements, d’infrastructures. Tous ces facteurs contribuent à une bonne gouvernance de la pandémie au niveau national.

La pandémie va certainement encore durer des semaines, et il faut continuellement réapprovisionner les stocks.

 Serge Haagdirecteur des soinsChem

Comment se passe la coordination avec le ministère de la Santé?

«Très bien. Nous avons tous les jours une conférence téléphonique avec le ministère de la Santé. La ministre suit l’évolution de la pandémie de très près et elle réagit rapidement aux demandes des hôpitaux. À titre d’exemple, on peut citer l’autorisation de pouvoir faire travailler les infirmières jusque 12 heures par jour, une décision qui a été prise en quelques jours seulement.

Avez-vous fait le plein de matériel (respirateurs, masques, gants, etc.)?

«C’est difficile à dire, ne pouvant pas prévoir ce qui nous attend avec certitude. Au début, nous pensions manquer de respirateurs, mais nous en avons reçu de Chine. Certains hôpitaux en ont réceptionné trois, et le Chem deux, car nous avions une plus grande réserve. Une réserve nationale de machines existe encore et sera distribuée en fonction des besoins. La cellule logistique nationale dispose de tableaux de bord nationaux qui permettent une redistribution qui soit la plus efficiente possible. Ici, il faut souligner l’efficacité de cette cellule, qui fait un travail remarquable.

Nous manquions de matériel de protection comme des blouses et des masques chirurgicaux, mais nous sommes bien livrés depuis quelques jours. Le point crucial est que nous risquons de tomber à court des médicaments pour les patients sous respiration contrôlée (tels que les curares et les morphiniques), mais là encore, la ministre de la Santé a réussi à nouer une collaboration avec la Belgique. Les hôpitaux luxembourgeois sont désormais livrés au prorata de leur nombre de lits Covid-19, au même titre que les hôpitaux belges.

Toutefois il ne faut pas se reposer sur une situation ‘confortable’. La pandémie va certainement encore durer des semaines, et il faut continuellement réapprovisionner les stocks. Grâce au pilotage national des ressources au niveau de la cellule logistique nationale, la population n’a pas besoin de s’en préoccuper.

Le beau temps risque de compromettre le respect des règles de confinement. Il faut que tout le monde joue le jeu, sinon nous subirons une nouvelle vague de contaminations.

Serge Haagdirecteur des soinsChem

Et qu’en est-il des ressources humaines qui sont mobilisées sur le terrain?

«Ce sont les ressources les plus précieuses dans le cadre de la pandémie. Nous avons trouvé un accord nous permettant d’augmenter le temps de travail des salariés, ce qui apporte un gain énorme. En accord avec la ministre de la Santé, certains qui travaillaient à 50 ou 75% peuvent augmenter leur taux de travail à 100% pendant la pandémie.

Le gouvernement a également mis en place une réserve sanitaire via GovJobs. Nous n’en avons pas encore eu besoin, mais nous discutons justement ces jours-ci des modalités d’activation si cela s’avérait nécessaire.

Nous avons prévu des scénarios face à l’intensité de la pandémie. J’ai toutefois une petite inquiétude que le beau temps risque de compromettre le respect des règles de confinement. Il faut que tout le monde joue le jeu, sinon nous subirons une nouvelle vague de contaminations.

Les services Covid-19 consomment énormément de ressources humaines.

Serge Haagdirecteur des soinsChem

Avez-vous pris d’autres dispositions concernant plus spécifiquement le personnel du Chem?

«Nous avons fermé le site de Dudelange et pris la décision de laisser le personnel soignant dont on n’a pas besoin à la maison, en dispense. Cela nous permet de protéger au mieux contre une éventuelle contamination et de le rappeler en fonction de l’évolution des besoins. Les services Covid-19 consomment énormément de ressources humaines par la forte charge de travail due notamment à l’habillage et au déshabillage des vêtements de protection.

Quant aux personnels infectés, ils restent en quarantaine durant deux semaines et ne reprennent le travail qu’après un test ‘négatif’.

Travailler dans ces services est aussi psychologiquement très lourd: chaque fois que vous entrez dans une chambre Covid-19, il faut être vigilant, porter son masque, ne pas faire d’erreur. Vous rentrez à la maison et espérez être négatif afin de ne pas infecter vos proches. Il est important que ces soignants qui ne sont pas habitués à ce genre de prise en charge puissent prendre de la distance et rester quelques jours chez eux. J’ai proposé des options d’organisation aux chefs de service pour que les équipes choisissent celle qui leur convient le mieux (par exemple, des tournées de 12 heures avec plus de jours de repos).

Une autre mesure concerne le renforcement des équipes en soins intensifs. En effet, nous avons formé en interne 80 soignants pour pouvoir aider en réanimation en cas de besoin. Il s’agit de personnels soignants provenant d’autres services et/ou qui ont déjà une expérience dans des soins plus techniques.

Ressentez-vous une chute de l’accueil des patients non Covid-19, comme d’autres hôpitaux?

«Effectivement, nous constatons une forte baisse d’activité aux urgences pour des problèmes de santé autres que le Covid-19. J’imagine que les gens pensent prendre des risques en allant aux urgences, craignant de rentrer en contact avec une personne infectée par le Covid-19, même si nous avons complètement séparé les flux Covid et non Covid.

Le gouvernement a mis en place d’autres moyens, comme la téléconsultation et les centres de soins avancés, qui reçoivent beaucoup de patients, ce qui peut être une autre explication.»